I. Cela est admirable: oui, il faut croire; mais je hasarde peut-être trop. P. Voyons: puisqu'il y a pareil hasard de gain et de perte, quand vous n'auriez que deux vies à gagner pour une, vous pourriez encore gager. Et s'il y en avait dix à gagner, vous seriez imprudent de ne pas hasarder votre vie pour en gagner dix à un jeu où il y a pareil hasard de perte et de gain. Mais il y a ici une infinité de vies infiniment heureuses à gagner, avec pareil hasard de perte et de gain; et ce que vous jouez est si peu de chose et de si peu de durée, qu'il y a de la folie à le ménager en cette occasion. y a un enfer, et dans l'espérance d'être sauvé, s'il est? Quiconque, n'ayant plus que huit jours à vivre, ne jugerait pas que le parti le plus sûr est de croire que tout cela n'est pas un coup de hasard, aurait entièrement perdu l'esprit. Or, si les passions ne nous tenaient point, huit jours et cent ans sont une même chose. Quel mal vous arrivera-t-il en prenant ce parti? Vous serez fidèle, honnête, humble, reconnaissant, bienfaisant, sincère, véritable. A la vérité, vous ne serez point dans les plaisirs empestés, dans la gloire, dans les délices. Mais n'en aurezvous point d'autres? Je vous dis que vous ga gnerez en cette vie; et qu'à chaque pas que vous ferez dans ce chemin, vous verrez tant de certitude de gain, et taut de néant dans ce que vous hasardez, que vous connaîtrez à la fin que vous avez parie pour une chose certaine et infinie, et que vous n'avez rien donné pour l'obtenir. I. Oui, mais j'ai les mains liées et la bouche muette; on me force à parier, et je ne suis pas en liberté, on ne me relâche pas; et je suis fait de telle sorte que je ne puis croire. Que voulezvous donc que je fasse? Car il ne sert de rien de dire qu'il est incertain si on gagnera, et qu'il est certain qu'on hasarde; et que l'infinie distance qui est entre la certitude de ce qu'on expose et l'incertitude de ce que l'on gagnera égale le bien fini, qu'on expose certainement, à l'infini qui est incertain. Cela n'est pas ainsi tout joueur hasarde avec certitude pour gagner avec incertitude, et néanmoins il hasarde certainement le fini pour gagner incertainement le fini, sans pécher contre la raison. Il n'y a pas infinité de distance entre cette certitude de ce qu'on expose et l'incertitude du gain; cela est faux. Il y a, à la vérité, infinité entre la certitude de gagner et la certitude de perdre. Mais l'incertitude de gagner est proportionnée à la certitude de ce qu'on hasarde, selon la proportion des hasards de gain et de perte; et de là vient que, s'il y a autant de hasards d'un côté que de l'autre, la partie est à jouer égal contre égal; et alors la certitude de ce qu'on expose est égale à l'incertitude du gain, tant s'en faut qu'elle en soit infiniment distante. Et ainsi notre proposition est dans une force infinie, quand il n'y a que le finivent ce chemin que vous voudriez suivre; et ils à hasarder à un jeu où il y a pareils hasards de gain que de perte, et l'infini à gagner. Cela est démonstratif; et si les hommes sont capables de quelques vérités, ils doivent l'être de celle-là. I, Je le confesse, je l'avoue. Mais encore n'y aurait-il point de moyen de voir le dessous du jeu? P. Oui, par le moyen de l'Écriture, et par toutes les autres preuves de la religion qui sont infinies. I. Ceux qui espèrent leur salut, direz-vous, sont heureux en cela; mais ils ont pour contrepoids la crainte de l'enfer. P> Mais qui a le plus sujet de craindre l'enfer, ou celui qui est dans l'ignorance s'il y a un enfer, et dans la certitude de damnation, s'il y en a; ou celui qui est dans une persuasion certaine qu'il P. Apprenez au moins votre impuissance à croire, puisque la raison vous y porte, et que néanmoins vous ne le pouvez. Travaillez donc à vous convaincre, non pas par l'augmentation des preuves de Dieu, mais par la diminution de vos passions. Vous voulez aller à la foi, et vous n'en savez pas le chemin; vous voulez vous guérir de l'infidélité, et vous en demandez les remèdes: apprenez-les de ceux qui ont été tels que vous, et qui n'ont présentement aucun doute. Ils sa sont guéris d'un mal dont vous voulez guérir. Suivez la manière par où ils ont commencé; imitez leurs actions extérieures, si vous ne pouvez encore entrer dans leurs dispositions intérieures; quittez ces vains amusements qui vous occupent tout entier. J'aurais bientôt quitté ces plaisirs, dites-vous, si j'avais la foi. Et moi, je vous dis que vous auricz bientôt la foi, si vous aviez quitté ces plaisirs. Or, c'est à vous à commencer. Si je pouvais, je vous donnerais la foi je ne le puis, ni par conséquent éprouver la vérité de ce que vous dites; mais vous pouvez bien quitter ces plaisirs, et éprouver si ce que je dis est vrai. I. Ce discours me transporte, me ravit P. Si ce discours vous plaît et vous semble fort, sachez qu'il est fait par un homme qui s'est demandé à Dieu de l'aimer et de le suivre. mis à genoux auparavant et après pour prier cet | religion a fait tout cela; et nulle autre n'a jamais ètre infini et sans parties, auquel il soumet tout le sien, de se soumettre aussi le vôtre, pour votre propre bien et pour sa gloire; et qu'ainsi la force s'accorde avec cette bassesse'. VI. Il ne faut pas se méconnaître : nous sommes corps autant qu'esprit; et de là vient que l'instrument par lequel la persuasion se fait n'est pas la seule démonstration. Combien y a-t-il peu de choses démontrées! Les preuves ne convainquent que l'esprit. La coutume fait nos preuves les plus fortes; elle incline les sens, qui entraînent l'esprit sans qu'il y pense. Qui a démontré qu'il sera demain jour, et que nous mourrons? et qu'y a-t-il de plus universellement cru? C'est donc la coutume qui nous en persuade; c'est elle qui fait tant de turcs et de païens; c'est elle qui fait les métiers, les soldats, etc. Il est vrai qu'il ne faut pas commencer par elle pour trouver la vérité; mais il faut avoir recours à elle, quand une fois l'esprit a vu où est la vérité, afin de nous abreuver et de nous teindre de cette croyance qui nous échappe à toute heure: car d'en avoir toujours les preuves présentes, c'est trop d'affaire. Il faut acquérir une croyance plus facile, qui est celle de l'habitude, qui, sans violence, sans art, sans argument, nous fait croire les choses, et incline toutes nos puissances à cette croyance, en sorte que notre âme y tombe naturellement. Ce n'est pas assez de ne croire que par la force de la conviction, si les sens nous portent à croire le contraire. Il faut donc faire marcher nos deux pièces ensemble : l'esprit, par les raisons qu'il suffit d'avoir vues une fois en sa vie; et les sens, par la coutume, et en ne leur permettant pas de s'incliner au contraire. ARTICLE IV. Marques de la véritable religion. I. La vraie religion doit avoir pour marque d'obliger à aimer Dieu. Cela est bien juste. Et cependant aucune autre que la nôtre ne l'a ordonné. Elle doit encore avoir connu la concupiscence de l'homme, et l'impuissance où il est par lui-même l'acquérir la vertu. Elle doit y avoir apporté les remèdes, dont la prière est le principal. Notre 'Ici finit le dialogue. II. Il faut, pour faire qu'une religion soit vraie, qu'elle ait connu notre nature; car la vraie nature de l'homme, son vrai bien, la vraie vertu et la vraie religion, sont choses dont la connaissance est inséparable. Elle doit avoir connu la grandeur et la bassesse de l'homme, et la raison de l'une et de l'autre. Quelle autre religion que la chrétienne a connu toutes ces choses? III. Les autres religions, comme les païennes, sont plus populaires, car elles consistent toutes en extérieur mais elles ne sont pas pour : les gens habiles. Une religion purement intellectuelle serait plus proportionnée aux habiles; mais elle ne servirait pas au peuple. La seule religion chrétienne est proportionnée à tous, étant mêlée d'extérieur et d'intérieur. Elle élève le peuple à l'intérieur, et abaisse les superbes à l'extérieur, et n'est pas parfaite sans les deux : car il faut que le peuple entende l'esprit de la lettre, et que les habiles soumettent leur esprit à la lettre, en pratiquant ce qu'il y a d'extérieur. IV. Nous sommes haïssables: la raison nous en convainc. Or, nulle autre religion que la chrétienne ne propose de se haïr. Nulle autre religion ne peut donc être reçue de ceux qui savent qu'ils ne sont dignes que de haine. Nulle autre religion que la chrétienne n'a connu que l'homme est la plus excellente créature, et en même temps la plus misérable. Les uns, qui ont bien connu la réalité de son excellence, ont pris pour lâcheté et pour ingratitude les sentiments bas que les hommes ont naturellement d'eux-mêmes; et les autres, qui ont bien connu combien cette bassesse est effective, ont traité d'une superbe1 ridicule ces sentiments de grandeur, qui sont aussi naturels à l'homme. Nulle religion que la nôtre n'a enseigné que l'homme naît en péché; nulle secte de philosophes ne l'a dit : nulle n'a donc dit vrai. V. Dieu étant caché, toute religion qui ne dit pas I Orgueil. I traîné par leurs exemples. Mais cependant Moïse et d'autres voyaient celui qu'ils ne voyaient pas, et l'adoraient en regardant les biens éternels qu'il leur préparait. Les Grecs et les Latins ensuite ont fait régner les fausses divinités; les poëtes ont fait diverses théologies; les philosophes se sont séparés en mille sectes différentes et cependant il y avait toujours au cœur de la Judée des hommes choisis qui prédisaient la venue de ce Messie, qui n'était connu que d'eux. Il est venu enfin en la consommation des schismes et d'hérésies, tant renverser d'états, tant de changements en toutes choses, cette Église, qui adore celui qui a toujours été adoré, a subsisté sans interruption. Et ce qui est admirable, incomparable et tout à fait divin, c'est que cette religion, qui a toujours duré, a toujours été combattue. Mille fois elle a été à la veille d'une destruction universelle; et toutes les fois qu'elle a été en cet état, Dieu l'a relevée par des coups extraordinaires de sa puissance. C'est ce qui est étonnant, et qu'elle s'est maintenue sans fléchir et plier sous la volonté des tyrans. que Dieu est caché n'est pas véritable; et toute religion qui n'en rend pas la raison n'est pas instruisante. La nôtre fait tout cela. Cette religion, qui consiste à croire que l'homme est tombé d'un état de gloire et de communication avec Dieu en un état de tristesse, de pénitence et d'éloignement de Dieu, mais qu'enfin il serait rétabli par un Messie qui devait venir, a toujours été sur la terre. Toutes choses ont passé, et celle-là a subsisté pour laquelle sont toutes choses. Car Dieu voulant se former un peuple saint, qu'il séparerait de toutes les autres nations, qu'il délivrerait de ses ennemis, qu'il mettrait dans un lieu de re-temps: et depuis, quoiqu'on ait vu naître tant de pos, a promis de le faire, et de venir au monde pour cela; et il a prédit par ses prophètes le temps et la manière de sa venue. Et cependant, pour affermir l'espérance de ses élus dans tous les temps, il leur en a toujours fait voir des images et des figures; et il ne les a jamais laissés sans des assurances de sa puissance et de sa volonté pour leur salut. Car, dans la création de l'homme, Adam était le témoin et le depositaire de la promesse du Sauveur, qui devait naître de la femme. Et quoique les hommes, étant encore si proches de la création, ne pussent avoir oublié leur création et leur chute, et la promesse que Dieu leur avait faite d'un Rédempteur; néanmoins, comme dans ce premier âge du monde ils se laissèrent emporter à toutes sortes de désordres, il y avait cependant des saints, comme Énoch, Lamech, et d'autres, qui attendaient en patience le Christ promis dès le commencement du monde. Ensuite Dieu a envoyé Noé, qui a vu la malice des hommes au plus haut degré; et il l'a sauvé en noyant toute la terre, par un miracle qui marquait assez et le pouvoir qu'il avait de sauver le monde, et la volonté qu'il avait de le faire, et de faire naître de la femme celui qu'il avait promis. Ce miracle suffisait pour affermir l'espérance des hommes; et la mémoire en étant encore assez fraîche parmi eux, Dieu fit des promesses à Abraham, qui était tout environné d'idolâtres, et il lui fit connaître le mystère du Messie qu'il devait envoyer. Au temps d'Isaac et de Jacob, l'abomination s'était répandue sur toute la terre: mais ces saints vivaient en la foi; et Jacob, mourant et bénissant ses enfants, s'écrie, par un transport qui lui fait interrompre son discours : J'attends, & mon Dieu! le Sauveur que vous avez promis: Salutare tuum expectabo, Domine. (Genes., XLIX, 18). Les Égyptiens étaient infectés, et d'idolâtrie, et de magie; le peuple de Dieu même était en VI. Les états périraient, si on ne faisait plier sóuvent les lois à la nécessité. Mais jamais la religion n'a souffert cela, et n'en a usé. Aussi il faut ces accommodements, ou des miracles. Il n'est pas étrange qu'on se conserve en pliant, et ce n'est pas proprement se maintenir; et encore périssentils enfin entièrement: il n'y en a point qui ait duré quinze cents ans. Mais que cette religion se soit toujours maintenue et inflexible2, cela est divin. VII. Il y aurait trop d'obscurité, si la vérité n'avait pas des marques visibles. C'en est une admirable qu'elle se soit toujours conservée dans une Église et une assemblée visible. Il y aurait trop de clarté s'il n'y avait qu'un sentiment dans cette Église ; mais, pour reconnaître quel est le vrai, il n'y a qu'à voir quel est celui qui y a toujours été : car il est certain que le vrai y a toujours été, et qu'aucun faux n'y a toujours été. Ainsi le Messie a toujours été cru. La tradition d'Adam était encore nouvelle en Noé et en Moïse. Les prophètes l'ont prédit depuis, en prédisant d'autres choses dont les événements, qui arrivaient de temps en temps Peut-être devrait-on lire ici croyaient. 2 C'est-à-dire et soit toujours demeurée inflexible. à la vue des hommes, marquaient la vérité de leur mission, et par conséquent celle de leurs promesses touchant le Messie. Ils ont tous dit que la loi qu'ils avaient n'était qu'en attendant celle du Messie; que jusque-là elle serait perpétuelle, mais que l'autre durerait éternellement; qu'ainsi leur loi, ou celle du Messie, dont elle était la promesse, seraient toujours sur la terre. En effet, elle a toujours duré: et Jésus-Christ est venu dans toutes les circonstances prédites. Il a fait des miracles, et les apôtres aussi, qui ont converti les païens; et par là les prophéties étant accomplies, le Messie est prouvé pour jamais. VIII. Je vois plusieurs religions contraires, et par conséquent toutes fausses, excepté une. Chacune veut être crue par sa propre autorité, et menace les incrédules. Je ne les crois donc pas là-dessus; chacun peut dire cela, chacun peut se dire prophète. Mais je vois la religion chrétienne où je trouve des prophéties accomplies, et une infinité de miracles si bien attestés, qu'on ne peut raisonnablement en douter; et c'est ce que je ne trouve point dans les autres. IX. La seule religion contraire à la nature en l'état qu'elle est, qui combat tous nos plaisirs, et qui paraît d'abord contraire au sens commun, est la seule qui ait toujours été. X. Toute la conduite des choses doit avoir pour objet l'établissement et la grandeur de la religion; les hommes doivent avoir en eux-mêmes des sentiments conformes à ce qu'elle nous enseigne; et enfin elle doit être tellement l'objet et le centre où toutes choses tendent', que qui en saura les principes puisse rendre raison, et de toute la nature de l'homme en particulier, et de toute la conduite du monde en général. Sur ce fondement, les impies prennent lieu de blasphémer la religion chrétienne, parce qu'ils la connaissent mal. Ils s'imaginent qu'elle consiste simplement en l'adoration d'un Dieu considéré comme grand, puissant et éternel: ce qui est proprement le déisme, presque aussi éloigné de la religion chrétienne que l'athéisme, qui y est tout à fait contraire. Et de là ils concluent que cette religion n'est pas véritable, parce que, si elle l'était, il faudrait que Dieu se manifestát aux hommes par des preuves si sensibles, qu'il fût impossible que personne le méconnût. Mais qu'ils en concluent ce qu'ils voudront contre le déisme, ils n'en concluront rien contre la religion chrétienne, qui reconnaît que, depuis le péché, Dieu ne se montre point aux hommes avec toute l'évidence qu'il pourrait faire; et qui consiste proprement au mystère du Rédempteur, qui, unissant en lui les deux natures, divine et humaine, a retiré les hommes de la corruption du péché, pour les réconcilier à Dieu en sa personne divine. Elle enseigne donc aux hommes ces deux vérités, et qu'il y a un Dieu dont ils sont capables, et qu'il y a une corruption dans la nature qui les en rend indignes. Il importe également aux hommes de connaître l'un et l'autre de ces points: et il est également dangereux à l'homme de connaître Dieu sans connaître sa misère, et de connaître sa misère sans connaître le Rédempteur qui peut l'en guérir. Une seule de ces connaissances fait, ou l'orgueil des philosophes qui ont connu Dieu, et non leur misère, ou le désespoir des athées, qui connaissent leur misère sans Rédempteur. Et ainsi, comme il est également de la nécessité de l'homme de connaître ces deux points, il est aussi également de la miséricorde de Dieu de nous les avoir fait connaître. La religion chrétienne le fait; c'est en cela qu'elle consiste. Qu'on examine l'ordre du monde sur cela, et qu'on voie si toutes choses ne tendent pas à l'établissement des deux chefs de cette religion. XI. Si l'on ne se connait plein d'orgueil, d'ambition, de concupiscence, de faiblesse, de misère, d'injustice, on est bien aveugle. Et si en le reconnaissant on ne désire d'en être délivré, que peut-on dire d'un homme si peu raisonnable? Que peut-on donc avoir que de l'estime pour une religion qui connaît si bien les défauts de l'homme, et que du désir pour la vérité d'une religion qui y promet des remèdes si souhaitables? XII. Il est impossible d'envisager toutes les preuves de la religion chrétienne ramassées ensemble, sans en ressentir la force, à laquelle nul homme raisonnable ne peut résister. Que l'on considère son établissement; qu'une religion si contraire à la nature se soit établie par elle-même si doucement, sans aucune force, ni contrainte, et si fortement néanmoins qu'aucuns tourments n'ont pu empêcher les martyrs de la confesser ; et que tout cela se soit fait, non-seulement sans l'assistance d'aucun prince, mais malgré tous les princes de la terre, qui l'ont combattue. Que l'on considère la sainteté, la hauteur et l'humilité d'une âme chrétienne. Les philosophes païens se sont quelquefois élevés au-dessus du reste des hommes par une manière de vivre plus réglée, et par des sentiments qui avaient quelque conformité avec ceux du christianisme. Mais ils n'ont jamais reconnu pour vertu ce que les chrétiens appellent humilité, et ils l'auraient même crue incompatible avec les autres dont ils faisaient profession. Il n'y a que la religion chrétienne qui ait su joindre ensemble des choses qui avaient paru jusque-là si opposées, et qui ait appris aux hommes que, bien loin que l'humilité soit incompatible avec les autres vertus, sans elle toutes les autres vertus ne sont que des vices et des défauts. Que l'on considère les merveilles de l'Écriture sainte, qui sont infinies, la grandeur et la sublimité plus qu'humaine des choses qu'elle contient, et la simplicité admirable de son style, qui n'a rien d'affecté, rien de recherché, et qui porte un caractère de vérité qu'on ne saurait désavouer. Que l'on considère la personne de Jésus-Christ en particulier. Quelque sentiment qu'on ait de lui, on ne peut pas disconvenir qu'il n'eût un esprit très-grand et très-relevé, dont il avait donné des marques dès son enfance, devant les docteurs de la loi et cependant, au lieu de s'appliquer à cultiver ses talents par l'étude et la frequentation des savants, il passe trente ans de sa vie dans le travail des mains et dans une retraite entière du monde; et pendant les trois années de sa prédication, il appelle à sa compagnie et choisit pour ses apôtres des gens sans science, sans étude, sans crédit; et il s'attire pour ennemis ceux qui passaient pour les plus savants et les plus sages de son temps. C'est une étrange conduite pour un homme qui a dessein d'établir une nouvelle religion. Que l'on considère en particulier ces apôtres choisis par Jésus-Christ, ces gens sans lettres, sans étude, et qui se trouvent tout d'un coup assez savants pour confondre les plus habiles philosophes, et assez forts pour résister aux rois et aux tyrans qui s'opposaient à l'établissement de la religion chrétienne qu'ils annonçaient. Que l'on considère cette suite merveilleuse de prophètes qui se sont succédé les uns aux autres pendant deux mille ans, et qui ont tous prédit en tant de manières différentes jusques aux moindres circonstances de la vie de Jésus-Christ, de sa mort, de sa résurrection, de la mission des apôtres, de la prédication de l'Évangile, de la conversion des nations, et de plusieurs autres choses qui concernent l'établissement de la religion chrétienne et l'abolition du judaïsme. Que l'on considère l'accomplissement admirable de ces prophéties, qui conviennent si parfaitement à la personne de Jésus-Christ, qu'il est impossible de ne pas le reconnaître, à moins de vouloir s'aveugler soi-même. Que l'on considère l'état du peuple juif, et devant et après la venue de Jésus-Christ, son état florissant avant la venue du Sauveur, et son état plein de misères depuis qu'ils l'ont rejeté : car ils sont encore aujourd'hui sans aucune marque de religion, sans temple, sans sacrifices, dispersés par toute la terre, le mépris et le rebut de toutes les nations. Que l'on considère la perpétuité de la religion chrétienne, qui a toujours subsisté depuis le commencement du monde, soit dans les saints de l'Ancien Testament, qui ont vécu dans l'attente de Jésus-Christ avant sa venue; soit dans ceux qui l'ont reçu et qui ont cru en lui depuis sa venue au lieu que nulle autre religion n'a la perpétuité, qui est la principale marque de la véritable. Enfin, que l'on considère la sainteté de cette religion, sa doctrine, qui rend raison de tout jusques aux contrariétés qui se rencontrent dans l'homme, et toutes les autres choses singulières, surnaturelles et divines qui y éclatent de toutes parts. Et qu'on juge, après tout cela, s'il est possible de douter que la religion chrétienne soit la seule véritable, et si jamais aucune autre a rien eu qui en approchât. ARTICLE V. Véritable religion prouvée par les contrariétés qui sont dans l'homme, et par le péché originel. I. Les grandeurs et les misères de l'homme sont tellement visibles, qu'il faut nécessairement que la véritable religion nous enseigne qu'il y a en lui quelque grand principe de grandeur, et en même temps quelque grand principe de misère. |