Frangi, qui me parut excellent, argumentoit fi victorieufement pour lui, que j'aurois rougi de fermer la bouche à un fi bon hôte. Je cédois donc, ou du moins je ne réfiftois pas en face. A voir les ménagemens dont j'ufois on m'auroit cru faux; on fe fût trompé. Je n'étois qu'honnête, cela eft certain. La flatterie, ou plutôt la condefcendance n'eft pas toujours un vice, elle eft plus fouvent une vertu, fur-tout dans les jeunes gens. La bonté avec laquelle un homme nous traite, nous attache à lui; ce n'eft pas pour l'abufer qu'on lui cede, c'eft pour ne pas l'attrifter, pour ne pas lui rendre le mal pour le bien. Quel intérêt avoit M. de Pontverre à m'accueillir, à me bien traiter, à vouloir me convaincre ? Nul autre que le mien propre. Mon jeune cœur fe difoit cela. J'étois touché de reconnoiffance & de refpect pour le bon prêtre. Je fentois ma fupériorité ; je ne voulois pas l'en accabler pour prix de fon hofpitalité. Il n'y avoit point de motif hypocrite à cette conduite: je ne fongeois point à changer de religion; & bien loin de me familiarifer fi vîte avec cette idée, je ne l'envifageois qu'avec une horreur qui devoit l'écarter de moi pour longtems; je voulois seulement ne point fâcher ceux qui me careffoient dans cette vue; je voulois cultiver leur bienveillance & leur laiffer l'efpoir du fuccès en paroiffant moins armé que je ne l'étois en effet. Ma faute en cela reffembloit à la coquetterie des honnêtes femmes, qui quelquefois pour parvenir à leurs fins, favent, fans rien permettre ni rien promettre, faire efpérer plus qu'elles ne veulent tenir. La raifon, la pitié, l'amour de l'ordre exigeoient affurément que loin de fe prêter à ma folie, on m'éloignât de ma perte où je courois, en me renvoyant dans ma famille. C'est-là ce qu'auroit fait ou tâché de faire tout homme vraiment vertueux. Mais quoique M. de Pontverre fût un bon homme, ce n'étoit affurément pas un homme vertueux. Au contraire, c'étoit un dévot qui ne connoiffoit d'autre vertu que d'adorer les images & de dire le rofaire; une espece de miffionnaire qui n'imaginoit rien de mieux pour le bien de la foi, que de faire des libelles contre les miniftres de Geneve. Loin de penfer à me renvoyer chez moi il profita du defir que j'avois de m'en éloigner, pour me mettre hors d'état d'y retourner, quand même il m'en prendroit envie. Il y avoit tout à parier qu'il m'envoyoit périr de mifere ou devenir un vaurien. Ce n'étoit point-là ce qu'il voyoit. Il voyoit une ame ôtée à l'héréfie & ren due à l'Eglife. Honnête homme on vaurien, qu'importoit cela pourvu que j'allaffe à la meffe? Il ne faut pas croire, au refte, que cette façon de penfer foit particuliere aux catholiques; elle eft celle de toute religion dogmatique où l'on fait l'effentiel, non de faire, mais de croire. Dieu vous appelle, me dit M. de Pontverre. Allez à Annecy; vous y trouverez une bonne dame bien charitable que les bienfaits du Roi mettent en état de retirer d'autres ames de l'erreur dont elle eft fortie elle-même. Il s'agiffoit de madame de Warens, nouvelle convertie, que les prêtres forçoient en effet de partager avec la canaille qui venoit vendre fa foi, une penfion de deux mille francs que lui donnoit le roi de Sardaigne. Je me, fentois fort humilié d'avoir befoin d'une bonne dame bien charitable. J'aimois fort qu'on me donnât mon nécef faire, mais non pas qu'on me fît la charité, & une dévote n'étoit pas pour moi fort attirante. Toutefois preffé par M. de Pontverre, par la faim qui me talonnoit; bien aife auffi de faire un voyage & d'avoir un but, je prends mon parti, quoiqu'avec peine, & je pars pour Annecy. J'y pouvois être aifément en un jour; mais je ne me preffois pas, j'en mis trois. 'Je ne voyois pas un château à droite ou à gauche, fans aller chercher l'aventure que j'étois fûr qui m'y attendoit, Je n'ofois entrer dans le château, ni heurter; car j'étois fort timide. Mais je chantois fous la fenêtre qui avoit le plus d'apparence, fort furpris, après m'être longtems époumonné, de ne voir paroître ni dames ni demoiselles qu'attirât la beauté de ma voix, ou le fel de mes chanfons; vu que j'en favois d'admirables que mes camarades m'avoient apprifes, & que je chantois admirablement, J'arrive enfin je vois Madame de Warens. Cette époque de ma vie a décidé de mon caractere; je ne puis me réfoudre à la paffer légérement, J'étois au milieu de ma feizieme année. Sans être ce qu'on appelle un beau garçon, j'étois bien pris dans ma petite taille; j'avois un joli pied, la jambe fine, l'air dégagé, la phyfionomie animée, la bouche mignone, les fourcils & les cheveux noirs, les yeux petits & même enfoncés, mais qui lançoient avec force le feu dont mon fang étoit embrafé. Malheureusement je ne favois rien de tout cela, & de ma vie il ne m'eft arrivé de fonger à ma figure, que lorfqu'il n'étoit plus tems d'en tirer parti. Ainfi j'avois avec la timidité de mon âge celle d'un naturel très - aimant, toujours troublé par la crainte de déplaire. D'ailleurs, quoique j'euffe l'efprit affez orné, n'ayant jamais vu le monde, je manquois totalement de manieres; & mes connoiffances loin d'y fuppléer, ne fervoient qu'à m'intimider davantage, en me faifant fentir combien j'en manquois, Craignant donc que mon abord ne prévînt pas en ma faveur, je pris autrement mes avantages, & je fis une belle lettre en style d'orateur, où, coufant des phrafes des livres avec des locutions d'apprentif, je déployois toute |