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"Avec combien peu d'orgueil un chrétien se croit-il uni à Dieu! avec combien peu d'abjection s'égale-t-il aux vers de la terre ! La belle manière de recevoir la vie et la mort, les biens et les maux!

Incompréhensible.

-

9.

Tout ce qui est incompréhensible ne laisse pas d'être. Le nombre infini. Un espace infini, égal au fini. Incroyable que Dieu s'unisse à nous. - Cette considération n'est tirée que de la vue de notre bassesse. Mais si vous l'avez bien sincère, suivez-la aussi loin que moi, et reconnoissez que nous sommes en effet si bas, que nous sommes par nous-mêmes incapables de connoître si sa miséricorde ne peut pas nous rendre capables de lui. Car je voudrois bien savoir d'où cet animal, qui se reconnoît si foible, a le droit de mesurer la miséricorde de Dieu, et d'y mettre les bornes que sa fantaisie lui suggère. L'homme sait si peu ce que c'est que Dieu, qu'il ne sait pas ce qu'il est lui-même : et, tout troublé de la vue de son propre état, il ose dire que Dieu ne peut pas le rendre capable de sa communication! Mais je voudrois lui demander si Dieu demande autre chose de lui, sinon qu'il l'aime en le connoissant; et pourquoi il croit que Dieu ne peut se rendre connoissable et aimable à lui, puisqu'il est naturellement capable d'amour et de connoissance. Il est sans doute qu'il connoît au moins qu'il est, et qu'il aime quelque chose. Donc s'il voit quelque chose dans les ténèbres où il est, et s'il trouve quelque sujet d'amour parmi les choses de la terre, pourquoi, si Dieu lui donne quelques rayons de son essence, ne sera-t-il pas capable de le connoître et de l'aimer en la manière qu'il lui plaira se communiquer à nous? Il y a donc sans doute une présomption insupportable dans ces sortes de raisonnemens, quoiqu'ils paroissent fondés sur une humilité apparente, qui n'est ni sincère, ni raisonnable, si elle ne nous fait confesser que, ne sachant de nous-mêmes qui nous sommes, nous ne pouvons l'apprendre que de Dieu.

ARTICLE XIII'.

1.

La dernière démarche de la raison, c'est de connoître qu'il y a une infinité de choses qui la surpassent. Elle n'est que foible, si elle ne va jusqu'à connoître cela. Que si les choses naturelles la surpassent, que

dira-t-on des surnaturelles?

Soumission. Il faut savoir douter où il faut, assurer où il faut et se soumettre où il faut 2. Qui ne fait ainsi n'entend pas la force de la raison. Il y en a qui faillent contre ces trois principes, ou en assurant tout comme démonstratif, manque de se connoître en démonstration; ou en

1. Article VI de la seconde partie, dans Bossut.

2. Pascal avait écrit d'abord: « Il faut avoir ces trois qualités, pyrrhonien, géomètre, chrétien soumis; et elles s'accordent et se tempèrent, en doutant où il faut, en assurant où il faut, en se soumettant où il faut. »

doutant de tout, manque de savoir où il faut se soumettre; ou en se soumettant en tout, manque de savoir où il faut juger.

2.

Si on soumet tout à la raison, notre religion n'aura rien de mystérieux ni de surnaturel. Si on choque les principes de la raison, notre religion sera absurde et ridicule.

Saint Augustin. La raison ne se soumettroit jamais si elle ne jugeoit qu'il y a des occasions où elle se doit soumettre. Il est donc juste qu'elle se soumette quand elle juge qu'elle se doit soumettre.

3.

La piété est différente de la superstition. Soutenir la piété jusqu'à la superstition, c'est la détruire. Les hérétiques nous reprochent cette soumission superstitieuse. C'est faire ce qu'ils nous reprochent....

Il n'y a rien de si conforme à la raison que ce désaveu de la raison. Deux excès: exclure la raison, n'admettre que la raison.

4.

La foi dit bien ce que les sens ne disent pas, mais non pas le contraire de ce qu'ils voient. Elle est au-dessus, et non pas contre.

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5.

Si j'avois vu un miracle, disent-ils, je me convertirois. » Comment assurent-ils qu'ils feroient ce qu'ils ignorent? Ils s'imaginent que cette conversion consiste en un adoration qui se fait de Dieu comme un commerce et une conversation telle qu'ils se la figurent. La conversion véritable consiste à s'anéantir devant cet être universel qu'on a irrité tant de fois, et qui peut vous perdre légitimement à toute heure; à reconnoître qu'on ne peut rien sans lui, et qu'on n'a mérité rien de lui que sa disgrâce. Elle consiste à connoître qu'il y a une opposition invincible entre Dieu et nous, et que, sans un médiateur, il ne peut y avoir de

commerce.

6.

Ne vous étonnez pas de voir des personnes simples croire sans raisonnement. Dieu leur donne l'amour de soi et la haine d'eux-mêmes. Il incline leur cœur à croire. On ne croira jamais d'une créance utile et de foi, si Dieu n'incline le cœur ; et on croira dès qu'il l'inclinera. Et c'est ce que David connoissoit bien, lorsqu'il disoit : Inclina cor meum, Deus, in testimonia tua.

7.

Ceux qui croient sans avoir lu les Testamens, c'est parce qu'ils ont une disposition intérieure toute sainte, et que ce qu'ils entendent dire de notre religion y est conforme. Ils sentent qu'un Dieu les a faits. Ils ne veulent aimer que Dieu; ils ne veulent haïr qu'eux-mêmes. Ils sentent qu'ils n'en ont pas la force d'eux-mêmes; qu'ils sont incapables d'aller à Dieu; et que, si Dieu ne vient à eux, ils ne peuvent avoir aucune communication avec lui. Et ils entendent dire dans notre religion qu'il ne faut aimer que Dieu, et ne haïr que soi-même : mais qu'étant tous corrompus, et incapables de Dieu, Dieu s'est fait homme pour s'unir à nous. Il n'en faut pas davantage pour persuader des hommes

qui ont cette disposition dans le cœur, et qui ont cette connoissance de leur devoir et de leur incapacité.

8.

Ceux que nous voyons chrétiens sans la connoissance des prophéties et des preuves ne laissent pas d'en juger aussi bien que ceux qui ont cette connoissance. Ils en jugent par le cœur, comme les autres en jugent par l'esprit. C'est Dieu lui-même qui les incline à croire; et ainsi ils sont très-efficacement persuadés'.

J'avoue bien qu'un de ces chrétiens qui croient sans preuves n'aura peut-être pas de quoi convaincre un infidèle qui en dira autant de soi. Mais ceux qui savent les preuves de la religion prouveront sans difficulté que ce fidèle est véritablement inspiré de Dieu, quoiqu'il ne pût le prouver lui-même. Car Dieu ayant dit dans ses prophètes (qui sont indubitablement prophètes) que dans le règne de Jésus-Christ il répandroit son esprit sur les nations, et que les fils, les filles et les enfans de l'Eglise prophétiseroient, il est sans doute que l'esprit de Dieu est sur ceux-là, et qu'il n'est point sur les autres.

ARTICLE XIV 3.

Nous sommes plaisans de nous reposer dans la société de nos semblables. Misérables comme nous, impuissans comme nous, ils ne nous aideront pas ; on mourra seul; il faut donc faire comme si on étoit seul; et alors, bâtiroit-on des maisons superbes, etc.? On chercheroit la vérité sans hésiter; et si on le refuse, on témoigne estimer plus l'estime des hommes, que la recherche de la vérité.

....

Voilà ce que je vois et ce qui me trouble. Je regarde de toutes parts, et ne vois partout qu'obscurité. La nature ne m'offre rien qui ne soit matière de doute et d'inquiétude. Si je n'y voyois rien qui marquât une Divinité, je me déterminerois à n'en rien croire. Si je voyois partout les marques d'un Créateur, je reposerois en paix dans la foi. Mais, voyant trop pour nier, et trop peu pour m'assurer, je suis dans un état à plaindre, et où j'ai souhaité cent fois que, si un Dieu la soutient, elle le marquât sans équivoque; et que, si les marques qu'elle en donne sont trompeuses, elle les supprimât tout à fait; qu'elle dît tout ou rien, afin que je visse quel parti je dois suivre. Au lieu qu'en l'état où je suis, ignorant ce que je suis et ce que je dois faire, je ne

1. Pascal avait d'abord écrit cette phrase, qu'il a barrée : « On répondra que les infidèles diront la même chose; mais je réponds à cela que nous avons des preuves que Dieu incline véritablement ceux qu'il aime à croire la religion chrétienne, et que les infidèles n'ont aucune preuve de ce qu'ils disent et ainsi nos propositions étant semblables dans les termes, elles diffèrent en ce que l'une est sans aucune preuve, et l'autre est solidement prouvée. »

2. Joël, II, 28.

3. Article VII de la seconde partie, dans Bossut.

connois ni ma condition, ni mon devoir. Mon cœur tend tout entier à connoître où est le vrai bien, pour le suivre. Rien ne me seroit trop cher pour l'éternité....

Je vois la religion chrétienne fondée sur une religion précédente, et voici ce que je trouve d'effectif. Je ne parle pas ici des miracles de Moïse, de Jésus-Christ et des apôtres, parce qu'ils ne paroissent pas d'abord convaincans, et que je ne veux que mettre ici en évidence tous les fondemens de cette religion chrétienne qui sont indubitables, et qui ne peuvent être mis en doute par quelque personne que ce soit....

Je vois donc des foisons de religions en plusieurs endroits du monde, et dans tous les temps. Mais elles n'ont ni la morale qui peut me plaire, ni les preuves qui peuvent m'arrêter. Et ainsi j'aurois refusé également la religion de Mahomet, et celle de la Chine, et celle des anciens Romains, et celle des Egyptiens, par cette seule raison que l'une n'ayant pas plus de marques de vérité que l'autre, ni rien qui déterminât nécessairement, la raison ne peut pencher plutôt vers l'une que vers l'autre.

Mais, en considérant ainsi cette inconstante et bizarre variété de mœurs et de créances dans les divers temps, je trouve en un coin du monde un peuple particulier, séparé de tous les autres peuples de la terre, le plus ancien de tous, et dont les histoires précèdent de plusieurs siècles les plus anciennes que nous ayons. Je trouve donc ce peuple grand et nombreux, sorti d'un seul homme, qui adore un seul Dieu, et qui se conduit par une loi qu'ils disent tenir de sa main. Ils soutiennent qu'ils sont les seuls du monde auxquels Dieu a révélé ses mystères; que tous les hommes sont corrompus, et dans la disgrâce de Dieu; qu'ils sont tous abandonnés à leur sens et à leur propre esprit; et que de là viennent les étranges égaremens et les changemens continuels qui arrivent entre eux, et de religions, et de coutumes; au lieu qu'ils demeurent inébranlables dans leur conduite: mais que Dieu ne laissera pas éternellement les autres peuples dans ces ténèbres; qu'il viendra un libérateur pour tous; qu'ils sont au monde pour l'annoncer; qu'ils sont formés exprès pour être les avant-coureurs et les hérauts de ce grand avénement, et pour appeler tous les peuples à s'unir à eux dans l'attente de ce libérateur.

La rencontre de ce peuple m'étonne, et me semble digne de l'attention. Je considère cette loi qu'ils se vantent de tenir de Dieu, et je la trouve admirable. C'est la première loi de toutes, et de telle sorte qu'avant même que le mot loi fût en usage parmi les Grecs, il y avoit près de mille ans qu'ils l'avoient reçue et observée sans interruption. Ainsi je trouve étrange que la première loi du monde se rencontre aussi la plus parfaite, en sorte que les plus grands législateurs en ont emprunté les leurs, comme il paroît par la loi des Douze Tables d'Athènes, qui fut ensuite prise par les Romains, et comme il seroit aisé de le montrer, si Josèphe et d'autres n'avoient pas assez traité cette matière.

Avantages du peuple juif. Dans cette recherche le peuple juif attire d'abord mon attention par quantité de choses admirables et singulières qui y paroissent.

Je vois d'abord que c'est un peuple tout composé de frères: et, au lieu que tous les autres sont formés de l'assemblage d'une infinité de familles, celui-ci, quoique si étrangement abondant, est tout sorti d'un seul homme1; et, étant ainsi tous une même chair, et membres les uns des autres, ils composent un puissant Etat d'une seule famille. Cela est unique.

Cette famille, ou ce peuple est le plus ancien qui soit en la connoissance des hommes: ce qui me semble lui attirer une vénération particulière, et principalement dans la recherche que nous faisons; puisque, si Dieu s'est de tout temps communiqué aux hommes, c'est à ceux-ci qu'il faut recourir pour en savoir la tradition.

Ce peuple n'est pas seulement considérable par son antiquité; mais il est encore singulier en sa durée, qui a toujours continué depuis son origine jusque maintenant : car au lieu que les peuples de Grèce et d'Italie, de Lacédémone, d'Athènes, de Rome, et les autres qui sont venus si longtemps après, ont fini il y a si longtemps, ceux-ci subsistent toujours; et, malgré les entreprises de tant de puissans rois qui ont cent fois essayé de les faire périr, comme les historiens le témoignert, et comme il est aisé de le juger par l'ordre naturel des choses, pendant un si long espace d'années ils ont toujours été conservés néanmoins, et s'étendant depuis les premiers temps jusques aux derniers, leur histoire enferme dans sa durée celle de toutes nos histoires.

La loi par laquelle ce peuple est gouverné est tout ensemble la plus ancienne loi du monde, la plus parfaite, et la seule qui ait toujours été gardée sans interruption dans un Etat. C'est ce que Josèphe montre admirablement contre Apion, et Philon, juif, en divers lieux, où ils font voir qu'elle est si ancienne, que le nom même de loi n'a été connu des plus anciens que plus de mille ans après; en sorte qu'Homère, qui a traité de l'histoire de tant d'Etats, ne s'en est jamais servi. Et il est aisé de juger de sa perfection par la simple lecture, où l'on voit qu'on a pourvu à toutes choses avec tant de sagesse, tant d'équité, tant de jugement, que les plus anciens législateurs grecs et romains, en ayant eu quelque lumière, en ont emprunté leurs principales lois; ce qui paroît par celle qu'ils appellent des Douze Tables, et par les autres preuves que Josèphe en donne. Mais cette loi est en même temps la plus sévère et la plus rigoureuse de toutes en ce qui regarde le culte de leur religion, obligeant ce peuple, pour le retenir dans son devoir, à mille observations particulières et pénibles, sur peine de la vie. De sorte que c'est une chose bien étonnante qu'elle se soit toujours conservée durant tant de siècles par un peuple rebelle et impatient comme celui-ci; pendant que tous les autres Etats ont changé de temps en temps leurs lois, quoique tout autrement faciles. Le livre qui contient cette loi, la première de toutes, est lui-même le plus ancien livre du monde, ceux d'Homère, d'Hésiode et les autres, n'étant que six ou sept cents ans depuis.

4. D'Abraham.

PASCAL I.

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