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remplit l'âme et le cœur qu'il possède : c'est un Dieu qui leur fait sentir intérieurement leur misère et sa miséricorde infinie; qui s'unit au fond de leur âme; qui la remplit d'humilité, de joie, de confiance, d'amour; qui les rend incapables d'autre fin que de lui-même.

Le Dieu des chrétiens est un Dieu qui fait sentir à l'âme qu'il est son unique bien; que tout son repos est en lui, et qu'elle n'aura de joie qu'à l'aimer; et qui lui fait en même temps abhorrer lés obstacles qui la retiennent, et l'empêchent de l'aimer de toutes ses forces. L'amour-propre et la concupiscence qui l'arrêtent lui sont insupportables. Ce Dieu lui fait sentir qu'elle a ce fonds d'amour-propre, et que lui seul peut l'en guérir. Voilà ce que c'est que de connaître Dieu en chrétien. Mais pour le connaître de cette manière, il faut connaître en même temps sa misère, son indignité, et le besoin qu'on a d'un médiateur pour se rapprocher de Dieu, et pour s'unir à lui. Il ne faut point séparer ces connaissances, parce qu'étant séparées, elles sont non-seulement inutiles, mais nuisibles. La connaissance de Dieu, sans celle de notre misère, fait l'orgueil. La connaissance de notre misère, sans celle de JésusChrist, fait le désespoir. Mais la connaissance de Jésus-Christ nous exempte, et de l'orgueil, et du désespoir, parce que nous y trouvons Dieu, notre misère, et la voie unique de la réparer.

Nous pouvons connaître Dieu sans connaître nos misères; ou nos misères, sans connaître Dieu; ou même Dieu et nos misères, sans connaître le moyen de nous délivrer des misères qui nous accablent. Mais nous ne pouvons connaître Jésus-Christ sans connaître tout ensemble, et Dieu, et nos misères, et le remède de nos misères; parce que Jésus-Christ n'est pas simplement Dieu, mais que c'est un Dieu réparateur de nos misères. Ainsi tous ceux qui cherchent Dieu sans JésusChrist ne trouvent aucune lumière qui les satisfasse, ou qui leur soit véritablement utile. Car, ou ils n'arrivent pas jusqu'à connaître qu'il y a un Dieu, ou s'ils y arrivent, c'est inutilement pour eux; parce qu'ils se forment un moyen de communiquer sans médiateur avec ce Dieu qu'ils ont connu sans médiateur. De sorte qu'ils tombent ou dans l'athéisme, ou dans le déisme, qui sont deux choses que la religion chrétienne abhorre presque également.

Il faut donc tendre uniquement à connaître Jésus-Christ, puisque c'est par lui seul que nous pouvons prétendre connaître Dieu d'une manière qui nous soit utile.

C'est lui qui est le vrai Dieu des hommes, c'est-à-dire des misérables et des pécheurs. Il est le centre de tout et l'objet de tout: et qui ne le connaît pas ne connaît rien dans l'ordre du monde, ni dans soi-même. Car non-seulement nous ne connaissons Dieu que par Jésus-Christ, mais nous ne nous connaissons nous-mêmes que par Jésus-Christ.

Sans Jésus-Christ, il faut que l'homme soit dans le vice et dans la misère; avec Jésus-Christ, l'homme est exempt de vice et de misère. En lui est tout notre bonheur, notre vertu, notre vie, notre lumière, notre espérance; et hors de lui il n'y a que vice, misère, ténèbres, désespoir, et nous ne voyons qu'obscurité et confusion dans la nature de Dieu et dans notre propre nature.

ARTICLE XVI.

Pensées sur les miracles.

I.

Il faut juger de la doctrine par les miracles, il faut juger des miracles par la doctrine. La doctrine discerne les miracles, et les miracles discernent la doctrine. Tout cela est vrai; mais cela ne se contredit pas.

II.

Il y a des miracles qui sont des preuves certaines de la vérité, et il y en a qui ne sont pas des preuves certaines de la vérité. Il faut une marque pour les connaître; autrement ils se raient inutiles. Or, ils ne sont pas inutiles, et sont au contraire fondements. Il faut donc que la règle qu'on nous donne soit telle, qu'elle ne détruise pas la preuve que les vrais miracles donnent de la vérité, qui est la fin principale des miracles.

S'il n'y avait point de miracles joints à la fausseté, il y aurait certitude. S'il n'y avait point de règle pour les discerner, les miracles seraient inutiles, et il n'y aurait pas de raison de croire.

Moïse en a donné une, qui est lorsque le miracle mène à l'idolâtrie (Deut., XIII, 1, 2, 3); et Jésus-Christ une: Celui, dit-il, qui fait des miracles en mon nom ne peut à l'heure même mal parler de moi (MARC, IX, 38). D'où il s'ensuit que quiconque se déclare ouvertement contre Jésus-Christ ne peut faire de miracles en son nom. Ainsi, s'il en fait, ce n'est point au nom de Jésus-Christ, et il ne doit pas être écouté. Voilà les occasions d'exclusion à la foi des miracles

marquées. Il ne faut pas y donner d'autres exclu- | Jésus-Christ pendant sa vie. Et ainsi on n'eût pas sions: dans l'ancien Testament, quand on vous detournera de Dieu; dans le nouveau, quand on vous détournera de Jésus-Christ.

D'abord donc qu'on voit un miracle, il faut ou se soumettre, ou avoir d'étranges marques du contraire; il faut voir si celui qui le fait nie un Dieu, ou Jésus-Christ et l'Église.

III.

Toute religion est fausse, qui, dans sa foi, n'adore pas un Dieu, comme principe de toutes choses, et qui, dans sa morale, n'aime pas un seul Dieu, comme objet de toutes choses. Toute religion qui ne reconnaît pas maintenant JésusChrist est notoirement fausse, et les miracles ne peuvent lui servir de rien.

Les Juifs avaient une doctrine de Dieu, comme nous en avons une de Jésus-Christ, et confirmée par miracles; et défense de croire à tous faiseurs de miracles qui leur enseigneraient une doctrine contraire; et, de plus, ordre de recourir aux grands-prêtres, et de s'en tenir à eux. Et ainsi toutes les raisons que nous avons pour refuser de croire les faiseurs de miracles, il semble qu'ils les avaient à l'égard de Jésus-Christ et des apôtres.

Cependant il est certain qu'ils étaient très-coupables de refuser de les croire, à cause de leurs miracles, puisque Jésus-Christ dit qu'ils n'eussent pas été coupables s'ils n'eussent point vu ses miracles: Si opera non fecissem in eis quæ nemo alius fecit, peccatum non haberent (JOAN., XV, 24). Si je n'avais fait parmi eux des œuvres que jamais aucun autre n'a failes, ils n'auraient point de péché.

Il s'ensuit donc qu'il jugeait que ses miracles étaient des preuves certaines de ce qu'il enseignait, et que les Juifs avaient obligation de le croire. Et, en effet, c'est particulièrement les miracles qui rendaient les Juifs coupables dans leur incrédulité. Car les preuves qu'on eût pu tirer de l'Écriture, pendant la vie de Jésus-Christ, n'auraient pas été démonstratives. On y voit, par exemple, que Moïse a dit qu'un prophète viendrait; mais cela n'aurait pas prouvé que JésusChrist fût ce prophète : et c'était toute la question. Ces passages faisaient voir qu'il pouvait être le Messie; et cela, avec ses miracles, devait déterminer à croire qu'il l'était effectivement.

IV.

été coupable de ne pas croire en lui avant sa mort, si les miracles n'eussent pas été décisifs. Donc les miracles suffisent, quand on ne voit pas que la doctrine soit contraire; et on doit y croire.

Jésus-Christ a prouvé qu'il était le Messie, en vérifiant plutôt sa doctrine et sa mission par ses miracles que par l'Écriture et par les prophéties.

C'est par les miracles que Nicodême reconnaît que sa doctrine est de Dieu : Scimus quia a Deo venisti, magister; nemo enim potest hæc signa facere quæ tu facis, nisi fuerit Deus cum eo (JOAN., III, 2). Il ne juge pas des miracles par la doctrine, mais de la doctrine par les miracles.

Ainsi, quand même la doctrine serait suspecte, comme celle de Jésus-Christ pouvait l'être à Nicodême, à cause qu'elle semblait détruire les traditions des pharisiens; s'il y a des miracles clairs et évidents du même côté, il faut que l'évidence du miracle l'emporte sur ce qu'il pourrait y avoir de difficulté de la part de la doctrine : ce qui est fondé sur ce principe immobile, que Dieu ne peut induire en erreur.

Il y a un devoir réciproque entre Dieu et les hommes. Accusez-moi, dit Dieu dans Isaïe (Is., 1, 18). Et en un autre endroit : Qu'ai-je dú faire à ma vigne que je ne lui aie fait? (Ibid., v, 4).

Les hommes doivent à Dieu de recevoir la religion qu'il leur envoie; Dieu doit aux hommes de ne pas les induire en erreur. Or, ils seraient induits en erreur, si les faiseurs de miracles annonçaient une fausse doctrine qui ne parût pas visiblement fausse aux lumières du sens commun, et si un plus grand faiseur de miracles n'avait déjà averti de ne pas les croire. Ainsi, s'il y avait division dans l'Église, et que les ariens, par exemple, qui se disaient fondés sur l'Écriture comme les catholiques, eussent fait des miracles, et non les catholiques, on eût été induit en erreur. Car, comme un homme qui nous annonce les secrets de Dieu n'est pas digne d'être cru sur son autorité privée, aussi un homme qui, pour marque de la communication qu'il a avec Dieu, ressuscite les morts, prédit l'avenir, transporte les montagnes, guérit les maladies, mérite d'être cru; et on est impie si on ne s'y rend, à moins qu'il ne soit dementi par quelque autre qui fasse encore de plus grands miracles.

Mais n'est-il pas dit que Dieu nous tente? Et ainsi ne peut-il pas nous tenter par des miracles qui semblent porter à la fausseté?

Il y a bien de la différence entre tenter et inLes prophéties seules ne pouvaient pas prouver duire en erreur. Dieu tente; mais il n'induit point

en erreur. Tenter, c'est procurer les occasions qui | léem; car ses miracles étant convaincants, ces n'imposent point de nécessité. Induire en erreur, prétendues contradictions de sa doctrine à l'Écric'est mettre l'homme dans la nécessité de con- ture, et cette obscurité, ne les excusaient pas, clure et suivre une fausseté : c'est ce que Dieu ne mais les aveuglaient. peut faire, et ce qu'il ferait néanmoins, s'il permettait que, dans une question obscure, il se fit des miracles du côté de la fausseté.

On doit conclure de là qu'il est impossible qu'un homme cachant sa mauvaise doctrine, et n'en faisant paraître qu'une bonne, et se disant conforme à Dieu et à l'Église, fasse des miracles pour couler insensiblement une doctrine fausse et subtile: cela ne se peut. Et encore moins que Dieu, qui connait les cœurs, fasse des miracles en faveur d'une personne de cette sorte.

V.

Il y a bien de la différence entre n'être pas pour Jésus-Christ, et le dire; ou n'être pas pour Jésus-Christ, et feindre d'en être. Les premiers pourraient peut-être faire des miracles, non les autres car il est clair des uns qu'ils sont contre la vérité, non des autres; et ainsi les miracles sont plus clairs.

Les miracles discernent donc les choses douteuses, entre les peuples, juif et païen, juif et chrétien; catholique, hérétique; calomniés, calomniateurs; entre les trois croix.

C'est ce que l'on a vu dans tous les combats de la vérité contre l'erreur, d'Abel contre Caïn, de Moïse contre les magiciens de Pharaon, d'Élie contre les faux prophètes, de Jésus-Christ contre les pharisiens, de saint Paul contre Barjésu, des apôtres contre les exorcistes, des chrétiens contre ies infidèles, des catholiques contre les hérétiques; et c'est ce qui se verra aussi dans le combat d'Élie et d'Énoch contre l'Antechrist. Toujours le vrai prévaut en miracles.

Enfin, jamais en la contention du vrai Dieu, ɔu de la vérité de la religion, il n'est arrivé de miracle du côté de l'erreur, qu'il n'en soit aussi arrivé de plus grand du côté de la vérité.

Par cette règle, il est clair que les Juifs étaient obligés de croire Jésus-Christ. Jésus-Christ leur était suspect; mais ses miracles étaient infiniment plus clairs que les soupçons que l'on avait contre lui. Il fallait donc le croire.

Jésus-Christ guérit l'aveugle-né, et fit quantité de miracles au jour du sabbat, par où il aveuglait les pharisiens, qui disaient qu'il fallait juger des miracles par la doctrine.

Mais, par la même règle qu'on devait croire Jésus-Christ, on ne devra point croire l'Antechrist.

Jésus-Christ ne parlait ni contre Dieu, ni contre Moïse. L'Antechrist et les faux prophètes, prédits par l'un et l'autre Testament, parleront ouvertement contre Dieu et contre Jésus-Christ. Qui serait ennemi couvert, Dieu ne permettrait pas qu'il fit des miracles ouvertement.

Moïse a prédit Jésus-Christ, et ordonné de le suivre. Jésus-Christ a prédit l'Antechrist, et défendu de le suivre.

Les miracles de Jésus-Christ ne sont pas prédits par l'Antechrist; mais les miracles de l'Antechrist sont prédits par Jésus-Christ. Et ainsi, si Jésus-Christ n'était pas le Messie, il aurait bien induit en erreur; mais on ne saurait y être induit avec raison par les miracles de l'Antechrist. Et c'est pourquoi les miracles de l'Antechrist ne nuisent point à ceux de Jésus-Christ. En effet, quand Jésus-Christ a prédit les miracles de l'Antechrist, a-t-il cru détruire la foi de ses propres miracles?

Il n'y a nulle raison de croire à l'Antechrist qui ne soit à croire en Jésus-Christ; mais il y en a à croire en Jésus-Christ, qui ne sont point à croire à l'Antechrist.

VI.

Les miracles ont servi à la fondation, et serviront à la continuation de l'Église jusqu'à l'Antechrist, jusqu'à la fin.

C'est pourquoi Dieu, afin de conserver cette preuve à son Église, ou il a confondu les faux miracles, ou il les a prédits; et par l'un et l'autre il s'est élevé au-dessus de ce qui est surnaturel à notre égard, et nous y a élevés nousmêmes.

Il en arrivera de même à l'avenir : ou Dieu ne permettra pas de faux miracles, ou il en procurera de plus grands: car les miracles ont une telle force, qu'il a fallu que Dieu ait averti qu'on n'y pensât point quand ils seraient contre lui, tout clair qu'il soit qu'il y a un Dieu; sans quoi ils eus

Du temps de Jésus-Christ, les uns croyaient en lui, les autres n'y croyaient pas, à cause des prophéties qui disaient que le Messie devait naître en Bethleem, au lieu qu'on croyait que JésusChrist était né dans Nazareth. Mais ils devaient mieux prendre garde s'il n'était pas né en Beth-sent été capables de troubler.

Et ainsi, tant s'en faut que ces passages du treizième chapitre du Deuteronome, qui portent qu'il ne faut point croire ni écouter ceux qui feront des miracles, et qui détourneront du service de Dieu; et celui de saint Marc : Il s'élèvera de faux christs et de faux prophètes, qui feront des prodiges et des choses étonnantes, jusqu'à séduire, s'il est possible, les élus mêmes (MARC, xш, 22), et quelques autres semblables, fassent contre l'autorité des miracles, que rien n'en marque davantage la force.

VII.

Ce qui fait qu'on ne croit pas les vrais miracles, c'est le défaut de charité : Vous ne croyez pas, dit Jésus-Christ parlant aux Juifs, parce que vous n'êtes pas de mes brebis (JOAN., x, 26). Ce qui fait croire les faux, c'est le défaut de charité: Eo quod charitatem veritatis non receperunt ut salvi fierent, ideo mittet illis Deus operationem erroris, ut credant mendacio (11 Thess., 2, 10).

Lorsque j'ai considéré d'où vient qu'on ajoute tant de foi à tant d'imposteurs qui disent qu'ils ont des remèdes, jusqu'à mettre souvent sa vie entre leurs mains, il m'a paru que la véritable cause est qu'il y a de vrais remèdes; car il ne serait pas possible qu'il y en eût tant de faux, et qu'on y donnât tant de croyance, s'il n'y en avait de véritables. Si jamais il n'y en avait eu, et que tous les maux eussent été incurables, il est impossible que les hommes se fussent imaginé qu'ils pourraient en donner; et encore plus que tant d'autres eussent donné croyance à ceux qui se fussent vantés d'en avoir. De même que, si un homme se vantait d'empêcher de mourir, personne ne le croirait, parce qu'il n'y a aucun exemple de cela. Mais comme il y a eu quantité de remèdes qui se sont trouvés véritables par la connaissance même des plus grands hommes, la croyance des hommes s'est pliée par là, parce que, la chose ne pouvant être niée en général, puisqu'il y a des effets particuliers qui sont véritables, le peuple, qui ne peut pas discerner lesquels d'entre ces effets particuliers sont les véritables, les croit tous. De même, ce qui fait qu'on croit tant de faux effets de la lune, c'est qu'il y en a de vrais, comme le flux de la mer.

Ainsi il me paraît aussi évidemment qu'il n'y a tant de faux miracles, de fausses révélations, de sortiléges, etc., que parce qu'il y en a de vrais; ni de fausses religions, que parce qu'il y en a une véritable. Car s'il n'y avait jamais eu

rien de tout cela, il est comme impossible que les hommes se le fussent imaginé, et encore plus que d'autres l'eussent cru. Mais comme il y a eu de très-grandes choses véritables, et qu'ainsi elles ont été crues par de grands hommes, cette impression a été cause que presque tout le monde s'est rendu capable de croire aussi les fausses. Et ainsi, au lieu de conclure qu'il n'y a point de vrais miracles, puisqu'il y en a de faux, il faut dire, au contraire, qu'il y a de vrais miracles, puisqu'il y en a tant de faux; et qu'il n'y en a de faux que par cette raison qu'il y en a de vrais; et qu'il n'y a de même de fausses religions que parce qu'il y en a une véritable. Cela vient de ce que l'esprit de l'homme, se trouvant plié de ce côté-là par la vérité, devient susceptible par là de toutes les faussetés.

VIII.

Il est dit, Croyez à l'Eglise; mais il n'est pas | dit, Croyez aux miracles; à cause que le dernier est naturel, et non pas le premier. L'un avait besoin de précepte, non pas l'autre.

Il y a si peu de personnes à qui Dieu se fasse paraître par ces coups extraordinaires, qu'on doit bien profiter de ces occasions, puisqu'il ne sort du secret de la nature qui le couvre que pour exciter notre foi à le servir avec d'autant plus d'ardeur, que nous le connaissons avec plus de certitude.

Si Dieu se découvrait continuellement aux hommes, il n'y aurait point de mérite à le croire; et s'il ne se découvrait jamais, il y aurait peu de foi. Mais il se cache ordinairement, et se découvre rarement à ceux qu'il veut engager dans son service. Cet étrange secret, dans lequel Dieu s'est retiré, impénétrable à la vue des hommes, est une grande leçon pour nous porter à la solitude, loin de la vue des hommes. Il est demeuré caché sous le voile de la nature, qui nous le couvre, jusques à l'incarnation; et quand il a fallu qu'il ait paru, il s'est encore plus caché en se couvrant de l'humanité. Il était bien plus reconnaissable quand il était invisible que non pas quand il s'est rendu visible. Et enfin, quand il a voulu accomplir la promesse qu'il fit à ses apôtres de demeurer avec les hommes jusqu'à son dernier avénement, il a choisi d'y demeurer dans le plus étrange et le plus obscur secret de tous, savoir, sous les espèces de l'Eucharistie. C'est ce sacrement que saint Jean appelle, dans l'Apocalypse, une manne cachée (Apoc., II, 17); et je crois qu'Isaïe le voyait en cet état, lorsqu'il dit

en espri. de prophétie : Véritablement vous êtes | de ses faveurs. Il faudrait avoir perdu le sens un Dieu caché (Is., XLV, 15). C'est là le dernier pour en conclure qu'elles sont dans la voie de persecret où il peut être. Le voile de la nature qui dition. couvre Dieu a été pénétré par plusieurs infidèles, qui, comme dit saint Paul (Rom., 1, 20), ont reconnu un Dieu invisible par la nature visible. Beaucoup de chrétiens hérétiques l'ont connu à travers son humanité, et adorent Jésus-Christ Dieu et homme. Mais pour nous, nous devons nous estimer heureux de ce que Dieu nous éclaire jusqu'à le reconnaître sous les espèces du pain et du vin.

On peut ajouter à ces considérations le secret de l'esprit de Dieu caché encore dans l'Écriture. Car il y a deux sens parfaits, le littéral et le mystique; et les Juifs, s'arrêtant à l'un, ne pensent pas seulement qu'il y en ait un autre, et ne songent pas à le chercher : de même que les impies, voyant les effets naturels, les attribuent à la nature, sans penser qu'il y en ait un autre auteur; et comme les Juifs, voyant un homme parfait en Jésus-Christ, n'ont pas pensé à y chercher une autre nature: Nous n'avons point pensé que ce fút lui, dit encore Isaïe (Is., LIII, 3): et de même enfin que les hérétiques, voyant les apparences parfaites du pain dans l'Eucharistie, ne pensent pas à y chercher une autre substance. Toutes choses couvrent quelque mystère; toutes choses sont des voiles qui couvrent Dieu. Les chrétiens doivent le reconnaître en tout. Les afflictions temporelles couvrent les biens éternels où elles conduisent. Les joies temporelles couvrent les maux éternels qu'elles causent. Prions Dieu de nous le faire reconnaître et servir en tout; et rendons-lui des grâces infinies de ce qu'étant caché en toutes choses pour tant d'autres, il s'est découvert en toutes choses et en tant de manières pour nous.

IX.

Les filles de Port-Royal, étonnées de ce qu'on dit qu'elles sont dans une voie de perdition; que leurs confesseurs les mènent à Genève; qu'ils leur inspirent que Jésus-Christ n'est pas en l'Eucharistie, ni à la droite du Père: sachant que tout cela était faux, s'offrirent à Dieu en cet état, en lui disant avec le prophète : Vide si via iniquitatis in me est (Ps. cxxxvIII, 24). Qu'arrive-t-il là-dessus? Ce lieu, qu'on dit être le temple du diable, Dieu en fait son temple. On dit qu'il faut en ôter les enfants; on dit que c'est l'arsenal de l'enfer Dieu en fait le sanctuaire de ses grâces. Enfin on les menace de toutes les fureurs et de toutes les vengeances du ciel, et Dieu les comble

Les jésuites n'ont pas laissé néanmoins d'en tirer cette conclusion; car ils concluent de tout que leurs adversaires sont hérétiques. S'ils leur reprochent leurs excès, ils disent qu'ils parlent comme des hérétiques. S'ils disent que la grâce de Jésus nous discerne, et que notre salut dépend de Dieu, c'est le langage des hérétiques. S'ils disent qu'ils sont soumis au pape; c'est ainsi, disent-ils, que les hérétiques se cachent et se déguisent. S'ils disent qu'il ne faut pas tuer pour une pomme; ils combattent, disent les jésuites, la morale des catholiques. Enfin, s'il se fait des miracles parmi eux, ce n'est pas une marque de sainteté; c'est au contraire un soupçon d'hérésie.

Voilà l'excès étrange où la passion des jésuites les a portés; et il ne leur restait plus que cela pour détruire les principaux fondements de la religion chrétienne. Car les trois marques de la véritable religion sont la perpétuité, la bonne vie, et les miracles. Ils ont déjà détruit la perpétuité par la probabilité, qui introduit leurs nouvelles opinions à la place des vérités anciennes : ils ont détruit la bonne vie par leur morale corrompue : et maintenant ils veulent détruire les miracles en détruisant ou leur vérité, ou leur conséquence.

Les adversaires de l'Église les nient, ou en nient la conséquence : les jésuites de même. Ainsi, pour affaiblir leurs adversaires, ils désarment l'Eglise, et se joignent à tous ses ennemis, en empruntant d'eux toutes les raisons par lesquelles ils combattent les miracles. Car l'Église a trois sortes d'ennemis: les Juifs, qui n'ont jamais été de son corps; les hérétiques, qui s'en sont retirés; et les mauvais chrétiens, qui la déchirent en dedans.

Ces trois sortes de différents adversaires la combattent d'ordinaire diversement; mais ici ils la combattent d'une même sorte. Comme ils sont tous sans miracles, et que l'Église a toujours eu contre eux des miracles, ils ont tous eu le même intérêt à les éluder, et se sont tous servis de cette défaite qu'il ne faut pas juger de la doctrine par les miracles, mais des miracles par la doctrine. Il y avait deux partis entre ceux qui écoutaient Jésus-Christ : les uns qui suivaient sa doctrine par ses miracles; les autres qui disaient: Il chasse les démons au nom de Belzebuth. Il y avait deux partis au temps de Calvin : celui de l'Église, et celui des sacramentaires, qui la combattaient. Il y a maintenant les jésuites, et ceux qu'ils ap

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