2. Sincérité des juifs. Ils portent avec amour et fidélité le livre où Moïse déclare qu'ils ont été ingrats envers Dieu toute leur vie, et qu'il sait qu'ils le seront encore plus après sa mort; mais qu'il appelle le ciel et la terre à témoin contre eux, et qu'il leur a enseigné assez : il déclare qu'enfin Dieu, s'irritant contre eux, les dispersera parmi tous les peuples de la terre que, comme ils l'ont irrité en adorant les dieux qui n'étoient point leur Dieu, de même il les provoquera en appelant un peuple qui n'est point son peuple; et veut que toutes ses paroles soient conservées éternellement, et que son livre soit mis dans l'arche de l'alliance pour servir à jamais de témoin contre eux. Isaïe dit la même chose, xxx, 8. Cependant ce livre qui les déshonore en tant de façons, ils le conservent aux dépens de leur vie. C'est une sincérité qui n'a point d'exemple dans le monde, ni sa racine dans la nature. Il y a bien de la différence entre un livre que fait un particulier, et qu'il jette dans le peuple, et un livre qui fait lui-même un peuple. On ne peut douter que le livre ne soit aussi ancien que le peuple. Toute histoire qui n'est pas contemporaine est suspecte; comme les livres des sibylles et de Trismegiste, et tant d'autres qui ont eu crédit au monde, sont faux et se trouvent faux à la suite des temps. Il n'en est pas ainsi des auteurs contemporains. 3. Qu'il y a de différence d'un livre à un autre ! Je ne m'étonne pas de ce que les Grecs ont fait l'Iliade, ni les Egyptiens et les Chinois leurs histoires. Il ne faut que voir comment cela est né. Ces historiens fabuleux ne sont pas contemporains des choses dont ils écrivent. Homère fait un roman, qu'il donne pour tel; car personne ne doutoit que Troie et Agamemnon n'avoient non plus été que la pomme d'or. Il ne pensoit pas aussi à en faire une histoire, mais seulement un divertissement. Il est le seul qui écrit de son temps: la beauté de l'ouvrage fait durer la chose tout le monde l'apprend et en parle il la faut savoir; chacun la sait par cœur. Quatre cents ans après, les témoins des choses ne sont plus vivans; personne ne sait plus par sa connoissance si c'est une fable ou une histoire: on l'a seulement appris de ses ancêtres, cela peut passer pour vrai. ARTICLE XV1. : La création et le déluge étant passés, et Dieu ne devant plus détruire le monde, non plus que le recréer, ni donner de ces grandes marques de lui, il commença d'établir un peuple sur la terre, formé exprès, qui devoit durer jusqu'au peuple que le Messie formeroit par son esprit. 2. Dieu, voulant faire paroître qu'il pouvoit former un peuple saint d'une sainteté invisible, et le remplir d'une gloire éternelle, a fait des 1. Article VIII de la seconde partie, dans Bossut. choses visibles. Comme la nature est une image de la grâce, il a fait dans res biens de la nature ce qu'il devoit faire dans ceux de la grâce, afin qu'on jugeât qu'il pouvoit faire l'invisible, puisqu'il faisoit bien le visible. Il a donc sauvé ce peuple du déluge; il l'a fait naître d'Abraham, il l'a racheté d'entre ses ennemis, et l'a mis dans le repos. L'objet de Dieu n'étoit pas de sauver du déluge, et de faire naître tout un peuple d'Abraham, pour ne l'introduire que dans une terre grasse. Et même la grâce n'est que la figure de la gloire', car elle n'est pas la dernière fin. Elle a été figurée par la loi, et figure elle-même la gloire; mais elle en est la figure, et le principe ou la cause. La vie ordinaire des hommes est semblable à celle des saints. Ils recherchent tous leur satisfaction, et ne diffèrent qu'en l'objet où ils la placent. Ils appellent leurs ennemis ceux qui les en empêchent, Dieu a donc montré le pouvoir qu'il a de donner les biens invisibles, par celui qu'il a montré qu'il avoit sur les choses visibles. 3. etc. Figures. Dieu voulant priver les siens des biens périssables, pour montrer que ce n'étoit pas par impuissance, il a fait le peuple juif. Les juifs avoient vieilli dans ces pensées terrestres, que Dieu aimoit leur père Abraham, sa chair et ce qui en sortiroit; que pour cela il les avoit multipliés et distingués de tous les autres peuples, sans souffrir qu'ils s'y mêlassent; que, quand ils languissoient dans l'Égypte, il les en retira avec tous ses grands signes en leur faveur; qu'il les nourrit de la manne dans le désert; qu'il les mena dans une terre bien grasse; qu'il leur donna des rois et un temple bien bâti pour y offrir des bêtes, et par le moyen de l'effusion de leur sang qu'ils seroient purifiés, et qu'il leur devoit enfin envoyer le Messie pour les rendre maîtres de tout le monde. Et il a prédit le temps de sa venue. Le monde ayant vieilli dans ces erreurs charnelles, Jésus-Christ est venu dans le temps prédit, mais non pas dans l'éclat attendu; et ainsi ils n'ont pas pensé que ce fût lui. Après sa mort, saint Paul est venu apprendre aux hommes que toutes ces choses étoient arrivées en figures; que le royaume de Dieu ne consistoit pas en la chair, mais en l'esprit; que les ennemis des hommes n'étoient pas les Babyloniens, mais leurs passions; que Dieu ne se plaisoit pas aux temples faits de main d'hommes, mais en un cœur pur et humilié; que la circoncision du corps étoit inutile, mais qu'il falloit celle du cœur; que Moïse ne leur avoit pas donné le pain du ciel, etc. 4. Mais Dieu n'ayant pas voulu découvrir ces choses à ce peuple, qui en étoit indigne, et ayant voulu néanmoins les prédire afin qu'elles fussent crues, en avoit prédit le temps clairement, et les avoit même quelquefois exprimées clairement, mais abondamment en figures, afin que ceux qui aimoient les choses figurantes s'y arrêtassent, ét que ceux qui aimoient les figurées les y vissent". 4. La gloire, c'est l'état glorieux des élus dans le ciel. 2. Pascal a écrit ici dans l'interligne : « Je ne dis pas bien. »> 5. Les juifs charnels n'entendoient ni la grandeur ni l'abaissernent du Messie prédit dans leurs prophéties. Ils l'ont méconnu dans sa grandeur, comme quand il dit que le Messie sera seigneur de David, quoique son fils; qu'il est devant Abraham, et qu'il l'a vu. Ils ne le croyoient pas si grand, qu'il fût éternel: et ils l'ont méconnu de même dans son abaissement et dans sa mort. « Le Messie, disoient-ils, demeure éternellement, et celui-ci dit qu'il mourra. » Ils ne le croyoient donc ni mortel, ni éternel ils ne cherchoient en lui qu'une grandeur charnelle. Les juifs ont tant aimé les choses figurantes, et les ont si bien attendues, qu'ils ont méconnu la réalité, quand elle est venue dans le temps et en la manière prédite. 6. Ceux qui ont peine à croire, en cherchent un sujet en ce que les juifs ne croient pas. « Si cela étoit si clair, dit-on, pourquoi ne croyoientils pas?» Et voudroient quasi qu'ils crussent, afin de n'être pas arrêtés par l'exemple de leur refus. Mais c'est leur refus même qui est le fondement de notre créance. Nous y serions bien moins disposés, s'ils étoient des nôtres. Nous aurions alors un plus ample prétexte. Cela est admirable, d'avoir rendu les juifs grands amateurs des choses prédites, et grands ennemis de l'accomplissement. 7. Raison pourquoi figures. Il falloit que, pour donner foi au Messie, il y eût eu des prophéties précédentes, et qu'elles fussent portées par des gens non suspects, et d'une diligence et fidélité et d'un zèle extraordinaire, et connu de toute la terre. Pour faire réussir tout cela, Dieu a choisi ce peuple charnel, auquel il a mis en dépôt les prophéties qui prédisent le Messie, comme libérateur, et dispensateur des biens charnels que ce peuple aimoit; et ainsi il a eu une ardeur extraordinaire pour ses prophètes, et a porté à la vue de tout le monde ces livres qui prédisent leur Messie, assurant toutes les nations qu'il devoit venir, et en la manière prédite dans leurs livres, qu'ils tenoient ouverts à tout le monde. Et ainsi ce peuple, déçu par l'avènement ignominieux et pauvre du Messie, a été son plus cruel ennemi. De sorte que voilà le peuple du monde le moins suspect de nous favoriser, et le plus exact qui se puisse dire pour sa loi et pour ses prophêtes, qui les porte incorrompus. 8. Que pouvoient faire les juifs, ses ennemis? S'ils le reçoivent, ils le prouvent par leur réception, car les dépositaires de l'attente du Messie le reçoivent; et s'ils le renoncent, ils le prouvent par leur renonciation'. C'est pour cela que les prophéties ont un sens caché, le spirituel, dont ce peuple étoit ennemi, sous le charnel, dont il étoit ami. Si le sens spirituel eût été découvert, ils n'étoient pas capables de l'aimer; et, ne pouvant le porter, ils n'eussent pas eu le zèle pour la conservation de leurs livres et de leurs cérémonies. Et, s'ils avoient aimé ces 1. Car d'après les Écritures, le Messie devait être renoncé. promesses spirituelles, et qu'ils les eussent conservées incorrompues jusqu'au Messie, leur témoignage n'eût pas eu de force, puisqu'ils en eussent été amis. Voilà pourquoi il étoit bon que le sens spirituel fût couvert. Mais, d'un autre côté, si ce sens eût été tellement caché qu'il n'eût point du tout paru, il n'eût pu servir de preuve au Messie. Qu'at-il donc été fait? Il a été couvert sous le temporel en la foule des passages, et a été découvert si clairement en quelques-uns outre que le temps et l'état du monde ont été prédits si clairement, qu'il est plus clair que le soleil. Et ce sens spirituel est si clairement expliqué en quelques endroits, qu'il falloit un aveuglement pareil à celui que la chair jette dans l'esprit quand il lui est assujetti, pour ne le pas recon noître. Voilà donc quelle a été la conduite de Dieu. Ce sens est couvert d'un autre en une infinité d'endroits, et découvert en quelques-uns rarement, mais en telle sorte néanmoins que les lieux où il est caché sont équivoques et peuvent convenir aux deux; au lieu que les lieux où il est découvert sont univoques, et ne peuvent convenir qu'au sens spirituel. De sorte que cela ne pouvoit induire en erreur, et qu'il n'y avoit qu'un peuple aussi charnel qui s'y pût méprendre. Car quand les biens sont promis en abondance, qui les empêchoit d'entendre les véritables biens, sinon leur cupidité, qui déterminoit ce sens aux biens de la terre? Mais ceux qui n'avoient de bien qu'en Dieu les rapportoient uniquement à Dieu. Car il y a deux principes qui partagent les volontés des hommes, la cupidité et la charité. Ce n'est pas que la cupidité ne puisse être avec la foi en Dieu, et que la charité ne soit avec les biens de la terre. Mais la cupidité use de Dieu et jouit du monde; et la charité, au contraire. Or, la dernière fin est ce qui donne le nom aux choses. Tout ce qui nous empêche d'y arriver est appelé ennemi. Ainsi les créatures, quoique bonnes, sont ennemies des justes, quand elles les détournent de Dieu; et Dieu même est l'ennemi de ceux dont il trouble la convoitise. Ainsi le mot d'ennemi dépendant de la dernière fin, les justes entendoient par là leurs passions, et les charnels entendoient les Babyloniens: et ainsi ces termes n'étoient obscurs que pour les injustes. Et c'est ce que dit Isaïe: Signa legem in electis meis', et que Jésus-Christ sera pierre de scandale. Mais, « Bienheureux ceux qui ne seront point scan. dalisés en lui!» Osée3, ult., le dit parfaitement : « Où est le sage? et il entendra ce que je dis. Les justes l'entendront. Car les voies de Dieu sont droites; les justes y marcheront, mais les méchans y trébucheront. >> De sorte que ceux qui ont rejeté et crucifié Jésus-Christ, qui leur a été en scandale, sont ceux qui portent les livres qui témoignent de lui et qui disent qu'il sera rejeté et en scandale; de sorte qu'ils ont marqué que c'étoit lui en le refusant, et qu'il a été également prouvé, et par les justes juifs qui l'ont reçu, et par les injustes qui l'ont rejeté, l'un et l'autre ayant été prédits. 4. Is., VIII, 16. -2. Matth., x1, 6. 3. ΣΙν, 10. 9. Le temps du premier avénement est prédit; le temps du second ne l'est point, parce que le premier devoit être caché; le second doit être éclatant et tellement manifeste que ses ennemis mêmes le devoient reconnoître. Mais, comme il ne devoit venir qu'obscurément, et que pour être connu seulement de ceux qui sonderoient les Écritures.... 10. Fac secundum exemplar quod tibi ostensum est in monte!. La religion des juifs a donc été formée sur la ressemblance de la vérité du Messie; et la vérité du Messie a été reconnue par la religion des juifs, qui en étoit la figure. Dans les juifs, la vérité n'étoit que figurée. Dans le ciel, elle est découverte. Dans l'Eglise, elle est couverte, et reconnue par le rapport à la figure. La figure a été faite sur la vérité, et la vérité a été reconnue sur la figure. 11. Qui jugera de la religion des juifs par les grossiers la connoîtra mal. Elle est visible dans les saints livres, et dans la tradition des prophètes, qui ont assez fait entendre qu'ils n'entendoient pas la loi à la lettre. Ainsi notre religion est divine dans l'Evangile, les apôtres et la tradition; mais elle est ridicule dans ceux qui la traitent mal. Le Messie, selon les juifs charnels, doit être un grand prince temporel. Jésus-Christ, selon les chrétiens charnels, est yenu nous dispenser d'aimer Dieu, et nous donner des sacremens qui operent tout sans nous. Ni l'un ni l'autre n'est la religion chrétienne, ni juive. Les vrais juifs et les vrais chrétiens ont toujours attendu un Messie qui les feroit aimer Dieu, et, par cet amour, triompher de leurs ennemis. 12. Le voile qui est sur ces livres de l'Écriture pour les juifs y est aussi pour les mauvais chrétiens, et pour tous ceux qui ne se haïssent pas eux-mêmes. Mais qu'on est bien disposé à les entendre et à connoître Jésus-Christ, quand on se hait yéritablement soi-même! 13. Les juifs charnels tiennent le milieu entre les chrétiens et les païens. Les païens ne connoissent point Dieu, et n'aiment que la terre. Les juifs connoissent le vrai Dieu, et n'aiment que la terre. Les chrétiens connoissent le vrai Dieu, et n'aiment point la terre. Les juifs et les païens aiment les mêmes biens. Les juifs et les chrétiens connoissent le même Dieu. Les juifs étoient de deux sortes : les uns n'avoient que les affections païennes, les autres avoient les affections chrétiennes. .... 14. C'est visiblement un peuple fait exprès pour servir de témoin au Messie (Is., XLIII, 9; XLIV, 8). Il porte les livres, et les aime, et ne les entend point. Et tout cela est prédit : que les jugemens de Dieu leur sont confiés, mais comme un livre scellé. Tandis que les prophètes ont été pour maintenir la loi, le peuple a été 1. Exode, xxv, 40. |