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ne les avoit pas volés pour cela, rapportant pour sa justification cette doctrine du P. Bauny, qu'il présenta aux juges avec un écrit d'un de vos pères, sous lequel il avoit étudié les cas de conscience, qui lui avoit appris la même chose. Sur quoi M. de Montrouge, l'un des plus considérés de cette compagnie, dit en opinant: qu'il n'étoit pas « d'avis que, << sur des écrits de ces pères, contenant une doctrine illicite, pernicieuse « et contraire à toutes les lois naturelles, divines et humaines, capable « de renverser toutes les familles, et d'autoriser tous les vols domesti«ques, on dût absoudre cet accusé.» Mais qu'il étoit «d'avis que ce trop « fidèle disciple fût fouetté devant la porte du collège, par la main du << bourreau, lequel en même temps brûleroit les écrits de ces pères << traitant du larcin, avec défense à eux de plus enseigner une telle << doctrine, sur peine de la vie. >>

« On attendoit la suite de cet avis, qui fut fort approuvé, lorsqu'il arriva un incident qui fit remettre le jugement de ce procès. Mais cependant le prisonnier disparut, on ne sait comment, sans qu'on parlât plus de cette affaire-là; de sorte que Jean d'Alba sortit, et sans rendre sa vaisselle. Voilà ce qu'il nous dit, et il ajoutoit à cela que l'avis de M. de Montrouge est aux registres du Châtelet, où chacun le peut voir. Nous prîmes plaisir à ce conte.

A quoi vous amusez-vous? dit le père. Qu'est-ce que tout cela signifie? Je vous parle des maximes de nos casuistes; j'étois prêt à vous parler de celles qui regardent les gentilshommes, et vous m'interrompez par des histoires hors de propos! Je ne vous le disois qu'en passant, lui dis-je, et aussi pour vous avertir d'une chose importante sur ce sujet, que je trouve que vous avez oubliée en établissant votre doctrine de la probabilité.-Eh quoi! dit le père, que pourroit-il y avoir de manque après que tant d'habiles gens y ont passé?-C'est, lui répondis-je, que vous avez bien mis ceux qui suivent vos opinions probables en assurance à l'égard de Dieu et de la conscience: car, à ce que vous dites, on est en sûreté de ce côté-là en suivant un docteur grave. Vous les avez encore mis en assurance du côté des confesseurs; car vous avez obligé les prêtres à les absoudre sur une opinion probable, à peine de péché mortel: mais vous ne les avez point mis en assurance du côté des juges; de sorte qu'ils se trouvent exposés au fouet et à la potence en suivant vos probabilités. C'est un défaut capital que cela. Vous avez raison, dit le père, vous me faites plaisir; mais c'est que nous n'avons pas autant de pouvoir sur les magistrats que sur les confesseurs, qui sont obligés de se rapporter à nous pour les cas de conscience: car c'est nous qui en jugeons souverainement. — J'entends bien, lui dis-je; mais si d'une part vous êtes les juges des confesseurs, n'êtes-vous pas de l'autre les confesseurs des juges? Votre pouvoir est de grande étendue : obligez-les d'absoudre les criminels qui ont une opinion probable, à peine d'être exclus des sacremens, afin qu'il n'arrive pas, au grand mépris et scandale de la probabilité, que ceux que vous rendez innocens dans la théorie soient fouettés ou pendus dans la pratique. Sans cela, comment trouveriez-vous des disciples?-Il y faudra songer, me dit-il, cela n'est pas à négliger. Je le proposerai à notre père provincial.

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Vous pouviez néanmoins réserver cet avis à un autre temps, sans interrompre ce que j'ai à vous dire des maximes que nous avons établies en faveur des gentilshommes, et je ne vous les apprendrai qu'à la charge que vous ne me ferez plus d'histoires. >>

Voilà tout ce que vous aurez pour aujourd'hui; car il faut plus d'une lettre pour vous mander tout ce que j'ai appris en une seule conversa tion. Cependant je suis, etc.

SEPTIEME LETTRE '.

De la méthode de diriger l'intention, selon les casuistes. De la permission qu'ils donnent de tuer pour la défense de l'honneur et des biens, et qu'ils étendent jusqu'aux prêtres et aux religieux. Question curieuse proposée par Caramuel, savoir s'il est permis aux jésuites de tuer les jansénistes.

Monsieur,

De Paris, ce 25 avril 1656.

Après avoir apaisé le bon père, dont j'avois un peu troublé le discours par l'histoire de Jean d'Alba, il le reprit sur l'assurance que je lui donnai de ne lui en plus faire de semblables; et il me parla des maximes de ces casuistes touchant les gentilshommes, à peu près en ces termes :

« Vous savez, me dit-il, que la passion dominante des personnes de cette condition est ce point d'honneur qui les engage à toute heure à des violences qui paroissent bien contraires à la piété chrétienne; de sorte qu'il faudroit les exclure presque tous de nos confessionnaux, si nos pères n'eussent un peu relâché de la sévérité de la religion pour s'accommoder à la foiblesse des hommes. Mais comme ils vouloient demeurer attachés à l'Évangile par leur devoir envers Dieu, et aux gens du monde par leur charité pour le prochain, ils ont eu besoin de toute leur lumière pour trouver des expédiens qui tempérassent les choses avec tant de justesse, qu'on pût maintenir et réparer son honneur par les moyens dont on se sert ordinairement dans le monde, sans blesser néanmoins sa conscience; afin de conserver tout ensemble deux choses aussi opposées en apparence que la piété et l'honneur.

<< Mais autant que ce dessein étoit utile, autant l'exécution en étoit pénible; car je crois que vous voyez assez la grandeur et la difficulté de cette entreprise. Elle m'étonne, lui dis-je assez froidement. - Elle vous étonne? me dit-il: je le crois, elle en étonneroit bien d'autres. Ignorez-vous que, d'une part, la loi de l'Evangile ordonne << de ne «< point rendre le mal pour le mal, et d'en laisser la vengeance à Dieu? » et que, de l'autre, les lois du monde défendent de souffrir les injures sans en tirer raison soi-même, et souvent par la mort de ses ennemis ? Avez-vous jamais rien vu qui paroisse plus contraire? Et cependant, quand je vous dis que nos pères ont accordé ces choses, vous me dites simplement que cela vous étonne. Je ne m'expliquois pas assez, mon

4. Cotte lettre a été revue par Nicole.

père. Je tiendrois la chose impossible, si, après ce que j'ai vu de vos pères, je ne savois qu'ils peuvent faire facilement ce qui est impossible aux autres hommes. C'est ce qui me fait croire qu'ils en ont bien trouvé quelque moyen, que j'admire sans le connoître, et que je vous prie de me déclarer.

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-Puisque vous le prenez ainsi, me dit-il, je ne puis vous le refuser. Sachez donc que ce principe merveilleux est notre grande méthode de diriger l'intention, dont l'importance est telle dans notre morale, que j'oserois quasi la comparer à la doctrine de la probabilité. Vous en avez vu quelques traits en passant, dans de certaines maximes que je vous ai dites; car, lorsque je vous ai fait entendre comment les valets peuvent faire en conscience de certains messages fâcheux, n'avez-vous pas pris garde que c'étoit seulement en détournant leur intention du mal dont ils sont les entremetteurs, pour la porter au gain qui leur en revient? Voilà ce que c'est que diriger l'intention; et vous avez vu de même que ceux qui donnent de l'argent pour des bénéfices seroient de véritables simoniaques sans une pareille diversion. Mais je veux maintenant vous faire voir cette grande méthode dans tout son lustre sur le sujet de l'homicide, qu'elle justifie en mille rencontres, afin que vous jugiez par un tel effet tout ce qu'elle est capable de produire. Je vois déjà, lui dis-je, que par là tout sera permis, rien n'en échappera. Vous allez toujours d'une extrémité à l'autre, répondit le père: corrigez-vous de cela; car, pour vous témoigner que nous ne permettons pas tout, sachez que, par exemple, nous ne souffrons jamais d'avoir l'intention formelle de pécher pour le seul dessein de pécher; et que quiconque s'obstine à n'avoir point d'autre fin dans le mal que le mal même, nous rompons avec lui; cela est diabolique: voilà qui est sans exception d'âge, de sexe, de qualité. Mais quand on n'est pas dans cette malheureuse disposition, alors nous essayons de mettre en pratique notre méthode de diriger l'intention, qui consiste à se proposer pour fin de ses actions un objet permis. Ce n'est pas qu'autant qu'il est en notre pouvoir, nous ne détournions les hommes des choses défendues; mais, quand nous ne pouvons pas empêcher l'action, nous purifions au moins l'intention; et ainsi nous corrigeons le vice du moyen par la pureté de la fin.

<< Voilà par où nos pères ont trouvé moyen de permettre les violences qu'on pratique en défendant son honneur; car il n'y a qu'à détourner son intention du désir de vengeance, qui est criminel, pour la porter au désir de défendre son honneur, qui est permis selon nos pères. Et c'est ainsi qu'ils accomplissent tous leurs devoirs envers Dieu et envers les hommes. Car ils contentent le monde en permettant les actions; et ils satisfont à l'Évangile en purifiant les intentions. Voilà ce que les anciens n'ont point connu, voilà ce qu'on doit à nos pères. Le comprenezvous maintenant ? Fort bien, lui dis-je. Vous accordez aux hommes l'effet extérieur et matériel de l'action, et vous donnez à Dieu ce mouvement intérieur et spirituel de l'intention; et, par cet équitable partage, vous alliez les lois humaines avec les divines. Mais, mon père, pour vous dire la vérité, je me défie un peu de vos promesses, et je doute que vos auteurs en disent autant que vous.-Vous me faites tort, dit le père, je

n'avance rien que je ne prouve, et par tant de passages, que leur nombre, leur autorité et leurs raisons vous rempliront d'admiration.

α

«Car, pour vous faire voir l'alliance que nos pères ont faite des maximes de l'Evangile avec celles du monde, par cette direction d'intention, écoutez notre P. Reginaldus (in Praxi, lib. XXI, n. 62, p. 260): « Il est « défendu aux particuliers de se venger, car saint Paul dit (Rom., chap. XII): Ne rendez à personne le mal pour le mal; et l'Ecclésiaste, << (chap. XXVIII): Celui qui veut se venger attirera sur soi la vengeance « de Dieu, et ses péchés ne seront point oubliés. Outre tout ce qui est << dit dans l'Evangile, du pardon des offenses, comme dans les chapi« tres vi et XVIII de saint Matthieu. » — - Certes, mon père, si après cela il dit autre chose que ce qui est dans l'Écriture, ce ne sera pas manque de la savoir. Que conclut-il donc enfin? Le voici, dit-il : << De toutes « ces choses, il paroît qu'un homme de guerre peut sur l'heure même << poursuivre celui qui l'a blessé; non pas, à la vérité, avec l'intention « de rendre le mal pour le mal, mais avec celle de conserver son hon<< neur: Non ut malum pro malo reddat, sed ut conservet honorem. »

« Voyez-vous comment ils ont soin de défendre d'avoir l'intention de rendre le mal pour le mal, parce que l'Écriture le condamne? Ils ne l'ont jamais souffert. Voyez Lessius (de Justitia, lib. II, cap. ix, d. XII, n. 79): « Celui qui a reçu un soufflet ne peut pas avoir l'intention de << s'en venger, mais il peut bien avoir celle d'éviter l'infamie, et pour « cela de repousser à l'instant cette injure, et même à coups d'épée : etiam cum gladio. » Nous sommes si éloignés de souffrir qu'on ait le dessein de se venger de ses ennemis, que nos pères ne veulent pas seulement qu'on leur souhaite la mort par un mouvement de haine. Voyez notre P. Escobar (tr. V, ex. v, n. 145): « Si votre ennemi est disposé à << vous nuire, vous ne devez pas souhaiter sa mort par un mouvement << de haine, mais vous le pouvez bien faire pour éviter votre dommage. >> Car cela est tellement légitime avec cette intention, que notre grand Hurtado de Mendoza dit « qu'on peut prier Dieu de faire promptement << mourir ceux qui se disposent à nous persécuter, si on ne le peut éviter << autrement. » C'est au livre de Spe (vol. II, d. xv, sect. Iv, § 48).

- Mon révérend père, lui dis-je, l'Église a bien oublié de mettre une oraison à cette intention dans ses prières. On n'y a pas mis, me dit-il, tout ce qu'on peut demander à Dieu. Outre que cela ne se pouvoit pas, car cette opinion-là est plus nouvelle que le Bréviaire : vous n'êtes pas bon chronologiste. Mais, sans sortir de ce sujet, écoutez encore ce passage de notre P. Gaspar Hurtado (de Sub. pecc., diff. ix, cité par Diana, part. V, tr. XIV, r. 99); c'est l'un des vingt-quatre pères d'Escobar. « Un bénéficier peut, sans aucun péché mortel, désirer la mort de celui << qui a une pension sur son bénéfice; et un fils celle de son père, et se << réjouir quand elle arrive, pourvu que ce ne soit que pour le bien qui a lui en revient, et non pas par une haine personnelle. »

O mon père, lui dis-je, voilà un beau fruit de la direction d'intention! Je vois bien qu'elle est de grande étendue : mais néanmoins il y a de certains cas dont la résolution seroit encore difficile, quoique fort nécessaire pour les gentilshommes.- Proposez-les pour voir, dit le père.

--Montrez-moi, lui dis-je, avec toute cette direction d'intention qu'il soit permis de se battre en duel.-Notre grand Hurtado de Mendoza, dit le père, vous y satisfera sur l'heure, dans ce passage que Diana rapporte (part. V, tr. XIV, r. 99): « Si un gentilhomme qui est appelé en duel est connu « pour n'être pas dévot, et que les péchés qu'on lui voit commettre à toute << heure sans scrupule fassent aisément juger que, s'il refuse le duel, ce << n'est pas par la crainte de Dieu, mais par timidité; et qu'ainsi on dise « de lui que c'est une poule et non pas un homme, gallina et non vir; << il peut, pour conserver son honneur, se trouver au lieu assigné, non « pas véritablement avec l'intention expresse de se battre en duel, mais << seulement avec celle de se défendre, si celui qui l'a appelé l'y vient << attaquer injustement. Et son action sera toute indifférente d'elle-même. << Car quel mal y a-t-il d'aller dans un champ, de s'y promener en atten« dant un homme, et de se défendre si on l'y vient attaquer? Et ainsi «< il ne pèche en aucune manière, puisque ce n'est point du tout accepter << un duel, ayant l'intention dirigée à d'autres circonstances. Car l'ac» ceptation du duel consiste en l'intention expresse de se battre, laquelle << celui-ci n'a pas. >>

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Vous ne m'avez pas tenu parole, mon père. Ce n'est pas là proprement permettre le duel; au contraire, il le croit tellement défendu, que, pour le rendre permis, il évite de dire que c'en soit un.-Ho! ho! dit le père, vous commencez à pénétrer; j'en suis ravi. Je pourrois dire néanmoins qu'il permet en cela tout ce que demandent ceux qui se battent en duel. Mais puisqu'il faut vous répondre juste, notre P. Layman le fera pour moi, en permettant le duel en mots propres, pourvu qu'on dirige son intention à l'accepter seulement pour conserver son honneur ou sa fortune. C'est au livre III (part. III, chap. III, n. 2 et 3): «Si un « soldat à l'armée, ou un gentilhomme à la cour, se trouve en état de << perdre son honneur ou sa fortune, s'il n'accepte un duel, je ne vois << pas que l'on puisse condamner celui qui le reçoit pour se défendre. » Petrus Hurtado dit la même chose, au rapport de notre célèbre Escobar, au traité I (ex. VII, n.96 et 98); il ajoute ces paroles de Hurtado: « qu'on << peut se battre en duel pour défendre même son bien, s'il n'y a que ce << moyen de le conserver, parce que chacun a le droit de défendre son bien, << et même par la mort de ses ennemis. >>

J'admirai sur ces passages de voir que la piété du roi emploie sa puissance à défendre et à abolir le duel dans ses États, et que la piété des jésuites occupe leur subtilité à le permettre et à l'autoriser dans l'Eglise. Mais le bon père étoit si en train, qu'on lui eût fait tort de l'arrêter, de sorte qu'il poursuivit ainsi : « Enfin, dit-il, Sanchez (voyez un peu quels gens je vous cite!) passe outre; car il permet non-seulement de recevoir, mais encore d'offrir le duel, en dirigeant bien son intention. Et notre Escobar le suit en cela au même lieu (n. 97). — Mon père, lui dis-je, je le quitte, si cela est; mais je ne croirai jamais qu'il l'ait écrit, si je ne le vois. Lisez-le donc vous-même, » me dit-il; et je lus en effet ces mots dans la Théologie morale de Sanchez (liv. II, chap. xxxix, n. 7): « Il est bien raisonnable de dire qu'un homme peut se battre en duel pour sauver sa vie, son honneur ou son bien en une quantité

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