les passages contraires s'accordent. Il ne suffit pas d'en avoir un qui convienne à plusieurs passages accordans; mais il faut en avoir un qui accorde les passages même contraires. Tout auteur a un sens auquel tous les passages contraires s'accordent, ou il n'a point de sens du tout. On ne peut pas dire cela de l'Ecriture et des prophètes. Ils avoient assurément trop bon sens. Il faut donc en chercher un qui accorde toutes les contrariétés. Le véritable sens n'est donc pas celui des juifs; mais en Jésus-Christ toutes les contradictions sont accordées. Les juifs ne sauroient accorder la cessation de la royauté et principauté, prédite par Osée, avec la prophétie de Jacob. Si on prend la loi, les sacrifices, et le royaume, pour réalités, on ne peut accorder tous les passages. Il faut donc par nécessité qu'ils ne soient que figures. On ne sauroit même pas accorder les passages d'un même auteur, ni d'un même livre, ni quelquefois d'un même chapitre. Ce qui marque trop quel étoit le sens de l'auteur. Comme quand Ezéchiel (chap. xx) dit qu'on vivra dans les commandemens de Dieu et qu'on n'y vivra pas. 13. Il n'étoit point permis de sacrifier hors de Jérusalem, qui étoit le lieu que le Seigneur avoit choisi, ni même de manger ailleurs les décimes. Deut., XII, 5, etc. Deut., XIV, 23, etc.; xv, 20; xvI, 2, 7, 11, 15. Osée a prédit qu'ils seroient sans roi, sans prince, sans sacrifices et sans idoles '; ce qui est accompli aujourd'hui, ne pouvant faire sacrifice légitime hors de Jérusalem. 14. Figures. Quand la parole de Dieu, qui est véritable, est fausse littéralement, elle est vraie spirituellement. Sede a dextris meis2. Cela est faux littéralement; donc cela est vrai spirituellement. En ces expressions, il est parlé de Dieu à la manière des hommes; et cela ne signifie autre chose, sinon que l'intention que les hommes ont en faisant asseoir à leur droite, Dieu l'aura aussi. C'est donc une marque de l'intention de Dieu, non de sa manière de l'exécuter. Ainsi quand il dit : «Dieu a reçu l'odeur de vos parfums, et vous donnera en récompense une terre grasse; » c'est-à-dire, la même intention qu'auroit un homme qui, agréant vos parfums, vous donneroit en récompense une terre grasse, Dieu aura la même intention pour vous, parce que vous avez eu pour lui la même intention qu'un homme a pour celui à qui il donne des parfums. Ainsi, iratus est, « Dieu jaloux', » etc. Car les choses de Dieu étant inexprimables, elles ne peuvent être dites autrement, et l'Eglise aujourd'hui en use encore: Quia confortavit seras 4. 15. Tout ce qui ne va point à la charité est figure. L'unique objet de l'Écriture est la charité. Tout ce qui ne va point à 1. Osée, III, 4. ·2. Ps., CI, 1. — 3. Is., v, 25, etc.; Exode, xx, 5. l'unique but en est la figure : car, puisqu'il n'y a qu'un but, tout ce qui n'y va point en mots propres est figure. Dieu diversifie ainsi cet unique précepte de charité, pour satisfaire notre curiosité, qui recherche la diversité, par cette diversité, qui nous mène toujours à notre unique nécessaire. Car une seule chose est nécessaire, et nous aimons la diversité; et Dieu satisfait à l'un et à l'autre par ces diversités, qui mènent au seul nécessaire. 16. Les rabbins prennent pour figures les mamelles de l'Épouse, et tout ce qui n'exprime pas l'unique but qu'ils ont, des biens temporels. Et les chrétiens prennent même l'eucharistie pour figure de la gloire où ils tendent. 17. Il y en a qui voient bien qu'il n'y a pas d'autre ennemi de l'homme que la concupiscence, qui le détourne de Dieu, et non pas Dieu; ni d'autre bien que Dieu, et non pas une terre grasse. Ceux qui croient que le bien de l'homme est en la chair, et le mal en ce qui le détourne des plaisirs des sens, qu'ils s'en soûlent, et qu'ils y meurent. Mais que ceux qui cherchent Dieu de tout leur cœur, qui n'ont de déplaisir que d'être privés de sa vue, qui n'ont de désir que pour le posséder, et d'ennemis que ceux qui les en détournent; qui s'affligent de se voir environnés et dominés de tels ennemis; qu'ils se consolent, je leur annonce une heureuse nouvelie: il y a un libérateur pour eux, je le leur ferai voir, je leur montrerai qu'il y a un Dieu pour eux; je ne le ferai pas voir aux autres. Je ferai voir qu'un Messie a été promis, qui délivreroit des ennemis; et qu'il en est venu un pour délivrer des iniquités, mais non des ennemis. 18. Quand David prédit que le Messie délivrera son peuple de ses ennemis, on peut croire charnellement que ce sera des Égyptiens; et alors je ne saurois montrer que la prophétie soit accomplie. Mais on peut bien croire aussi que ce sera des iniquités : car, dans la vérité, les Égyptiens ne sont pas ennemis, mais les iniquités le sont. Ce mot d'ennemis est donc équivoque. Mais s'il dit ailleurs, comme il fait, qu'il délivrera son peuple de ses péchés, aussi bien qu'Isaïe et les autres, l'équivoque est ôtée, et le sens double des ennemis réduit au sens simple d'iniquités : car, s'il avoit dans l'esprit les péchés, il les pouvoit bien dénoter par ennemis; mais s'il pensoit aux ennemis, il ne les pouvoit pas désigner par iniquités. Or, Moïse, et David, et Isaïe usoient des mêmes termes. Qui dira donc qu'ils n'avoient pas le même sens, et que le sens de David, qui est manifestement d'iniquités lorsqu'il parloit d'ennemis, ne fût pas le même que celui de Moïse en parlant d'ennemis? Daniel (IX) prie pour la délivrance du peuple de la captivité de leurs ennemis; mais il pensoit aux péchés et, pour le montrer, il dit que Gabriel lui vint dire qu'il étoit exaucé, et qu'il n'y avoit plus que soixantedix semaines à attendre; après quoi le peuple seroit délivré d'iniquité, le péché prendroit fin; et le libérateur, le Saint des saints amèneroit la justice éternelle, non la légale, mais l'éternelle. Figures. Dès qu'une fois on a ouvert ce secret, il est impossible de ne pas le voir. Qu'on lise le vieil Testament en cette vue, et qu'on voie si les sacrifices étoient vrais, si la parenté d'Abraham étoit la vraie cause de l'amitié de Dieu, si la terre promise étoit le véritable lieu de repos. Non. Donc c'étoient des figures. Qu'on voie de même toutes les cérémonies ordonnées, tous les commandemens qui ne sont pas pour la charité, on verra que c'en sont les figures. Tous ces sacrifices et cérémonies étoient donc figures ou sottises. Or il y a des choses claires trop hautes, pour les estimer des sottises. ARTICLE XVII1. La distance infinie des corps aux esprits figure la distance infiniment plus infinie des esprits à la charité, car elle est surnaturelle. Tout l'éclat des grandeurs n'a point de lustre pour les gens qui sont dans les recherches de l'esprit. La grandeur des gens d'esprit est invisible aux rois, aux riches, aux capitaines, à tous ces grands de chair. La grandeur de la sagesse, qui n'est nulle part sinon en Dieu, est invisible aux charnels et aux gens d'esprit. Ce sont trois ordres différant en genre. Les grands génies ont leur empire, leur éclat, leur grandeur, leur victoire et leur lustre, et n'ont nul besoin des grandeurs charnelles, où elles n'ont pas de rapport. Ils sont vus non des yeux, mais des esprits; c'est assez. Les saints ont leur empire, leur éclat, leur victoire, leur Iustre, et n'ont nul besoin des grandeurs charnelles ou spirituelles, où elles n'ont nul rapport, car elles n'y ajoutent ni ôtent. Ils sont vus de Dieu et des anges, et non des corps, ni des esprits curieux : Dieu leur suffit. Archimède, sans éclat, seroit en même vénération. Il n'a pas donné des batailles pour les yeux, mais il a fourni à tous les esprits ses inventions. Oh! qu'il a éclaté aux esprits! Jésus-Christ, sans bien, et sans aucune production au dehors de science, est dans son ordre de sainteté. Il n'a point donné d'invention, il n'a point régné; mais il a été humble, patient, saint, saint, saint à Dieu, terrible aux démons, sans aucun péché. Oh! qu'il est venu en grande pompe et en une prodigieuse magnificence, aux yeux du cœur, et qui voient la sagesse! Il eût été inutile à Archimède de faire le prince dans ses livres de géométrie, quoiqu'il le fût. Il eût été inutile à notre Seigneur Jésus-Christ, pour éclater dans son règne de sainteté, de venir en roi mais qu'il est bien venu avec l'éclat de son ordre! : Il est bien ridicule de se scandaliser de la bassesse de Jésus-Christ, comme si cette bassesse étoit du même ordre duquel est la grandeur 4. Article X de la seconde partie, dans Bossut. qu'il venoit faire paroître. Qu'on considère cette grandeur-là dans sa vie, dans sa passion, dans son obscurité, dans sa mort, dans l'élection des siens, dans leur abandon, dans sa secrète résurrection, et dans le reste; on la verra si grande, qu'on n'aura pas sujet de se scandaliser d'une bassesse qui n'y est pas. Mais il y en a qui ne peuvent admirer que les grandeurs charnelles, comme s'il n'y en avoit pas de spirituelles; et d'autres qui n'admirent que les spirituelles, comme s'il n'y en avoit pas d'infiniment plus hautes dans la sagesse. Tous les corps, le firmament, les étoiles, la terre et ses royaumes, ne valent pas le moindre des esprits; car il connoît tout cela, et soi; et les corps, rien. Tous les corps ensemble, et tous les esprits ensemble, et toutes leurs productions, ne valent pas le moindre mouvement de charité; cela est d'un ordre infiniment plus élevé. De tous les corps ensemble, on ne sauroit en faire réussir une petite pensée cela est impossible, et d'un autre ordre. De tous les corps et esprits, on n'en sauroit tirer un mouvement de vraie charité : cela est impossible, et d'un autre ordre, surnaturel. 2. .... Jésus-Christ dans une obscurité (selon ce que le monde appelle obscurité) telle, que les historiens, n'écrivant que les importantes choses des États, l'ont à peine aperçu. 3. Quel homme eut jamais plus d'éclat? Le peuple juif tout entier le prédit, avant sa venue. Le peuple gentil l'adore, après sa venue. Les deux peuples gentil et juif le regardent comme leur centre. Et cependant quel homme jouit jamais moins de cet éclat? De trente-trois ans, il en vit trente sans paroître. Dans trois ans, il passe pour un imposteur; les prêtres et les principaux le rejettent; ses amis et ses plus proches le méprisent. Enfin il meurt trahi par un des siens, renié par l'autre, et abandonné par tous. Quelle part a-t-il donc à cet éclat? Jamais homme n'a eu tant d'éclat; jamais homme n'a eu plus d'ignominie. Tout cet éclat n'a servi qu'à nous, pour nous le rendre reconnoissable; et il n'en a rien eu pour lui. 4. Preuves de Jésus-Christ. — Jésus-Christ a dit les choses grandes si simplement, qu'il semble qu'il ne les a pas pensées; et si nettement néanmoins, qu'on voit bien ce qu'il en pensoit. Cette clarté, jointe à cette naïveté, est admirable. Qui a appris aux évangélistes les qualités d'une âme parfaitement héroïque, pour la peindre si parfaitement en Jésus-Christ? Pourquoi le font-ils foible dans son agonie? Ne savent-ils pas peindre une mort constante? Oui, sans doute; car le même saint Luc peint celle de saint Etienne plus forte que celle de Jésus-Christ. Ils le font donc capable de crainte avant que la nécessité de mourir soit arrivée, et ensuite tout fort. Mais quand ils le font si troublé, c'est quand il se trouble lui-même ; et quand les hommes le troublent, il est tout fort. L'Eglise a eu autant de peine à montrer que Jésus-Christ étoit homme, contre ceux qui le nioient, qu'à montrer qu'il étoit Dieu; et les apparences étoient aussi grandes '. Jésus-Christ est un Dieu dont on s'approche sans orgueil, et sous lequel on s'abaisse sans désespoir. 5. La conversion des païens n'étoit réservée qu'à la grâce du Messie. Les juifs ont été si longtemps à les combattre sans succès : tout ce qu'en ont dit Salomon et les prophètes a été inutile. Les sages, comme Platon et Socrate, n'ont pu le persuader. Les Évangiles ne parlent de la virginité de la Vierge que jusques à la naissance de Jésus-Christ. Tout par rapport à Jésus-Christ. .... Jésus-Christ, que les deux Testamens regardent, l'Ancien comme son attente, le Nouveau comme son modèle, tous deux comme leur centre. Les prophètes ont prédit, et n'ont pas été prédits. Les saints ensuite sont prédits, mais non prédisans. Jésus-Christ est prédit et prédisant. Jésus-Christ pour tous, Moïse pour un peuple. Les juifs bénis en Abraham : « Je bénirai ceux qui te béniront,» Gen., XII, 3. Mais, « Toutes nations bénies en sa semence,» ibid., XXII, 18. Lumen ad revelationem gentium. Non fecit taliter omni nationi, disait David en parlant de la loi. Mais, en parlant de Jésus-Christ, il faut dire : Fecit taliter omni nationi. Parum est ut, etc., Isaïe, XLIX, 6. Aussi c'est à Jésus-Christ d'être universel. L'Église même n'offre le sacrifice que pour les fidèles: JésusChrist a offert celui de la croix pour tous. ARTICLE XVIII2. 1.. La plus grande des preuves de Jésus-Christ sont les prophéties. C'est aussi à quoi Dieu a le plus pourvu; car l'événement qui les a remplies est un miracle subsistant depuis la naissance de l'Eglise jusques à la fin. Aussi Dieu a suscité des prophètes durant seize cents ans; et, pendant quatre cents ans après, il a dispersé toutes ces prophéties, avec tous les juifs qui les portoient, dans tous les lieux du monde. Voilà quelle a été la préparation à la naissance de JésusChrist, dont l'Evangile devant être cru de tout le monde, il a fallu · non-seulement qu'il y ait eu des prophéties pour le faire croire, mais que ces prophéties fussent par tout le monde, pour le faire embrasser par tout le monde. Prophéties. — Quand un seul homme auroit fait un livre des prédictions de Jésus-Christ3, pour le temps et pour la manière, et que Jésus 1. Eutychès niait l'humanité, et Nestorius la divinité de J. C. 2. Article XI de la seconde partie, dans Bossut. 3. « Sur Jésus-Christ. » |