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phocle, qui était sorti de charge, le peuple d'Athènes abrogea cette loi odieuse que ce dernier avait faite, le condamna à une amende de cinq talents, rétablit Théophraste et le reste des philosophes.

Plus heureux qu'Aristote, qui avait été contraint de céder à Eurymédon, il fut sur le point de voir un certain Agnonide puni comme impie par les Athéniens, seulement à cause qu'il avait osé l'accuser d'impiété : tant était grande l'affection que ce peuple avait pour lui, et qu'il méritait par sa vertu (14).

En effet, on lui rend ce témoignage, qu'il avait une singulière prudence, qu'il était zélé pour le bien public, laborieux, officieux, affable, bienfaisant. Ainsi, au rapport de Plutarque (15), lorsque Érèse fut accablée de tyrans qui avaient usurpé la domination de leur pays, il se joignit à Phidias (16), son compatriote, contribua avec lui de ses biens pour armer les bannis, qui rentrèrent dans leur ville, en chassèrent les traîtres, et rendirent à toute l'île de Lesbos sa liberté.

Tant de rares qualités ne lui acquirent pas seulement la bienveillance du peuple, mais encore l'estime et la familiarité des rois. Il fut ami de Cassandre, qui avait succédé à Aridée, frère d'Alexandre le Grand, au royaume de Macédoine (17); et Ptolomée, fils de Lagus et premier roi d'Égypte, entretint toujours un commerce étroit avec ce philosophe. Il mourut enfin accablé d'années et de fatigues, et il cessa tout à la fois de travailler et de vivre. Toute la Grèce le pleura, et tout le peuple athénien assista à ses funérailles.

L'on raconte de lui que, dans son extrême vieillesse, ne pouvant plus marcher à pied, il se faisait porter en litière par la ville, où il était vu du peuple à qui il était si cher. L'on dit aussi que ses disciples, qui entouraient son lit lorsqu'il mourut, lui ayant demandé s'il n'avait rien à leur recommander, il leur tint ce discours : « La vie nous séduit, elle nous promet de grands plaisirs dans la possession de la gloire, mais à peine commence«t-on à vivre, qu'il faut mourir. Il n'y a souvent « rien de plus stérile que l'amour de la réputation. Cependant, mes disciples, contentez-vous: si

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«< temps pour vous, qui avez à me survivre, vous << ne sauriez peser trop mûrement ce que vous de« vez faire. » Et ce furent là ses dernières paroles.

Cicéron, dans le troisième livre des Tusculanes, dit que Théophraste mourant se plaignit de la nature, de ce qu'elle avait accordé aux cerfs et aux corneilles une vie si longue, qui leur est inutile, lorsqu'elle n'avait donné aux hommes qu'une vie très-courte, bien qu'il leur importe si fort de vivre longtemps; que, si l'âge des hommes eût pu s'étendre à un plus grand nombre d'années, il serait arrivé que leur vie aurait été cultivée par une doctrine universelle, et qu'il n'y aurait eu dans le monde ni art ni science qui n'eût atteint sa perfection (18). Et saint Jérôme, dans l'endroit déja cité, assure que Théophraste, à l'âge de cent sept ans, frappé de la maladie dont il mourut, regretta de sortir de la vie dans un temps où il ne faisait que commencer à être sage (19).

Il avait coutume de dire qu'il ne faut pas aimer ses amis pour les éprouver, mais les éprouver pour les aimer; que les amis doivent être communs entre les frères, comme tout est commun entre les amis; que l'on devait plutôt se fier à un cheval sans frein, qu'à celui qui parle sans jugement; que la plus forte dépense que l'on puisse faire est celle du temps. Il dit un jour à un homme qui se taisait à table dans un festin : « Si tu es un habile homme, << tu as tort de ne pas parler; mais s'il n'est pas « ainsi, tu en sais beaucoup. » Voilà quelques-unes de ses maximes (20).

Mais si nous parlons de ses ouvrages, ils sont infinis, et nous n'apprenons pas que nul ancien ait plus écrit que Théophraste. Diogène Laërce fait l'énumération de plus de deux cents traités différents, et sur toutes sortes de sujets, qu'il a composés. La plus grande partie s'est perdue par le malheur des temps, et l'autre se réduit à vingt traités, qui sont recueillis dans le volume de ses œuvres. L'on y voit neuf livres de l'histoire des plantes, six livres de leurs causes : il a écrit des vents, du feu, des pierres, du miel, des signes du beau temps, des signes de la pluie, des signes de la tempête, des odeurs, de la sueur, du vertige, de la lassitude, du relâchement des nerfs, de la défaillance, des poissons qui vivent hors de l'eau, animaux qui changent de couleur, des animaux qui naissent subitement, des animaux sujets à l'envie, des caractères des mœurs. Voilà ce qui nous reste de ses écrits, entre lesquels ce dernier seul, dont on donne la traduction, peut répondre non-seulement de la beauté de ceux que l'on vient de déduire, mais encore du mérite d'un nombre infini

des

d'autres qui ne sont point venus jusqu'à nous (21). Que si quelques-uns se refroidissaient pour cet ouvrage moral par les choses qu'ils y voient, qui sont du temps auquel il a été écrit, et qui ne sont point selon leurs mœurs; que peuvent-ils faire de plus utile et de plus agréable pour eux, que de se défaire de cette prévention pour leurs coutumes et leurs manières, qui, sans autre discussion, nonseulement les leur fait trouver les meilleures de toutes, mais leur fait presque décider que tout ce qui n'y est pas conforme est méprisable, et qui les prive, dans la lecture des livres des anciens, du plaisir et de l'instruction qu'ils en doivent attendre ?

Nous, qui sommes si modernes, serons anciens dans quelques siècles. Alors l'histoire du nôtre fera goûter à la postérité la vénalité des charges, c'està-dire le pouvoir de protéger l'innocence, de punir le crime, et de faire justice à tout le monde, acheté à deniers comptants comme une métairie; la splendeur des partisans (22), gens si méprisés chez les Hébreux et chez les Grecs. L'on entendra parler d'une capitale d'un grand royaume où il n'y avait ni places publiques, ni bains, ni fontaines, ni amphithéâtres, ni galeries, ni portiques, ni promenoirs, qui était pourtant une ville merveilleuse. L'on dira que tout le cours de la vie s'y passait presque à sortir de sa maison pour aller se renfermer dans celle d'un autre; que d'honnêtes femmes, qui n'étaient ni marchandes ni hôtelières, avaient leurs maisons ouvertes à ceux qui payaient pour y entrer; que l'on avait à choisir des dés, des cartes, et de tous les jeux; que l'on mangeait dans ces maisons, et qu'elles étaient commodes à tout commerce. L'on saura que le peuple ne paraissait dans la ville que pour y passer avec précipitation; nul entretien, nulle familiarité; que tout y était farouche et comme alarmé par le bruit des chars qu'il fallait éviter, et qui s'abandonnaient au milieu des rues, comme on fait dans une lice pour remporter le prix de la course. L'on apprendra sans étonnement qu'en pleine paix, et dans une tranquillité publique, des citoyens entraient dans les temples, allaient voir des femmes, ou visitaient leurs amis, avec des armes offensives, et qu'il n'y avait presque personne qui n'eût à son côté de quoi pouvoir d'un seul coup en tuer un autre. Ou si ceux qui viendront après nous, rebutés par des mœurs si étranges et si différentes des leurs, se dégoûtent par là de nos mémoires, de nos poésies, de notre comique et de nos satires, pouvons-nous ne les pas plaindre par avance de se priver eux-mêmes, par cette fausse délicatesse, de la lecture de si beaux

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ouvrages, si travaillés, si réguliers, et de la connaissance du plus beau règne dont jamais l'histoire ait été embellie?

Ayons donc pour les livres des anciens cette même indulgence que nous espérons nous-mêmes de la postérité, persuadés que les hommes n'ont point d'usages ni de coutumes qui soient de tous les siècles; qu'elles changent avec le temps; que nous sommes trop éloignés de celles qui ont passé, et trop proches de celles qui règnent encore, pour être dans la distance qu'il faut pour faire des unes et des autres un juste discernement. Alors, ni ce que nous appelons la politesse de nos mœurs, ni la bienséance de nos coutumes, ni notre faste, ni notre magnificence, ne nous préviendront pas davantage contre la vie simple des Athéniens, que contre celle des premiers hommes, grands par eux-mêmes, et indépendamment de mille choses extérieures qui ont été depuis inventées pour suppléer peut-être à cette véritable grandeur qui n'est plus.

La nature se montrait en eux dans toute sa pureté et sa dignité, et n'était point encore souillée par la vanité, par le luxe et par la sotte ambition. Un homme n'était honoré sur la terre qu'à cause de sa force ou de sa vertu : il n'était point riche par des charges ou des pensions, mais par son champ, par ses troupeaux, par ses enfants et ses serviteurs; sa nourriture était saine et naturelle, les fruits de la terre, le lait de ses animaux et de ses brebis; ses vêtements simples et uniformes, leurs laines, leurs toisons; ses plaisirs innocents, une grande récolte, le mariage de ses enfants, l'union avec ses voisins, la paix dans sa famille. Rien n'est plus opposé à nos mœurs que toutes ces choses; mais l'éloignement des temps nous les fait goûter, ainsi que la distance des lieux nous fait recevoir tout ce que les diverses relations ou les livres de voyages nous apprennent des pays lointains et des nations étrangères.

Ils racontent une religion, une police, une manière de se nourrir, de s'habiller, de bâtir, et de faire la guerre, qu'on ne savait point, des mœurs que l'on ignorait : celles qui approchent des nôtres nous touchent, celles qui s'en éloignent nous étonnent; mais toutes nous amusent, moins rebutés par la barbarie des manières et des coutumes de peuples si éloignés, qu'instruits et même réjouis par leur nouveauté; il nous suffit que ceux dont il s'agit soient Siamois, Chinois, Nègres ou Abys

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nes, possédant si parfaitement le langage attique, et en ayant acquis l'accent par une habitude de tant d'années, il ne s'était pu donner ce que le simple peuple avait naturellement et sans nulle peine (24). Que si l'on ne laisse pas de lire quelquefois dans ce traité des Caractères de certaines mœurs qu'on ne peut excuser, et qui nous paraissent ridicules, il faut se souvenir qu'elles ont paru telles à Théophraste, qui les a regardées comme des vices dont il a fait une peinture naïve qui fit honte aux Athéniens et qui servit à les corriger.

sité des lieux et du climat le long intervalle des temps, et que nous considérions que ce livre a pu être écrit la dernière année de la cent quinzième olympiade, trois cent quatorze ans avant l'ère chrétienne, et qu'ainsi il y a deux mille ans accomplis que vivait ce peuple d'Athènes dont il fait la peinture, nous admirerons de nous y reconnaître nous-mêmes, nos amis, nos ennemis, ceux avec qui nous vivons, et que cette ressemblance avec des hommes séparés par tant de siècles soit si entière. En effet, les hommes n'ont point changé selon le cœur et selon les passions; ils sont encore tels qu'ils étaient alors et qu'ils sont marqués dans Théophraste, vains, dissimulés, flatteurs, intéressés, effrontés, importuns, défiants, médisants, que-mœurs, on les ajoute à cet ouvrage. L'on a cru relleurs, superstitieux.

Enfin, dans l'esprit de contenter ceux qui reçoivent froidement tout ce qui appartient aux étrangers et aux anciens, et qui n'estiment que leurs

pouvoir se dispenser de suivre le projet de ce philosophe, soit parce qu'il est toujours pernicieux de poursuivre le travail d'autrui, surtout si c'est d'un ancien ou d'un auteur d'une grande réputation; soit encore parce que cette unique figure qu'on appelle description ou énumération, employée avec tant de succès dans ces vingt-huit chapitres des Caractères, pourrait en avoir un beaucoup moindre, si elle était traitée par un génie fort inférieur à celui de Théophraste.

Au contraire, se ressouvenant que parmi le grand nombre des traités de ce philosophe, rapportés par Diogène Laërce, il s'en trouve un sous le titre de Proverbes, c'est-à-dire de pièces détachées, comme des réflexions ou des remarques; que le premier et le plus grand livre de morale qui ait été fait porte ce même nom dans les divines Écritures; on s'est trouvé excité, par de si grands modèles, à suivre, selon ses forces, une semblable manière d'écrire des mœurs (25); et l'on n'a point été détourné de son entreprise par deux ouvrages de morale qui sont dans les mains de tout le monde, et d'où, faute d'attention, ou par un esprit de critique, quelquesuns pourraient penser que ces remarques sont imi

Il est vrai, Athènes était libre, c'était le centre d'une république : ses citoyens étaient égaux; ils ne rougissaient point l'un de l'autre ; ils marchaient presque seuls et à pied dans une ville propre, paisible et spacieuse, entraient dans les boutiques et dans les marchés, achetaient eux-mêmes les choses nécessaires; l'émulation d'une cour ne les faisait point sortir d'une vie commune: ils réservaient leurs esclaves pour les bains, pour les repas, pour le service intérieur des maisons, pour les voyages; ils passaient une partie de leur vie dans les places, dans les temples, aux amphithéâtres, sur un port, sous des portiques, et au milieu d'une ville dont ils étaient également les maîtres. Là le peuple s'assemblait pour parler ou pour délibérer (23) des affaires publiques; ici il s'entretenait avec les étrangers; ailleurs les philosophes tantôt enseignaient leur doctrine, tantôt conféraient avec leurs disciples ces lieux étaient tout à la fois la scène des plaisirs et des affaires. Il y avait dans ces mœurs quelque chose de simple et de populaire, et qui ressemble peu aux nôtres, je l'avoue; mais cependant quels hommes en général que les Athéniens! et quelle ville qu'Athènes! quelles lois! quelle police!tées. quelle valeur! quelle discipline! quelle perfection dans toutes les sciences et dans tous les arts! mais quelle politesse dans le commerce ordinaire et dans le langage! Théophraste, le même Théophraste dont l'on vient de dire de si grandes choses, ce parleur agréable, cet homme qui s'exprimait divinement, fut reconnu étranger et appelé de ce nom par une simple femme de qui il achetait des herbes au marché, et qui reconnut, par je ne sais quoi d'attique qui lui manquait, et que les Romains ont depuis appelé urbanité, qu'il n'était pas Athénien: et Cicéron rapporte que ce grand personnage demeura étonné de voir qu'ayant vieilli dans Athè

:

L'un, par l'engagement de son auteur (26), fait servir la métaphysique à la religion, fait connaître l'âme, ses passions, ses vices, traite les grands et les sérieux motifs pour conduire à la vertu, et veut rendre l'homme chrétien. L'autre, qui est la production d'un esprit instruit par le commerce du monde (27), et dont la délicatesse était égale à la pénétration, observant que l'amour - propre est dans l'homme la cause de tous ses faibles, l'attaque sans relâche quelque part où il le trouve; et cette unique pensée, comme multipliée en mille autres, a toujours, par le choix des mots et par la variété de l'expression, la grâce de la nouveauté.

L'on ne suit aucune de ces routes dans l'ouvrage | tères de ces personnes semblent rentrer les uns

qui est joint à la traduction des Caractères; il est tout différent des deux autres que je viens de toucher: moins sublime que le premier, et moins délicat que le second, il ne tend qu'à rendre l'homme raisonnable, mais par des voies simples et communes, et en l'examinant indifféremment, sans beaucoup de méthode, et selon que les divers chapitres y conduisent, par les âges, les sexes et les conditions, et par les vices, les faibles et le ridicule qui y sont attachés.

L'on s'est plus appliqué aux vices de l'esprit, aux replis du cœur et à tout l'intérieur de l'homme, que n'a fait Théophraste et l'on peut dire que comme ses Caractères, par mille choses extérieures qu'ils font remarquer dans l'homme, par ses actions, ses paroles et ses démarches, apprennent quel est son fond, et font remonter jusqu'à la source de son déréglement; tout au contraire, les nouveaux Caractères, déployant d'abord les pensées, les sentiments et les mouvements des hommes, découvrent le principe de leur malice et de leurs faiblesses, font que l'on prévoit aisément tout ce qu'ils sont capables de dire ou de faire, et qu'on | ne s'étonne plus de mille actions vicieuses ou frivoles dont leur vie est toute remplie.

Il faut avouer que sur les titres de ces deux ouvrages l'embarras s'est trouvé presque égal. Pour ceux qui partagent le dernier, s'ils ne plaisent point assez, l'on permet d'en suppléer d'autres : mais, à l'égard des titres des Caractères de Théophraste, la même liberté n'est pas accordée, parce qu'on n'est point maître du bien d'autrui. Il a fallu suivre l'esprit de l'auteur, et les traduire selon le sens le plus proche de la diction grecque, et en même temps selon la plus exacte conformité avec leurs chapitres ce qui n'est pas une chose facile, parce que souvent la signification d'un terme grec traduit en français mot pour mot, n'est plus la même dans notre langue par exemple, ironie est chez nous une raillerie dans la conversation, ou une figure de rhétorique; et chez Théophraste c'est quelque chose entre la fourberie et la dissimulation, qui n'est pourtant ni l'une ni l'autre, mais précisément ce qui est décrit dans le premier chapitre.

Et d'ailleurs les Grecs ont quelquefois deux ou trois termes assez différents pour exprimer des choses qui le sont aussi, et que nous ne saurions guère rendre que par un seul mot : cette pauvreté embarrasse. En effet, l'on remarque dans cet ouvrage grec trois espèces d'avarice, deux sortes d'importuns, des flatteurs de deux manières, et autant de grands parleurs; de sorte que les carac

dans les autres au désavantage du titre : ils ne sont pas aussi toujours suivis et parfaitement conformes, parce que Théophraste, emporté quelquefois par le dessein qu'il a de faire des portraits, se trouve déterminé à ces changements par le caractère seul et les mœurs du personnage qu'il peint, ou dont il fait la satire (28).

Les définitions qui sont au commencement de chaque chapitre ont eu leurs difficultés. Elles sont courtes et concises dans Théophraste, selon la force du grec et le style d'Aristote, qui lui en a fourni les premières idées : on les étendues dans la traduction, pour les rendre intelligibles. Il se lit aussi, dans ce traité, des phrases qui ne sont pas achevées, et qui forment un sens imparfait, auquel il a été facile de suppléer le véritable: il s'y trouve de différentes leçons, quelques endroits tout à fait interrompus, et qui pouvaient recevoir diverses explications; et pour ne point s'égarer dans ces doutes, on a suivi les meilleurs interprètes.

Enfin, comme cet ouvrage n'est qu'une simple instruction sur les mœurs des hommes, et qu'il vise moins à les rendre savants qu'à les rendre sages, l'on s'est trouvé exempt de le charger de longues et curieuses observations ou de doctes commentaires qui rendissent un compte exact de l'antiquité (29). L'on s'est contenté de mettre de petites notes à côté de certains endroits que l'on a cru les mériter, afin que nuls de ceux qui ont de la justesse, de la vivacité, et à qui il ne manque que d'avoir lu beaucoup, ne se reprochent pas même ce petit défaut, ne puissent être arrêtés dans la lecture des Caractères, et douter un moment du sens de Théophraste.

NOTES ET ADDITIONS.

(1) Aristote fait, dans les ouvrages que la Bruyère vient de citer, et auxquels il faut ajouter celui que ce philosophe a adressé à son disciple Eudème, une énumération méthodique des vertus et des vices, en considérant les derniers comme s'écartant des premières en deux sens opposés, en plus et en moins. Il détermine les unes par les autres, et s'attache surtout à tracer les bornes par lesquelles la droite raison sépare les vertus de leurs extrêmes

vicieux.

Théophraste a suivi en général la carrière que son maitre avait ouverte, en transformant en science d'observation la morale qui avant lui était, pour ainsi dire, toute en action et en préceptes. Dans cet ouvrage en particulier, il profite souvent des définitions, et même quelquefois des distinctions et des subdivisions de son maître. Il ne nous présente, à la vérité, qu'une suite de caractères de vices et de ridicules, et en peint beaucoup de nuances qu'Aristote passe sous silence; mais il avait peut-être suivi, pour at

teindre le but moral qu'il se proposait, un plan assez analogue à celui d'Aristote, en rapprochant les tableaux des vices opposés à chaque vertu. La forme actuelle de son livre n'offre, à la vérité, que les traces d'un semblable plan, que l'on trouvera dans le tableau ci-après; mais cette collection de Caractères ne nous a été transmise que par morceaux détachés, trouvés successivement dans différents manuscrits; et nous sommes si peu certains d'en posséder la totalité, que nous ne savons même pas quelle en a été la forme primitive, ou la proportion de la partie qui nous reste à celle qui peut avoir péri avec la plupart des autres écrits de notre philosophe.

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(2) L'opinion de la Bruyère et d'autres traducteurs, que Théophraste annonce le projet de traiter dans ce livre des vertus comme des vices, n'est fondée que sur une interprétation peu exacte d'une phrase de la lettre à Polyclès, qui sert de préface à cet ouvrage. Voyez à ce sujet la note 3 sur ce morceau, dont même on ne peut en général rien conclure avec certitude, parce qu'il paraît être altéré par les abréviateurs et les copistes. Il est même à peu près certain qu'il s'y trouve une erreur grave sur l'âge de Théophraste; car l'opinion de saint Jérôme sur cet âge, que la Bruyère appelle, dans la phrase suivante, l'opinion coinmune, a au contraire été rejetée depuis par les meilleurs critiques qui se sont occupés de cet ouvrage, et par le célèbre chronologiste Corsini. Nous avons deux énumérations de philosophes remarquables par leur longévité, l'une de Lucien, l'autre de Censorinus, où Théophraste n'est point nommé; et comme on sait qu'il est mort la première année de la cent vingt-troisième olympiade, l'âge que lui donne saint Jérôme supposerait qu'il aurait eu neuf ans de plus qu'Aristote, dont il devait épouser la fille. D'ailleurs Cicéron, en citant le même trait que saint Jérôme (voyez ci-après notes 18 et 19), n'ajoute rien sur l'âge de Théophraste; et certainement si cet âge eût été aussi remarquable que le dit ce dernier, Cicéron n'aurait pas manqué de parler d'une circonstance qui rendait ce trait bien plus piquant. Il est donc plus que probable que saint Jérôme, qui n'a vécu qu'aux quatrième et cinquième

siècles, a été mal informé, et que la leçon de Diogène est la bonne. Or, d'après cet historien, notre philosophe n'a vécu en tout que quatre-vingt-cinq ans, tandis que l'avant-propos des Caractères lui en donne quatre-vingt-dixneuf. Ce ne peut être que par distraction que la Bruyère dit quatre-vingt-quinze ans; et j'aurais rectifié cette erreur manifeste dans le texte même, si je ne l'avais pas trouvée dans les éditions faites sous les yeux de l'auteur.

Mais quoi qu'il en soit de l'âge que ce philosophe a atteint, on verra, dans les notes 4 et 21 ci-après, qu'il a traité souvent, et sans doute longtemps avant sa mort, des caractères dans ses leçons et dans ses ouvrages; il est donc probable qu'il s'est occupé de faire connaître et aimer les vertus avant de ridiculiser les vices, et qu'il n'a point réservé la peinture des premières pour la fin de sa carrière.

(3) Les manuscrits ne varient point à ce sujet; mais ils paraissent, ainsi que je l'ai déjà observé, n'être tous que des copies d'un ancien extrait de l'ouvrage original. Les Caractères dont parle ici la Bruyère ont été trouvés depuis dans un manuscrit de Rome; ils ont été insérés dans cette édition, ainsi que d'autres additions trouvées dans le même manuscrit. (Voyez la préface, et la note 1 du chapitre xvr.)

(4) C'est Diogène Laërce qui nous apprend que Ménandre fut disciple de Théophraste: la Bruyère a fait ici un extrait suffisamment étendu de la Vie de notre philosophe donnée par Diogène; et nous n'avons point cru qu'il valût la peine d'insérer encore cette Vie en totalité, comme on l'a fait dans une autre édition. On sait que Ménandre fut le créateur de ce qu'on a appelé la nouvelle comédie, pour la distinguer de l'ancienne et de la moyenne, qui n'étaient que des satires personnelles assez amères, ou des farces plus ou moins grossières. Les anciens disaient de Ménandre qu'on ne savait pas si c'était lui qui avait imité la nature, où si la nature l'avait imité. On trouvera une petite notice sur la vie de cet intéressant auteur, et quelques fragments de ses comédies dont aucune ne nous est parvenue en entier, à la suite de la traduction de Théophraste par M. Levesque dans la collection des Moralistes anciens de Didot et De Bure.

Théophraste a écrit un livre sur la comédie, et Athénée nous apprend (livre Ier, chap. xxxvIII, page 78 du premier volume de l'édition de mon père) que dans le débit de ses leçons il se rapprochait en quelque sorte de l'action théâtrale, en accompagnant ses discours de tous les mouvements et des gestes analogues aux objets dont il parlait. On raconte même que, parlant un jour d'un gourmand, il tira la langue et se lécha les lèvres.

Je suis tenté de croire que les observations de Théophraste sur les caractères dont il entretenait ses disciples, et sans doute aussi ses amis, avec tant de vivacité, ont aussi introduit dans la géographie une attention plus scrupu leuse aux mœurs et aux usages des peuples. Nous avons des fragments de deux ouvrages relatifs à cette science, et composés à différentes époques par Dicéarque, condisciple et ami de notre philosophe. Le plus ancien de ces écrits, adressé à Théophraste lui-même, mais probablement avant la composition de ses Caractères, ne consiste qu'en vers techniques sur les noms des lieux; tandis que

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