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çaise, à la considérer dans les éléments qui en forment la plus grande partie, est latine, germanique, celtique; mais elle est loin de renfermer tout le latin, bien moins encore tout le germain, et surtout le celtique. Dans chacune de ces trois souches, il est une multitude de mots qui n'ont pas pénétré dans le français. De quelle façon peut-on donc entendre que le français sert de clef à ces idiomes? Ils sont plus vieux que lui, plus rapprochés des formes primitives, moins effacés dans leurs terminaisons, moins abstraits dans leurs significations. Eux sont la clef des idiomes postérieurs, et les idiomes postérieurs ne sont pas la clef de ces idiomes antérieurs. C'est renverser les rapports que de faire expliquer ce qui précède par ce qui suit. Voyez le verbe penser : y a-t-il là quelque lumière à en tirer au profit des langues mères, quelque clef, pour me servir de l'expression de M. Delatre, qui ouvre des portes fermées? Penser vient du latin pensare, qui veut dire peser, et l'on conçoit comment l'idée matérielle de peser est devenue l'idée abstraite de penser. Mais il est clair que c'est pensare qui explique peser, et non penser, pensare. Plus loin, pensare est le fréquentatif de pendere, qui a même signification. Mais ici se présente un nouveau détour dans ce long trajet que fait un mot d'âge en âge, de nation en nation, de pays en pays. Les étymologistes rapportent pendere à la racine sanscrite bandh, attacher, parce que, pour peser, il faut attacher, lier l'objet. Nous voilà bien loin de penser. D'autre part, bandh se poursuit dans les langues germaniques sous la forme de binden, et là toute trace, si ce n'est par la racine sanscrite, est perdue entre le

radical primitif qui est né en Asie et le dérivé lointain qui se dit sur les bords de la Seine.

Cela remarqué, je n'insisterai pas sur l'extension donnée par M. Delatre dans son épigraphe à l'importance philologique du français: ce n'est pas seulement du latin, de l'allemand, du celtique qu'il parle, c'est de toutes les langues de la famille indienne. Or, si les formes immédiates de notre idiome échappent à la proposition générale émise par l'auteur, à plus forte raison les langues qui n'ont aucun de ces rapports intimes avec la nôtre, ne reçoivent point de lumière. Nul reflet ne peut aller du français sur le grec, sur le zend, sur le slave.

Prolongeons un peu plus loin l'examen : car M. Delatre est un philologue trop instruit et trop habile pour qu'on ne discute pas attentivement avec lui. Laissant de côté les autres langues indo-européennes, et prenant le latin dont pour une si grande part le français émane, à quel titre dira-t-on que l'idiome qu'il a produit aide à l'expliquer? sera-ce dans ses relations avec le sanscrit? La philologie comparée a établi d'une manière certaine les nombreuses connexions qui existent entre ces deux langues; elle a indiqué les lois que suivent les permutations des lettres de l'un à l'autre; et, sans avoir pu rattacher tout le latin au sanscrit, elle a démontré sans réplique qu'un fond considérable est commun à tous les deux. Ensuite il est arrivé dans le long cours des temps et sous l'influence de révolutions politiques qu'à son tour le latin a donné naissance, entre autres, au français; mais, bien entendu, la corruption qui a frappé le latin et

d'où le français a été engendré, est toute différente de la corruption qui a frappé longtemps auparavant le langage primitif des Ariens, et d'où le latin est sorti. Quand l'antique langue des Ariens s'est modifiée, les populations qui la parlaient étaient polythéistiques, peu avancées dans les arts, étrangères aux sciences proprement dites; la vie chez elles avait encore une extrême simplicité. Au contraire, quand s'est modifiée l'antique langue des Latins, les populations étaient chrétiennes, les arts avaient grandi, des sciences difficiles étaient fondées, et la société avait une complication où elle n'était jamais parvenue auparavant. Aussi les deux corruptions dont il s'agit, gardons ce mot, bien qu'il soit sujet à objection et à restriction, ne se ressemblaient pas, et l'une ne peut servir de clef à l'autre. Quoi qu'on fasse, on n'éclaircira pas par le français les rapports du sanscrit avec le latin; et ce n'est pas de ce côté que la proposition de M. Delatre sera véritable.

Le sera-t-elle davantage dans le secours que prêtera le sanscrit à concevoir comment le français s'est développé du latin? Sans doute, plus l'étymologiste considère de cas où une langue se modifie en une autre, plus la faculté comparative acquiert de pénétration et ·la méthode de sûreté. Mais cela est un service tout général pour lequel le français n'a rien de plus que les autres, et qu'ici il faut laisser de côté. Laissons-le donc; et alors que reste-t-il? Jna est un radical sanscrit qui a une grande extension en Europe, puisqu'il fournit le grec γνώναι, γινώσκειν, le latin gnoscere et l'anglais to know. De là, par le latin, il a passé dans le français, où

nous le retrouvons, par exemple, dans le verbe composé connaître, dérivé de cognoscere. Ce qui importe ici, c'est de savoir par quelle loi étymologique cognoscere a donné connaître. Cela est su maintenant; mais il est clair, par la simple juxtaposition des mots, que jna ne fournit là-dessus aucun renseignement. Le mode de permutation est différent; le mot allant du sanscrit au latin a pris d'autres éléments qui, nécessairement, ont influé sur la formation française. Les origines du français, examinées dans la langue sanscrite, n'éclairent pas comment il a émané du latin, ou comment le latin, et à plus forte raison les autres langues de la famille indienne, ont émané du sanscrit. L'épigraphe choisie par M. Delatre me paraît dictée, non par la science étymologique, mais par un patriotisme qui ne doit point prévaloir dans les questions de science et d'histoire.

Pourtant, je ne suis pas tout à fait hostile, j'en conviendrai, même en ceci, à un certain patriotisme; mais je voudrais que, sans prévaloir, sans fausser la réalité, il sût donner quelque couleur plus vive à ce qui est beau, quelque relief plus marqué à ce qui est saillant. Il n'est pas nécessaire de faire au français une place exagérée dans la famille indienne pour lui trouver des qualités dignes d'être louées, un rôle digne d'être célébré, une histoire, en un mot, digne d'être racontée. Mais, qualités, rôle, histoire, tout cela tient à ce qu'il est non pas fils du sanscrit, mais fils du latin.

Être fils du sanscrit, ou du moins lui être apparenté de près est une grande gloire. Ce fut la fortune du grec et du latin; et les nations de langue grecque

et latine ont, dans l'ancien monde, tenu le sceptre des sciences, des lettres, des arts et de la guerre. Les Perses, enfants de même race, ont eu leur éclat, leur Zoroastre, fondateur d'une religion pure et profonde, leurs mages renommés, leurs monuments magnifiques. Les Celtes, séparés de bonne heure du tronc commun et enfoncés dans les plages lointaines de l'Occident, avaient établi des sociétés puissantes, sous l'influence du druidisme et d'une aristocratie héréditaire, ils avaient leurs bardes et leur poésie, quand la main conquérante de Rome les appela à d'autres destins. Les Germains, encore plus âpres et plus indomptés, repoussèrent les légions romaines, mais cédèrent à Charlemagne et au christianisme. Enfin, les Slaves, venus les derniers dans l'ordre de l'histoire et de la civilisation, sont restés longtemps au seuil qu'ils commencent à franchir. Si tel fut le rôle de ces nations dans le passé, il est encore bien plus considérable dans ce qui était alors l'avenir. Tout ce qui avait été soumis à la discipline de Rome et de Charlemagne ne forma plus qu'un seul corps qui, prenant sur le reste la prédominance intellectuelle et morale, s'est emparé de la direction des affaires du monde. Seuls, dans cette grande expansion, la Perse antique et l'Inde plus antique encore sont restées en arrière; l'une, dans le mahométisme, et l'autre dans le polythéisme.

Telle est la place faite dans l'histoire aux idiomes parents du sanscrit. Mais ce n'est pas non plus un sort à dédaigner que d'être issu de la langue romaine. Il y a là quelque chose que l'on peut comparer à ce qui se passe dans les vieilles et nobles familles plus on y

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