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Je ne vous dirai rien cependant sur les avertissemens pleins de faussetés scandaleuses par où vous finissez chaque imposture : je repartirai à tout cela dans la lettre où j'espère montrer la source de vos calomnies. Je vous plains, mes pères, d'avoir recours à de tels remèdes. Les injures que vous me dites n'éclairciront pas nos différends, et les menaces que vous me faites en tant de façons ne m'empêcheront pas de me défendre Vous croyez avoir la force et l'impunité, mais je crois avoir la vérité et l'innocence. C'est une étrange et longue guerre que celle où la violence essaye d'opprimer la vérité. Tous les efforts de la violence ne peuvent affoiblir la vérité, et ne servent qu'à la relever davantage. Toutes les lumières de la vérité ne peuvent rien pour arrêter la violence, et ne font que l'irriter encore plus. Quand la force combat la force, la plus puissante détruit la moindre: quand on oppose les discours aux discours, ceux qui sont véritables et convaincans confondent et dissipent ceux qui n'ont que la vanité et le mensonge : mais la violence et la vérité ne peuvent rien l'une sur l'autre. Qu'on ne prétende pas de là néanmoins que les choses soient égales: car il y a cette extrême différence, que la violence n'a qu'un cours borné par l'ordre de Dieu, qui en conduit les effets à la gloire de la vérité qu'elle attaque; au lieu que la vérité subsiste éternellement, et triomphe enfin de ses ennemis, parce qu'elle est éternelle et puissante comme Dieu meme.

REFUTATION

De la réponse des jésuites à la douzième lettre1.
Monsieur,

Qui que vous soyez qui avez entrepris de défendre les jésuites contre les Lettres qui découvrent si clairement le déréglement de leur morale, il paroît, par le soin que vous prenez de les secourir, que vous avez bien connu leur foiblesse, et en cela on ne peut blâmer votre jugement. Mais si vous aviez pensé de pouvoir les justifier en effet, vous ne seriez pas excusable. Aussi j'ai meilleure opinion de vous, et je m'assure que votre dessein est seulement de détourner l'auteur des Lettres par cette diversion artificieuse. Vous n'y avez pourtant pas réussi; et j'ai bien de la joie de ce que la treizième vient de paroître, sans qu'il ait reparti à ce que vous avez fait sur la onzième et sur la douzième, et sans avoir seulement pensé à vous. Cela me fait espérer qu'il négligera de même les autres. Vous ne devez pas douter, monsieur, qu'il ne lui eût été bien facile de vous pousser. Vous voyez comment il mène la Société entière: qu'eût-ce donc été s'il vous eût entrepris en particulier? Jugez-en par la manière dont je vas vous répondre sur ce que vous avez écrit contre sa douzième lettre.

Je vous laisserai, monsieur, toutes vos injures. L'auteur des Lettres a promis d'y satisfaire, et je crois qu'il le fera de telle sorte, qu'il ne vous restera que la honte et le repentir. Il ne lui sera pas difficile de couvrir

1. Cette lettre, dont l'auteur n'est pas connu, a été insérée par presque tous les éditeurs à la suite de la douzième lettre de Pascal.

de confusion de simples particuliers comme vous et vos jésuites, qui, par un attentat criminel, usurpent l'autorité de l'Eglise pour traiter d'hérétiques ceux qu'il leur plaît, lorsqu'ils se voient dans l'impuissance de se défendre contre les justes reproches qu'on leur fait de leurs méchantes maximes. Mais, pour moi, je me resserrerai dans la réfutation des nouvelles impostures que vous employez pour la justification de ces casuistes. Commençons par le grand Vasquez.

Vous ne répondez rien à tout ce que l'auteur des Lettres a rapporté pour faire voir sa mauvaise doctrine touchant l'aumône; et vous l'accusez seulement en l'air de quatre faussetés, dont la première est qu'il a supprimé du passage de Vasquez, cité dans la sixième lettre, ces paroles: Statum quem licite possunt acquirere; et qu'il a dissimulé le reproche qu'on lui en fait.

Je vois bien, monsieur, que vous avez cru, sur la foi des jésuites, vos chers amis, que ces paroles-là sont dans le passage qu'a cité l'auteur des Lettres; car si vous eussiez su qu'elles n'y sont pas, vous eussiez blâmé ces pères de lui avoir fait ce reproche, plutôt que de vous étonner de ce qu'il n'avoit pas daigné répondre à une objection si vaine. Mais ne vous fiez pas tant à eux, vous y seriez souvent attrapé. Considérez vousmême dans Vasquez le passage que l'auteur en a rapporté. Vous le trouverez (de Eleem., cap. IV, n. 14); mais vous n'y verrez aucune de ces paroles qu'on dit qu'il en a supprimées, et vous serez bien étonné de ne les trouver que quinze pages auparavant. Je ne doute point qu'après cela vous ne vous plaigniez de ces bons pères, et que vous ne jugiez bien que, pour accuser cet auteur d'avoir supprimé ces paroles de ce passage, il faudroit l'obliger de rapporter des passages de quinze pages in-folio dans une lettre de huit pages in-4°, où il a accoutumé d'en rapporter trente ou quarante, ce qui ne seroit pas raisonnable.

Ces paroles ne peuvent donc servir qu'à vous convaincre vous-même d'imposture, et elles ne servent pas aussi davantage pour justifier Vasquez. On a accusé ce jésuite d'avoir ruiné le précepte de Jésus-Christ, qui oblige les riches de faire l'aumône de leur superflu, en soutenant « que ce que les riches gardent pour relever leur condition, ou celle de leurs parens, n'est pas superflu; et qu'ainsi à peine en trouvera-t-on dans les gens du monde, et non pas même dans les rois. » C'est cette conséquence, « qu'il n'y a presque jamais de superflu dans les gens du monde, » qui ruine l'obligation de donner l'aumône, puisqu'on en conclut, par nécessité, que, n'ayant point de superflu, ils ne sont pas obligés de le donner. Si c'étoit l'auteur des Lettres qui l'eût tirée, vous auriez quelque sujet de prétendre qu'elle n'est pas enfermée dans ce principe, « que ce que les riches gardent pour relever leur condition ou celle de leurs parens n'est pas appelé superflu. » Mais il l'a trouvée toute tirée dans Vasquez. Il y a lu ces paroles, si éloignées de l'esprit de l'Évangile et de la modération chrétienne, « qu'à peine trouvera-t-on du superflu dans les gens du monde, et non pas même dans les rois. » Il y a lu encore cette dernière conclusion rapportée dans la douzième lettre « A peine est-on obligé de donner l'aumône quand on n'est obligé à la donner que de son superflu; » et ce qui est remarquable, c'est

qu'elle se voit au même lieu que ces paroles: Statum quem licite possunt acquirere, par lesquelles vous prétendez l'éluder. Vous chicanez donc inutilement sur le principe, lorsque vous êtes obligé de vous taire sur les conséquences qui sont formellement dans Vasquez, et qui suffisent pour anéantir le précepte de Jésus-Christ, comme on l'a accusé de l'avoir fait. Si Vasquez les avoit mal tirées de son principe, il y auroit joint une faute de jugement avec une erreur dans la morale; et il n'en': seroit pas plus innocent, ni le précepte de Jésus-Christ moins anéanti. Mais il paroîtra, par la réfutation de la seconde fausseté que vous reprochez à l'auteur des Lettres, que ces mauvaises conséquences sont bien tirées du mauvais principe que Vasquez établit au même lieu; et mais que ce jésuite n'a pas péché contre les règles du raisonnement, contre celles de l'Évangile.

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Cette seconde fausseté que vous dites qu'il a dissimulée après en avoir été convaincu, est qu'il a omis ces paroles par un dessein outrageux, pour corrompre la pensée de ce père et en tirer cette conclusion scandaleuse, « qu'il ne faut, selon Vasquez, qu'avoir beaucoup d'ambition pour n'avoir point de superflu; » sur cela, monsieur, je vous pourrois dire, en un mot, qu'il n'y eut jamais d'accusation moins raisonnable que celle-là. Les jésuites ne se sont jamais plaints de cette conséquence. Et cependant vous reprochez à l'auteur des Lettres de n'avoir pas répondu à une objection qu'on ne lui avoit pas encore faite. Mais si vous croyez avoir été en cela plus clairvoyant que toute cette Compagnie, sera aisé de vous guérir de cette vanité, qui seroit injurieuse à ce grand corps. Car comment pouvez-vous nier que de ce principe de Vasquez, « ce que l'on garde pour relever sa condition ou celle de ses parens n'est pas appelé superflu, » on ne conclue nécessairement qu'il ne faut qu'avoir beaucoup d'ambition pour n'avoir point de superflu? Je vous permets de bon cœur d'y ajouter encore la condition qu'il exprime en un autre endroit, qui est que l'on ne veuille relever son état que par des voies légitimes: Statum quem licite possunt acquirere. Cela n'empêchera pas la vérité de la conséquence que vous accusez de fausseté.

Il est vrai, monsieur, qu'il y a quelques riches qui peuvent relever leur condition par des voies légitimes. L'utilité publique en peut quelquefois justifier le désir, pourvu qu'ils ne considèrent pas tant leur propre honneur et leur propre intérêt que l'honneur de Dieu et l'intérêt du public; mais il est très-rare que l'esprit de Jésus-Christ, sans lequel il n'y a point d'intentions pures, inspire ces sortes de désirs aux riches du monde : il les porte bien plutôt à diminuer ce poids inutile qui les empêche de s'élever vers le ciel, et à craindre ces paroles de son Evangile, « que celui qui s'élève sera abaissé. » Ainsi ces désirs que l'on voit dans la plupart des hommes du siècle, de monter toujours à une condition plus haute, et d'y faire monter leurs parens, quoique par des voies légitimes, ne sont pour l'ordinaire que des effets d'une cupidité terrestre et d'une véritable ambition. Car c'est, monsieur, une erreur grossière de croire qu'il n'y ait point d'ambition à désirer de relever sa condition que lorsqu'on se veut servir de moyens injustes; et c'est cette erreur que saint Augustin condamne dans le livre de la Patience

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(chap. 1), lorsqu'il dit : « L'amour de l'argent et le désir de la gloire sont des folies que le monde croit permises; et on s'imagine que l'avarice, l'ambition, le luxe, les divertissemens des spectacles sont innocens, lorsqu'ils ne nous font point tomber dans quelque crime ou quelque désordre que les lois défendent. » L'ambition consiste à désirer l'élèvement pour l'élèvement, et l'honneur pour l'honneur, comme l'avarice à aimer les richesses pour les richesses. Si vous y joignez les moyens injustes, vous la rendez plus criminelle; mais, en substituant des moyens légitimes, vous ne la rendez pas innocente. Or, Vasquez ne parle pas de ces occasions dans lesquelles quelques gens de bien désirent de changer de condition, et sont dans l'attente probable de le faire, comme dit le cardinal Cajetan. S'il en parloit, il auroit été ridicule d'en conclure, comme il a fait, que l'on ne trouve presque jamais de superflu dans les gens du monde; puisque des occasions très-rares, qui ne peuvent arriver qu'une ou deux fois dans la vie, et qui ne se rencontrent que dans un très-petit nombre de riches, à qui Dieu fait connoître qu'ils ne se nuiront pas à eux-mêmes en s'élevant pour servir les autres, ne peuvent pas empêcher que la plupart des riches n'aient beaucoup de superflu. Mais il parle d'un désir vague et indéterminé de s'agrandir, il parle d'un désir de s'élever sans aucunes bornes; puisque, s'il étoit borné, les riches commenceroient d'avoir du superflu lorsqu'ils y seroient arrivés.

Et enfin il croit que ce désir est si généralement permis, qu'il empêche tous les riches d'avoir presque jamais du superflu.

C'est, monsieur, afin que vous l'entendiez, cette prétention de s'agrandir et de s'élever toujours dans le siècle à une condition plus haute, quoique par des moyens légitimes, ad statum quem licite possunt acquirere, que l'auteur des Lettres a appelée du nom d'ambition, parce que c'est le nom que les pères lui donnent, et qu'on lui donne même dans le monde. Il n'a pas été obligé d'imiter une des plus ordinaires adresses de ces mauvais casuites, qui est de bannir les noms des vices, et de retenir les vices mêmes sous d'autres noms. Quand donc ces paroles, statum quem licite possunt acquirere, auroient été dans le passage qu'il a cité, il n'auroit pas eu besoin de les retrancher pour le rendre criminel. C'est en les y joignant qu'il a droit d'accuser Vasquez que, selon lui, il ne faut qu'avoir de l'ambition pour n'avoir point de superflu. Il n'est pas le premier qui a tiré cette conséquence de cette doctrine. M. du Val l'avoit fait avant lui en termes formels, en combattant cette mauvaise maxime (t. II, quest. vIII, p. 576): « Il s'ensuivroit, dit-il, que celui qui désireroit une plus haute dignité, c'est-àdire qui auroit une plus grande ambition, n'auroit point de superflu, quoiqu'il eût beaucoup plus qu'il ne lui faut selon sa condition présente Sequeretur eum qui hanc dignitatem cuperet, seu qui MAJORI AMBITIONE DUCERETUR, havendo plurima supra decentiam sui status, non habiturum superflua. »

Vous avez donc fort mal réussi, monsieur, dans les deux premières faussetés que vous reprochez à l'auteur des Lettres. Voyons si vous serez mieux fondé dans les deux autres que vous l'accusez d'avoir faites en se

défendant. La première est qu'il assure que Vasquez n'oblige point les riches de donner de ce qui est nécessaire à leur condition. Il est bien aisé de vous répondre sur ce point : car il n'y a qu'à vous dire nettement que cela est faux, et qu'il a dit tout le contraire. Il n'en faut point d'autre preuve que le passage même que vous produisez trois lignes après, où il rapporte que Vasquez « oblige les riches de donner du nécessaire en certaines occasions. >>

Votre dernière plainte n'est pas moins déraisonnable. En voici le sujet. L'auteur des Lettres a repris deux décisions dans la doctrine de Vasquez: l'une, « que les riches ne sont point obligés, ni par justice, ni par charité, de donner de leur superflu, et encore moins du nécessaire dans tous les besoins ordinaires des pauvres; » l'autre, « qu'ils ne sont obligés de donner du nécessaire qu'en des rencontres si rares, qu'elles n'arrivent presque jamais. >> Vous n'aviez rien à répondre sur la première de ces décisions, qui est la plus méchante. Que faites-vous làdessus? Vous les joignez ensemble; et, apportant quelque mauvaise défaite sur la dernière, vous voulez faire croire que vous avez répondu sur toutes les deux. Ainsi, pour démêler ce que vous voulez embarrasser à dessein, je vous demande à vous-même s'il n'est pas vrai que Vasquez enseigne que les riches ne sont jamais obligés de donner ni du superflu, ni du nécessaire, ni par charité, ni par justice, dans les nécessités ordinaires des pauvres? L'auteur des Lettres ne l'a-t-il pas prouvé par ce passage formel de Vasquez:« Corduba enseigne que, lorsqu'on a du superflu, on est obligé d'en donner à ceux qui sont dans une nécessité ordinaire, au moins une partie, afin d'accomplir le précepte en quelque chose?» (Remarquez qu'il ne s'agit point en cet endroit si on y est obligé par justice ou par charité, mais si on y est obligé absolument.) Voyons donc quelle sera la décision de votre Vasquez. «Mais cela ne me plaît pas, sed hoc non placet; car nous avons montré le contraire contre Cajetan et Navarre. » Voilà à quoi vous ne répondez point, laissant ainsi vos jésuites convaincus d'une erreur si contraire à l'Evangile.

Et quant à la seconde décision de Vasquez, qui est que les riches ne sont obligés de donner du nécessaire à leur condition qu'en des rencontres si rares, qu'elles n'arrivent presque jamais, l'auteur des Lettres ne l'a pas moins clairement prouvé par l'assemblage des conditions que ce jésuite demande pour former cette obligation: savoir, « que l'on sache que le pauvre qui est dans la nécessité urgente ne sera assisté de personne que de nous; et que cette nécessité le menace de quelque accident mortel, ou de perdre sa réputation. » Il a demandé sur cela si ces rencontres étoient fort ordinaires dans Paris; et enfin il a pressé les jésuites par cet argument: que Vasquez permettant aux pauvres de voler les riches dans les mêmes circonstances où il oblige les riches d'assister les pauvres, il faut qu'il ait cru, ou que ces occasions étoient fort rares, ou qu'il étoit ordinairement permis de voler. Qu'avez-vous répondu à cela, monsieur? Vous avez dissimulé toutes ces preuves, et vous vous êtes contenté de rapporter trois passages de Vasquez, où il dit dans les deux premiers que les riches sont obligés d'assister les pauvres dans les nécessités urgentes, ce que l'auteur des Lettres reconnoît expressément;

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