LIVRE PREMIER. JE forme une entreprise qui n'eut jamais d'exemple, & dont l'exécution n'aura point d'imitateur. Je veux montrer à mes femblables un homme dans toute la vérité de la nature; & cet homme, ce fera moi. Moi feul. Je fens mon cœur & je connois les hommes. Je ne fuis fait comme aucun de ceux que j'ai vus; j'ofe croire n'être fait comme aucun de ceux qui exiftent. Si je ne vaux pas mieux, au moins je fuis autre. Si la nature a bien ou mal fait de brifer le moule dans lequel elle m'a jetté, c'est ce dont on ne peut juger qu'après m'avoir lu. Que la trompette du jugement dernier fonne quand elle voudra; je viendrai ce livre à la main me préfenter devant le fouverain Juge. Je dirai hautement : voilà ce que j'ai fait, ce que j'ai penfé, ce que je fus. J'ai dit le bien & le mal avec la même franchife. Je n'ai rien tu de mau❤ vais rien ajouté de bon, & s'il m'est arrivé d'employer quelque ornement indifférent, ce n'a jamais été que pour remplir un vide occafionné par mon défaut de mémoire ; j'ai pu fuppofer vrai ce que je favois avoir pu l'être, jamais ce que je favois être faux. Je me fuis montré tel que je fus, méprifable & vil quand je l'ai été; bon, généreux, fublime, quand je l'ai été j'ai dévoilé mon intérieur tel que tu l'as vu toi-même. Etre éternel, raffemble autour de moi l'innombrable foule de mes femblables qu'ils écoutent mes Confeffions, qu'ils gémiffent de mes indignités, qu'ils rougiffent de mes miferes. Que chacun d'eux découvre à fon tour fon cœur aux pieds de ton trône avec la même fincérité, & puis qu'un feul te dife, s'il l'ofe; je fus meilleur que cet homme- là. Je fuis né à Geneve en 1712 d'Ifaac Rouffeau Citoyen & de Sufanne Bernard Citoyenne; un bien fort médiocre à par |