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ples, et ceux qui n'approfondissent pas plus avant les choses, se contentent de ces preuves.

<< Ainsi, ils en ont pour toutes sortes de personnes, et répondent si bien selon ce qu'on leur demande, que, quand ils se trouvent en des pays où un Dieu crucifié passe pour folie, ils suppriment le scandale de la croix, et ne prêchent que Jésus-Christ glorieux, et non pas Jésus-Christ souffrant : comme ils ont fait dans les Indes et dans la Chine, où ils ont permis aux chrétiens l'idolâtrie même, par cette subtile invention de leur faire cacher sous leurs habits une image de Jésus-Christ, à laquelle ils leur enseignent de rapporter mentalement les adorations publiques qu'ils rendent à l'idole Cachinchoam et à leur Keum-fucum, comme Gravina, dominicain, le leur reproche; et comme le témoigne le mémoire, en espagnol, présenté au roi d'Espagne Philippe IV par les cordeliers des îles Philippines, rapporté par Thomas Hurtado dans son livre du Martyre de la foi (p. 427). De telle sorte que la congrégation des cardinaux de propaganda fide fut obligée de défendre particulièrement aux jésuites, sur peine d'excommunication, de permettre des adorations d'idoles sous aucun prétexte, et de cacher le mystère de la croix à ceux qu'ils instruisent de la religion, leur commandant expressément de n'en recevoir aucun au baptême qu'après cette connoissance, et leur ordonnant d'exposer dans leurs églises l'image du crucifix, comme il est porté amplement dans le décret de cette congrégation, donné le 9o juillet 1646, signé par le cardinal Capponi.

• Voilà de quelle manière ils se sont répandus par toute la terre à la faveur de la doctrine des opinions probables, qui est la source et la base de tout ce déréglement. C'est ce qu'il faut que vous appreniez d'eux-mêmes; car ils ne le cachent à personne, non plus que tout ce que vous venez d'entendre, avec cette seule différence, qu'ils couvrent leur prudence humaine et politique du prétexte d'une prudence divine et chrétienne; comme si la foi, et la tradition qui la maintient, n'étoit pas toujours une et invariable dans tous les temps et dans tous les lieux; comme si c'étoit à la règle à se fléchir pour convenir au sujet qui doit lui être conforme; et comme si les âmes n'avoient, pour se purifier de leurs taches, qu'à corrompre la loi du Seigneur, au lieu << que la loi du Seigneur, qui est sans tache et toute sainte, est celle qui << doit convertir les âmes, » et les conformer à ses salutaires instructions! << Allez donc, je vous prie, voir ces bons pères, et je m'assure que vous remarquerez aisément, dans le relâchement de leur morale, la cause de leur doctrine touchant la grâce. Vous y verrez les vertus chrétiennes si inconnues et si dépourvues de la charité, qui en est l'âme et la vie; vous y verrez tant de crimes palliés, et tant de désordres soufferts, que vous ne trouverez plus étrange qu'ils soutiennent que tous les hommes ont toujours assez de grâce pour vivre dans la piété de la manière qu'ils l'entendent. Comme leur morale est toute païenne, la nature suffit pour l'observer. Quand nous soutenons la nécessité de la grâce efficace, nous lui donnons d'autres vertus pour objet. Ce n'est pas simplement pour guérir les vices par d'autres vices; ce n'est pas seulement pour faire pratiquer aux hommes les devoirs extérieurs de la religion;

c'est pour une vertu plus haute que celle des pharisiens et des plus sages du paganisme. La loi et la raison sont des grâces suffisantes pour ces effets. Mais pour dégager l'âme de l'amour du monde, pour la retirer de ce qu'elle a de plus cher, pour la faire mourir à soi-même, pour la porter et l'attacher uniquement et invariablement à Dieu, ce n'est l'ouvrage que d'une main toute-puissante. Et il est aussi peu raisonnable de prétendre que l'on a toujours un plein pouvoir, qu'il le seroit de nier que ces vertus, destituées d'amour de Dieu, lesquelles ces bons pères confondent avec les vertus chrétiennes, ne sont pas en notre puis

sance. »

Voilà comme il me parla, et avec beaucoup de douleur; car il s'afflige sérieusement de tous ces désordres. Pour moi, j'estimai ces bons pères de l'excellence de leur politique, et je fus, selon son conseil, trouver un bon casuiste de la Société. C'est une de mes anciennes connoissances, que je voulus renouveler exprès; et comme j'étois instruit ûe la manière dont il les falloit traiter, je n'eus pas de peine à le mettre en train. Il me fit d'abord mille caresses, car il m'aime toujours; et après quelques discours indifférens, je pris occasion du temps où nous sommes pour apprendre de lui quelque chose sur le jeûne, afin d'entrer insensiblement en matière. Je lui témoignai donc que j'avois de la peine à le supporter. Il m'exhorta à me faire violence: mais, comme je continuai à me plaindre, il en fut touché, et se mit à chercher quelque cause de dispense. Il m'en offrit en effet plusieurs qui ne me convenoient point, lorsqu'il s'avisa enfin de me demander si je n'avois pas de peine à dormir sans souper. « Oui, lui dis-je, mon père, et cela m'oblige souvent à faire collation à midi et à souper le soir. — Je suis bien aise, me répliqua-t-il, d'avoir trouvé ce moyen de vous soulager sans péché : allez, vous n'êtes point obligé à jeûner. Je ne veux pas que vous m'en croyiez, venez à la bibliothèque. » J'y fus, et là, en prenant un livre : « En voici la preuve, me dit-il, et Dieu sait quelle ! C'est Escobar. Qui est Escobar, lui dis-je, mon père? - Quoi! vous ne savez pas qui est Escobar de notre Société, qui a compilé cette Théologie morale de vingt-quatre de nos pères, sur quoi il fait, dans la préface, une « allégo<< rie de ce livre à celui de l'Apocalypse qui étoit scellé de sept sceaux?» Et il dit que « Jésus l'offre ainsi scellé aux quatre animaux, Suarez, « Vasquez, Molina, Valentia, en présence de vingt-quatre jésuites qui << représentent les vingt-quatre vieillards? » Il lut toute cette allégorie, qu'il trouvoit bien juste, et par où il me donnoit une grande idée de l'excellence de cet ouvrage. Ayant ensuite cherché son passage du jeûne : « Le voici, me dit-il, au traité I (ex. XIII, n. 67). « Celui qui ne peut dormir s'il n'a soupé, est-il obligé de jeûner? Nullement. » N'êtes-vous pas content? - Non pas tout à fait, lui dis-je; car je puis bien supporter le jeûne en faisant collation le matin et soupant le soir. Voyez donc la suite, me dit-il; ils ont pensé à tout. « Et que dira« t-on, si on peut bien se passer d'une collation le matin en soupant le << soir? » - Me voilà. « On n'est point encore obligé à jeûner; car << personne n'est obligé à changer l'ordre de ses repas. >> . O la bonne raison! lui dis-je. Mais dites-moi, continua-t-il, usez-vous de beau

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coup de vin? Non, mon père, lui dis-je, je ne le puis souffrir. - Je vous disois cela, me répondit-il, pour vous avertir que vous en pourriez boire le matin, et quand il vous plairoit, sans rompre le jeûne; et cela soutient toujours. En voici la décision au même lieu (n. 75): « Peut-on, << sans rompre le jeûne, boire du vin à telle heure qu'on voudra, et << même en grande quantité? On le peut, et même de l'hypocras. » Je ne me souvenois pas de cet hypocras, dit-il; il faut que je le mette sur mon recueil. Voilà un honnête homme, lui dis-je, qu'Escobar. Tout le monde l'aime, répondit le père: il fait de si jolies questions! Voyez celle-ci qui est au même endroit (n. 38): « Si un homme doute << qu'il ait vingt et un ans, est-il obligé de jeûner? Non. Mais si j'ai << vingt et un ans cette nuit à une heure après minuit, et qu'il soit de<< main jeûne, serai-je obligé de jeûner demain? Non; car vous pour<< riez manger autant qu'il vous plairoit de uis minuit jusqu'à une << heure, puisque vous n'auriez pas encore vingt et un ans et ainsi ayant droit de rompre le jeûne, vous n'y êtes point obligé. 41 . O que cela est divertissant! lui dis-je. On ne s'en peut tirer, me répondit-il; je passe les jours et les nuits à le lire, je ne fais autre chose. » Le bon père, voyant que j'y prenois plaisir, en fut ravi, et continuant : « Voyez, dit-il, encore ce trait de Filiutius, qui est un de ces vingtquatre jésuites (t. II, tr. XXVII, part. II, chap. vi, n. 143): « Celui qui a s'est fatigué à quelque chose, comme à poursuivre une fille, ad ina sequendam amicam, est-il obligé de jeûner? Nullement. Mais s'il s'est « fatigué exprès pour être par là dispensé du jeûne, y sera-t-il tenu? a Encore qu'il ait eu ce dessein formé, il n'y sera point obligé. » Eh bien l'eussiez-vous cru? me dit-il. En vérité, mon père, lui dis-je, je ne le crois pas bien encore. Eh quoi! n'est-ce pas un péché de ne pas jeûner quand on le peut ? Et est-il permis de rechercher les occasions de pécher? ou plutôt n'est-on pas obligé de les fuir? Cela seroit assez commode. Non pas toujours, me dit-il; c'est selon. Selon quoi? lui dis-je. Ho! ho! repartit le père. Et si on recevoit quelque incommodité en fuyant les occasions, y seroit-on obligé, à votre avis? Ce n'est pas au moins celui du P. Bauny que voici (p. 1084): « On ne a doit pas refuser l'absolution à ceux qui demeurent dans les occasions « prochaines du péché, s'ils sont en tel état qu'ils ne puissent les quitater sans donner sujet au monde de parler, ou sans qu'ils en reçussent « eux-mêmes de l'incommodité. » → Je m'en réjouis, mon père; il ne reste plus qu'à dire qu'on peut rechercher les occasions de propos délibéré, puisqu'il est permis de ne les pas fuir. Cela même est aussi quelquefois permis, ajouta-t-il. Le célèbre casuiste Basile Ponce l'a dit, et le P. Bauny le cite et approuve son sentiment, que voici dans le Traité de la Pénitence (quest. IV, p. 94): « On peut rechercher une ocacasion directement et pour elle-même, primo et per se, quand le bien spirituel ou temporel dé nous ou de notre prochain nous y porte. »

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Vraiment, lui dis-je, il me semble que je rêve, quand j'entends des religieux parler de cette sorte! Eh quoi, mon père, dites-moi, en conscience, êtes-vous dans ce sentiment-là ? - Non vraiment, me dit le père. Vous parlez donc, continuai-je, contre votre conscience?

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Point du tout, dit-il je ne parlois pas en cela selon ma conscience, mais selon celle de Ponce et du P. Bauny; et vous pourriez les suivre en sûreté, car ce sont d'habiles gens. Quoi! mon père, parce qu'ils ont mis ces trois lignes dans leurs livres, sera-t-il devenu permis de rechercher les occasions de pécher? Je croyois ne devoir prendre pour règle que l'Écriture et la tradition de l'Eglise, mais non pas vos casuistes.. O bon Dieu, s'écria le père, vous mé faites souvenir de ces jansénistes! Est-ce que le P. Bauny et Basile Ponce ne peuvent pas rendre leur opinion probable? - Je ne me contente pas du probable, lui dis-je, je cherche le sûr. Je vois bien, me dit le bon père, que vous ne savez pas ce que c'est que la doctrine des opinions probables; vous parleriez autrement si vous le saviez. Ah! vraiment, il faut que je vous en instruise. Vous n'aurez pas perdu votre temps d'être venu ici; sans cela vous ne pouviez rien entendre. C'est le fondement et l'A B C de toute notre morale. » Je fus ravi de le voir tombé dans ce que je souhaitois; et, le lui ayant témoigné, je le priai de m'expliquer ce que c'étoit qu'une opinion probable. « Nos auteurs vous y répondront mieux que moi, dit-il. Voici comme ils en parlent tous généralement, et, entre autres, nos vingt-quatre (in Princ., ex. 111, n. 8): « Une opinion est << appelée probable, lorsqu'elle est fondée sur des raisons de quelque << considération. D'où il arrive quelquefois qu'un seul docteur fort grave << peut rendre une opinion probable. » Et en voici la raison : « Car un << homme adonné particulièrement à l'étude ne s'attacheroit pas à une << opinion, s'il n'y étoit attiré par une raison bonne et suffisante. » Et ainsi, lui-dis-je, un seul docteur peut tourner les consciences et les bouleverser à son gré, et toujours en sûreté. Il n'en faut pas rire, me dit-il, ni penser combattre cette doctrine. Quand les jansenistes l'ont voulu faire, ils y ont perdu leur temps. Elle est trop bien établie. Ecoutez Sanchez, qui est un des plus célèbres de nos pères (Som., liv. I, chap. ix, n. 7): «Vous douterez peut-être si l'autorité d'un seul docteur « bon et savant rend une opinion probable : à quoi je réponds que oui; « et c'est ce qu'assurent Angelus, Sylv. Navarre, Emmanuel Sa, etc. << Et voici comme on le prouve. Une opinion probablé est celle qui a un << fondement considérable : or, l'autorité d'un homme savant et pieux « n'est pas de petite considération, mais plutôt de grande considération; «< car.... Ecoutez bien cette raison.... si le témoignage d'un tel homme « est de grand poids pour nous assurer qu'une chose se soit passée, par << exemple, à Rome, pourquoi ne le sera-t-il pas de même dans un « doute de morale ? »

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La plaisante comparaison, lui dis-je, des choses du monde à celles de la conscience! Ayez patience; Sanchez répond à cela dans les lignes qui suivent immédiatement: « Et la restriction qu'y apportent << certains auteurs ne me plaît pas, que l'autorité d'un tel docteur est << suffisante dans les choses de droit humain, mais non pas dans celles << de droit divin; car elle est de grand poids dans les unes et dans les << autres. >>

Mon père, lui dis-je franchement, je ne puis faire cas de cette règle. Qui m'a assuré que, dans la liberté que vos docteurs se donnent

d'examiner les choses par la raison, ce qui paroîtra sûr à l'un le paroisse à tous les autres ? La diversité des jugemens est si grande....

Vous

ne l'entendez pas, dit le père en m'interrompant; aussi sont-ils fort souvent de différens avis : mais cela n'y fait rien; chacun rend le sien probable et sûr. Vraiment l'on sait bien qu'ils ne sont pas tous de même sentiment; et cela n'en est que mieux. Ils ne s'accordent au contraire presque jamais. Il y a peu de questions où vous ne trouviez que l'un dit oui, l'autre dit non. Et en tous ces cas-là, l'une et l'autre des opinions contraires est probable; et c'est pourquoi Diana dit sur un certain sujet (part. III, t. IV, r. 244): « Ponce et Sanchez sont de con<< traires avis mais, parce qu'ils étoient tous deux savans, chacun rend << son opinion probable. »

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Mais, mon père, lui dis-je, on doit être bien embarrassé à choisir alors! Point du tout, dit-il; il n'y a qu'à suivre l'avis qui agrée le plus. · Eh quoi! si l'autre est plus probable? — Il n'importe, me dit-il. - Et si l'autre est plus sûr? Il n'importe, me dit encore le père; le voici bien expliqué. C'est Emmanuel Sa de notre Société, dans son aphorisme De dubio (p. 183): «On peut faire ce qu'on pense être permis selon une opinion probable, quoique le contraire soit plus sûr. « Or, l'opinion d'un seul docteur grave y suffit. » Et si une opinion est tout ensemble et moins probable et moins sûre, sera-t-il permis de la suivre, en quittant ce que l'on croit être plus probable et plus sûr? - Oui, encore une fois, me dit-il; écoutez Filiutius, ce grand jésuite de Rome (Mort. Quæst. tr. XXI, chap. iv, n. 128): « Il est permis de << suivre l'opinion la moins probable, quoiqu'elle soit la moins sûre: « c'est l'opinion commune des nouveaux auteurs. » Cela n'est-il pas clair? Nous voici bien au large, lui dis-je, mon révérend père. Grâces à vos opinions probables, nous avons une belle liberté de conscience. Et vous autres casuistes, avez-vous la même liberté dans vos réponses?

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Oui, me dit-il, nous répondons aussi ce qu'il nous plaît, ou plutôt ce qu'il plaît à ceux qui nous interrogent; car voici nos règles, prises de nos pères (Layman, Théol. mor., liv. I, tr. I, chap. 11, §, 2, n. 7 ; Vasquez, dist. LXII, chap. IX, n. 47; Sanchez, in Sum., lib. I, cap. IX, n. 23); et de nos vingt-quatre (in Princ., ex. III, n. 24). Voici les paroles de Layman, que le livre de nos vingt-quatre a suivies : « Un docteur, étant consulté, peut donner un conseil, non-seulement probable << selon son opinion, mais contraire à son opinion, s'il est estimé pro«bable par d'autres, lorsque cet avis contraire au sien se rencontre << plus favorable et plus agréable à celui qui le consulte: Si forte et « illi favorabilior seu exoptatior sit. Mais je dis de plus, qu'il ne sera << point hors de raison qu'il donne à ceux qui le consultent un avis tenu << pour probable par quelque personne savante, quand même il s'assua reroit qu'il seroit absolument faux. >>

Tout de bon, mon père, votre doctrine est bien commode. Quoi! avoir à répondre oui et non à son choix? On ne peut assez priser un tel avantage. Et je vois bien maintenant à quoi vous servent les opinions contraires que vos docteurs ont sur chaque matière; car l'une vous sert toujours, et l'autre ne vous nuit jamais. Si vous ne trouvez votre compte

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