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fait naître, qu'elle leur donna toujours la loi dans mon cœur.

Cette récidive que j'éloignois fans la craindre arriva fans qu'il y eût de ma faute, c'est-à-dire, de ma volonté, & j'en profitai, je puis dire, en fureté de concience. Mais cette feconde fois fut aufli la derniere: car Mlle. Lambercier s'étant fans doute apperçue à quelque figne que ce châtiment n'alloit pas à fon but, déclara qu'elle y renonçoit & qu'il la fatiguoit trop. Nous avions jufques -là couché dans fa chambre, & même en hiver quelquefois dans fon lit. Deux jours après on nous fit coucher dans une autre chambre, & j'eus déformais l'honneur dont je me ferois bien paffé, d'être traité par elle

en grand garçon.

Qui croiroit que ce châtiment d'enfant reçu à huit ans par la main d'une fille de trente a décidé de mes goûts, de mes defirs, de mes paffions, de moi pour le refte de ma vie, & cela, précisément dans le fens contraire à ce qui devoit s'enfuivre naturellement ? En même tems que mes fens furent allumés, mes defirs prirent fi bien le change, que, bornés à ce que j'a Mémoires. Tome I.

B

vois éprouvé ils ne s'aviferent point de chercher autre chofe. Avec un fang brûlant de fenfualité prefque dès ma naiffance je me confervai pur de toute fouillure, jufqu'à l'âge où les tempéramens les plus froids & les plus tardifs fe développent. Tourmenté long-tems, fans favoir de quoi, je dévorois d'un oeil ardent les belles perfonnes; mon imagination me les rappelloit fans ceffe; uniquement pour les mettre en œuvre à ma mode, & en faire autant de Demoifelles Lambercier.

Même après l'âge nubile, ce goût bizarre toujours perfiftant, & porté jusqu'à la dépravation, jufqu'à la folie, m'a confervé les mœurs honnêtes qu'il fembleroit avoir dû m'ôter. Si jamais éducation fut modefte & chafte, c'eft affurément celle que j'ai reçue. Mes trois tantes n'étoient pas feulement des perfonnes d'une fageffe exemplaire, mais d'une réserve que depuis long-tems les femmes ne connoiffent plus. Mon pere, homme de plaifir, mais galant à la vieille mode, n'a jamais tenu près des femmes qu'il aimoit le plus, des propos dont une vierge eût pu rougir, & jamais on n'a pouffé plus loin

que dans ma famille & devant moi le refpect qu'on doit aux enfans. Je ne trouvai pas moins d'attention chez M. Lambercier fur le même article, & une fort bonne fervante y fut mife à la porte, pour un mot un peu gaillard qu'elle avoit prononcé devant nous. Non-feulement je n'eus jufqu'à mon adolefcence aucune idée diftincte de l'union des fexes; mais jamais cette idée confuse ne s'offrit à moi que fous une image odieufe & dégoûtante. J'avois pour les filles publiques une horreur qui ne s'eft jamais effacée; je ne pouvois voir un débauché fans dédain, fans effroi même: car mon averfion pour la débauche alloit jufques-là, depuis qu'allant un jour au petit Sacconex par un chemin creux, je vis des deux côtés des cavités dans la terre où l'on me dit que ces gens-là faifoient leurs accouplemens. Ce que j'avois vu de ceux des chiennes me revenoit auffi toujours à l'efprit en penfant aux autres, & le coeur me foulevoit à ce feul fouvenir.

Ces préjugés de l'éducation; propres par eux-mêmes à retarder les premieres explosions d'un tempérament combufti

ble, furent aidés, comme j'ai dit, par la diverfion que firent fur moi les premieres pointes de la fenfualité. N'imaginant que ce que j'avois fenti; malgré des effervefcences de fang très-incommodes, je ne favois porter mes defirs que vers l'efpece de volupté qui m'étoit connue, fans aller jamais jufqu'à celle qu'on m'avoit rendue haïffable, & qui tenoit de fi près à l'autre, fans que j'en euffe le moindre foupçon. Dans mes fottes fantaisies, dans mes érotiques fureurs, dans les actes extravagans auxquels elles me portoient quelquefois, j'empruntois imaginairement le fecours de l'autre fexe, fans penfer jamais qu'il fût propre à nul autre ufage qu'à celui que je brûlois d'en tirer.

Non-feulement donc c'est ainsi qu'avec un tempérament très - ardent, trèslafcif, très précoce, je paffai toutefois l'âge de puberté fans defirer, fans connoître d'autres plaifirs des fens que ceux dont Mile. Lambercier m'avoit très - innocemment donné l'idée; mais quand enfin le progrès des ans m'eut fait homme, c'est encore ainfi que ce qui devoit me perdre me conferva, Mon ancien goût d'enfant,

au lieu de s'évanouir s'affocia tellement à l'autre que je ne pus jamais l'écarter des defirs allumés par mes fens; & cette folie, jointe à ma timidité naturelle m'a toujours rendu très-peu entreprenant près des femmes, faute d'ofer tout dire ou de pouvoir tout faire; l'efpece de jouiffance dont l'autre n'étoit pour moi que le dernier terme ne pouvant être ufurpée par celui qui la defire, ni devinée par celle qui peut l'accorder. J'ai ainfi paffé ma vie à convoiter & me taire auprès des perfonnes que j'aimois le plus. N'ofant jamais déclarer mon goût je l'amufois du moins par des rapports qui m'en confervoient Pidée. Etre aux genoux d'une maîtreffe impérieuse, obéir à fes ordres, avoir des pardons à lui demander, étoient pour moi de très douces jouiffances, & plus ma vive imagination m'enflammoit le fang, plus j'avois l'air d'un amant tranfi. Ön conçoit que cette maniere de faire l'amour n'amene pas des progrès bien rapides, & n'eft pas fort dangereufe à la vertu de celles qui en font l'objet. J'ai donc fort peu poffédé, mais je n'ai pas laiffé de jouir beaucoup à ma maniere; c'est-à

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