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beaucoup d'esprit, et très-instruits de notre syntaxe, qui parleroient très-correctement, sans les fautes contre les genres. Voilà ce qui les rend quelquefois si ridicules devant les sots, qui sont incapables de discerner ce qui est de raison d'avec ce qui n'est que d'un usage arbitraire et capricieux. Les gens d'esprit sont ceux qui ont le plus de mémoire dans les choses qui sont du ressort du raisonnement, et qui en ont souvent le moins dans les autres.

C'est ici une observation purement spéculative, car il ne s'agit pas d'un abus qu'on puisse corriger; mais il me semble qu'on doit en faire la remarque dans une Grammaire philosophique.

LES Grammairiens modernes ont voulu rendre raison de toutes les irrégularités de la Grammaire; et cette prétention d'expliquer, par des analogies, des règles absolument arbitraires, a multiplié les définitions inutiles et les distinctions sophistiques.

M. Dumarsais reconnoît qu'il n'existe point une idée accessoire de sexes, ni dans la valeur des noms inanimés, ni dans les termes abstraits, ni dans les noms des êtres spirituels. Il pense qu'il n'y a de genre que dans les noms des animaux, dont la conformation extérieure est différente, et dont l'espèce est visiblement divisée en deux classes. Selon lui, le genre attaché à tous les autres substantifs n'est que le fruit de l'habitude et de l'usage. Jusque-là le grammairien ne s'écarte point de la route tracés par MM. du Port-Royal; mais il me semble que sa distinction des substantifs animés et des substantifs inanimés, sous le rapport des genres, manque de jus

tesse.

M. Dumarsais croit que dans les noms des animaux à figure distinctive, l'adjectif obéit, c'est-à-dire, que la nécessité lui fait prendre la terminaison de l'un ou de l'autre genre où se trouve classé le substantif. Il pense, au contraire, que dans les noms des

êtres inanimés, l'adjectif donne le ton au substantif, c'est-à-dire, que ces noms n'ayant aucun genre par eux-mêmes, la dénonmination de masculin ou de féminin que l'on donne alors au substantif, ne se tire que de la terminaison masculine ou féminine de l'adjectif. Cette opinion sur les substantifs inanimés, a quelque chose de spécieux, parce qu'en effet ces substantifs n'ont aucun genre par eux-mêmes. Mais, de ce que l'adjectif marque le genre de l'être inanimé, il ne s'ensuit pas qu'il le lui donne. En effet, lorsqu'un nom est reçu dans une langue, l'usage décide bientôt quel doit être son genre. Alors le même usage prescrit de donner à tous les adjectifs qui lui sont attachés, le genre de ce nom. Dans cette circonstance, la première opération grammaticale agit sur le nom substantif, et réagit ensuite sur l'adjectif. Il est donc de règle générale que l'adjectif obéisse toujours au substantif.

CHAPITRE V I.

Les cas n'ayant été imaginés que pour marquer les différentes vues de l'esprit, ou les divers rapports des objets entre eux; pour qu'une langue fût en état de les exprimer tous par des cas, il faudroit que les mots eussent autant de terminaisons différentes qu'il y a de ces rapports. Or il n'y a vraisemblablement jamais eu de langue qui eût le nombre nécessaire dé ces terminaisons. Ce ne seroit d'ailleurs qu'une surcharge pour la mémoire, qui n'auroit aucun avantage qu'on ne se procure d'une manière plus simple. La dénomination des cas est prise de quelqu'un de leurs usages. Nous avons peu de cas en françois : nous nommons l'objet de notre pensée ; et les rapports sont marqués par des prépositions, ou par la place du mot.

Plusieurs

Plusieurs Grammairiens se sont servis improprement du nom de cas. Comme les premières Grammaires ont été faites pour le latin et le grec, nos Grammaires françoises ne se sont que trop ressenties des syntaxes grecque ou latine. On dit, par exemple, que de marque le génitif, quoique cette préposition exprime les rapports que l'usage seul lui a assignés, souvent très-différens les uns des autres, sans qu'on puisse dire qu'ils répondent aux cas des Latins, puisqu'il y a beaucoup de circonstances où les Latins, pour rendre le sens de notre de, mettent des nominatifs, des accusatifs, des ablatifs ou des adjectifs. Exemples. La ville de Rome, Urbs Roma. L'amour de Dieu, en parlant de celui que nous lui devons, amor erga Deum. Un temple de marbre, templum de marmore. Un vase d'or, vas

aureum.

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Les cas sont nécessaires dans les langues transpositives, où les inversions sont très-fréquentes, telles que la grecque et la latine. Il faut absolument, dans ces inversions, que les noms qui expriment les mêmes idées, comme λόγος, λόγου λόγω, λόγον, λόγε; sermo, sermonis, sermoni, sermonem, sermone (Discours), aient des terminaisons différentes, pour faire connoître au lecteur et à l'auditeur, les différens rapports sous lesquels l'objet est envisagé. Le françois et les langues qui, dans leur construction, suivent l'ordre analytique, n'ont pas besoin de cas; mais elles ne sont pas aussi favorables à l'harmonie mécanique du discours, que le latin et le grec, qui pouvoient transposer les mots, en varier l'arrangement, choisir le plus agréable à l'oreille, et quelquefois le plus convenable à la passion. Il s'en faut pourtant bien qu'aucune langue ait tous les cas propres à marquer

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tous les rapports, cela seroit presque infini, mais elles suppléent par les prépositions.

Nous n'avons de cas en françois que pour les pronoms personnels, je, me, moi, tu, te, toi, il, elle, nous, vous, eux, et les relatifs qui, que; encore tous ces cas ont-ils leurs places fixées, de manière que l'un ne peut être employé pour l'autre. Aussi avons-nous peu d'inversions, et si simples, que l'esprit saisit facilement les rapports, et y trouve souvent plus d'élégance.

Rhode, des Ottomans ce redoutable écueil, De tous ses défenseurs devenu le cercueil. A l'injuste Athalie ils se sont tous vendus. D'un pas majestueux, à côté de sa mère, Le jeune Eliacin s'avance. Comment en un plomb vil l'or pur s'est-il changé ! Quel sera l'ordre affreux qu'apporte un tel ministre? Tout ce qui est ici en italique est transposé. Ces inversions sont très-fréquentes en vers, et se trouvent quelquefois en prose, mais elles n'embarrassent assurément pas l'esprit.

Plusieurs savans prétendent que les inversions latines ou grecques nuisoient à la clarté, ou du moins exigeoient de la part des auditeurs une attention pénible, parce que, disent-ils, le verbe régissant étant presque toujours le dernier mot de la phrase, on ne comprenoit rien qu'on ne l'eût entendue toute entière. Mais cela est commun à toutes les langues, à celles même telles que la nôtre, dont la construction suit l'ordre analytique. Il est absolument nécessaire, pour qu'une proposition soit comprise, que la mémoire en réunisse et en présente à l'esprit tous les termes

la fois. Qu'on essaie de s'arrêter à la moitié ou aux troisquarts de quelque phrase que ce soit de notre langue, on verra que le sens ne se développe qu'au moment où l'esprit en saisit tous les termes. Témoin, sans multiplier les exemples, les dernières phrases qu'on vient de lire, et toutes celles qu'on voudra observer.

M. DUCLOS continue de suivre la méthode de M. Dumarsais, en distinguant les vues de l'esprit, de l'objet des pensées. J'ai, dans une des notes précédentes, cherché à prouver que le système du PortRoyal étoit préférable.

MM. du Port-Royal conviennent que les langues modernes n'ont, à la rigueur, point de cas; mais ils pensent qu'il est inutile, pour la construction, de donner aux rapports indiqués par des prépositions, qui répondent aux cas des langues grecque et latine, le même ordre que les cas ont dans ces deux langues. Ainsi, lorsqu'on étudiera une langue moderne, il sera plus avantageux de décliner les noms, suivant le mode prescrit par les anciennes Grammaires, que de chercher, dans des règles abstraites, les rapports indiqués par les prépositions.

Il est vrai, comme l'observe M. Duclos, qu'aucune langue n'indique, par des cas, tous les rapports. Le latin n'en marque que six ; mais ces six rapports sont ceux qui se présentent le plus souvent dans le discours; ils ont plus d'extension qu'ils n'en annoncent au premier coup-d'œil. On pourra s'en convaincre, si l'on réfléchit à tous les rapports marqués par le seul ablatif. Quelques langues ont un plus grand nombre de cas que la langue latine; l'arménien en a dix; le lapon, quatorze.

Quoique MM. du Port-Royal aient parfaitement défini chacun des cas, comme on ne sauroit jeter trop de lumière sur cette partie obscure de la Grammaire, je vais ajouter quelques notions puisées dans les supplémens de l'abbé Froment.

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