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qui s'empêche de souhaiter que son père y passe✦ bientôt est homme de bien.

Le caractère de celui qui veut hériter de quelqu'un rentré dans celui du complaisant : nous ne sommes point mieux flattés, mieux obéis, plus suivis, plus entourés, plus cultivés, plus ménagés, plus caressés de personne pendant notre vie, que de celui qui croit gagner à notre mort et qui désire qu'elle arrive.

Tous les hommes, par les postes différents, par les titres et par les successions, se regardent comme héritiers les uns des autres, et cultivent par cet intérêt, pendant tout le cours de leur vie, un désir secret et enveloppé de la mort d'autrui le plus heureux, dans chaque condition, est celui qui a plus de choses à perdre par sa mort et à laisser à son

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successeur.

L'on dit du jeu qu'il égale les conditions; mais elles se trouvent quelquefois si étrangement disproportionnées, et il y a entre telle et telle condition un abîme d'intervalle si immense et si profond, que les yeux souffrent de voir de telles extrémités se rapprocher 2: c'est comme une musique qui détonne, ce sont comme des couleurs mal assorties, comme des paroles qui jurent et qui offensent l'oreille, comme de ces bruits ou de ces sons qui font frémir; c'est, en un mot, un renversement de toutes les bienséances. Si l'on m'oppose que c'est la pratique de tout l'Occident, je réponds que c'est peut-être aussi l'une de ces choses qui nous rendent barbares à l'autre partie du monde, et que les Orientaux qui viennent jusqu'à nous remportent sur leurs tablettes: je ne doute pas même que cet excès de familiarité ne les rebute davantage que nous ne sommes blessés de leur zombaye et de leurs autres prosternations.

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1. Expression du langage le plus familier que l'auteur emploie à dessein. 2. Ainsi M. de Langlee, « un homme de rien, » dit Saint-Simon, avait fait tous les jours, pendant plusieurs années, la partie du roi. Gourville, qui avait été laquais, jouait avec les plus grands seigneurs, avant même qu'il ne fût devenu un personnage. Morin le Juif, joueur fameux, voyait toutes les maisons s'ouvrir devant lui; forcé de quitter la France, il était allé jouer en Angleterre chez la duchesse de Mazarin. Une femme qui donnait à jouer, fût-elle du plus grand monde, recevait volontiers tous les joueurs, de quelque condition qu'ils fussent. On s'imagine malaisément, du reste, quel degre de passion avait atteint l'amour du jeu, au moment où la Bruyère écrivait. Ce fut bientôt l'une des plus difficiles tâches de la police que de réprimer les abus et les scandales qui s'en suivirent.

3. Lesambassadeurs qui paraissaient devant le roi de Siam s'approchaient

¶ Une tenue d'États, ou les chambres assemblées pour une affaire très-capitale, n'offrent point aux yeux rien de si grave et de si sérieux qu'une table de gens qui jouent un grand jeu une triste sévérité règne sur leur visage; implacables l'un pour l'autre, et irréconciliables ennemis pendant que la séance dure, ils ne reconnaissent plus ni liaisons, ni alliance, ni naissance, ni distinctions : le hasard seul, aveugle et farouche divinité, préside au cercle, et y décide souverainement; ils l'honorent tous par un silence profond, et par une attention dont ils sont partout ailleurs fort incapables; toutes les passions, comme suspendues, cèdent à une seule le courtisan alors n'est ni doux, ni flatteur, ni complaisant, ni même dévot.

L'on ne reconnaît plus en ceux que le jeu et le gain ont illustrés la moindre trace de leur première condition : ils perdent de vue leurs égaux, et atteignent les plus grands seigneurs. Il est vrai que la fortune du dé ou du lansquenet les remet souvent où elle les a pris.

Je ne m'étonne pas qu'il y ait des brelans publics,

de la salle d'audience en se traînant à genoux, au milieu des mandarins prosternés, et faisaient à une certaine distance une profonde inclination qui se nommait la zombaye; s'avançant un peu plus près, toujours à genoux, ils frappaient trois fois la terre de leur front, s'avançaient encore, faisaient la zombaye, puis attendaient que le roi leur parlât. Če cérémonial était un peu abrégé pour les ambassadeurs des souverains importants, mais encore ne s'avançaient-ils qu'en rampant sur leurs genoux. M. de Chaumont, envoyé en ambassade auprès du roi de Siam par Louis XIV en 1685, refusa de faire les prosternations habituelles, et fut le premier ambassadeur qui parut debout devant lui. (Voyage de Siam, par le P. Tachard.)

1. Les États, assemblées qui dans certaines provinces réglaient l'impôt. 2. Les chambres du Parlement.

3. Il est, depuis longtemps, contraire à l'usage de joindre à la fois pas et rien à la particule négative ne. Bien que Martine, la servante des Femmes savantes, eût pour elle la logique, l'histoire de la langue, l'autorité de Racine et celle de Molière lui-même, elle offensait déja les oreilles des puristes lorsqu'elle s'écriait :

Et tous vos biaux dictons ne servent pas de rien.

La phrase de la Bruyère a toutefois trouvé grâce devant les critiques de son temps, et nous aurions tort d'être plus rigoureux qu'ils ne l'ont été. Il est à remarquer que dans cette phrase. le mot rien conserve entièrement sa valeur primitive. Rien, qui vient de rem, n'est point par lui-même une négation sa première signification est quelque chose, une chose, et c'est tantôt en vertu d'une ellipse, tantôt par suite d'un usage qui est contraire à l'étymologie, qu'en certains cas il a pris de lui-même une signification négative. Ici le mot rien a un sens purement positif, et ia phrase peut indifféremment se construire avec quelque chose ou avec rien n'offrent point aux yeux quelque chose ou n'offrent point aux yeux rien de si grave sont, étymologiquement, deux manières de parler parfaitement équivalentes.

comme autant de piéges tendus à l'avarice des hommes, comme des gouffres où l'argent des particuliers tombe et se précipite sans retour, comme d'affreux écueils où les joueurs viennent se briser et se perdre; qu'il parte de ces lieux des émissaires pour savoir à heure marquée qui a descendu à terre avec un argent frais d'une nouvelle prise, qui a gagné un procès d'où on lui a compté une grosse somme, qui a reçu un don, qui a fait au jeu un gain considérable, quel fils de famille vient de recueillir une riche succession, ou quel commis imprudent veut hasarder sur une carte les deniers de sa caisse. C'est un sale et indigne métier, il est vrai, que de tromper; mais c'est un métier qui est ancien, connu, pratiqué de tout temps par ce genre d'hommes que j'appelle des brelandiers. L'enseigne est à leur porte, on y lirait presque Ici l'on trompe de bonne foi; car se voudraient-ils donner pour irréprochables? Qui ne sait pas qu'entrer et perdre dans ces maisons est une même chose? Qu'ils trouvent donc sous leur main autant de dupes qu'il en faut pour leur subsistance, c'est ce qui me passe.

Mille gens se ruinent au jeu, et vous disent froidement qu'ils ne sauraient se passer de jouer quelle excuse! Y a-t-il une passion, quelque violente ou honteuse qu'elle soit, qui ne pût tenir ce même langage? Serait-on reçu à dire qu'on ne peut se passer de voler, d'assassiner, de se précipiter 1? Un jeu effroyable, continuel, sans retenue, sans bornes, où l'on n'a en vue que la ruine totale de son adversaire, où l'on est transporté du désir du gain, désespéré sur la perte, consumé par l'avarice, où l'on expose sur une carte ou à la fortune du dé la sienne propre, celle de sa femme et de ses enfants, est-ce une chose qui soit permise ou dont l'on doive se passer? Ne faut-il pas quelquefois se faire une plus grande violence, lorsque, poussé par le jeu jusques à une déroute universelle, il faut même que l'on se passe d'habits et de nourriture, et de les fournir à sa famille?

Je ne permets à personne d'être fripon; mais je permets

1. Où ? Dans le vice et le désordre, sans doute. En souvenir du sens qu'a quelquefois le mot præceps en latin, l'auteur attribue à l'expression se précipiter une valeur qu'elle n'a jamais eue.

à un fripon de jouer un grand jeu : je le défends à un honnête homme. C'est une trop grande puérilité que de s'exposer à une grande perte.

¶ Il n'y a qu'une affliction qui dure, qui est celle qui vient de la perte de biens: le temps, qui adoucit toutes les autres, aigrit celle-ci. Nous sentons à tous moments, pendant le cours de notre vie, où le bien que nous avons perdu nous manque.

Il fait bon avec celui qui ne se sert pas de son bien à marier ses filles, à payer ses dettes, ou à faire des contrats, pourvu que l'on ne soit ni ses enfants ni sa femme.

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Ni les troubles, Zénobie1, qui agitent votre empire, ni la guerre que vous soutenez virilement contre une nation puissante depuis la mort du roi votre époux, ne diminuent rien de votre magnificence. Vous avez préféré à toute autre contrée les rives de l'Euphrate pour y élever un superbe édifice l'air y est sain et tempéré, la situation en est riante; un bois sacré l'ombrage du côté du couchant. Les dieux de Syrie, qui habitent quelquefois la terre, n'y auraient pu choisir une plus belle demeure. La campagne autour est Couverte d'hommes qui taillent et qui coupent, qui vont et qui viennent, qui roulent ou qui charrient le bois du Liban, l'airain et le porphyre; les grues et les machines gémissent dans l'air, et font espérer à ceux qui voyagent vers l'Arabie de revoir à leur retour en leurs foyers ce palais achevé, et dans cette splendeur où vous désirez de le porter avant de l'habiter, vous et les princes vos enfants. N'y épargnez rien, grande reine; employez-y l'or et tout l'art des plus excellents ouvriers; que les Phidias et les Zeuxis de votre siècle déploient toute leur science sur vos plafonds et sur vos lambris; tracez-y de vastes et délicieux jardins, dont l'enchantement soit tel qu'ils ne paraissent pas faits de la main des hommes; épuisez vos trésors et votre industrie sur cet ouvrage incomparable; et après que vous y aurez mis, Zénobie, la dernière main, quelqu'un de ces pâtres qui

1. Après la mort d'Odenath, son second mari, qui périt assassiné, Zénobie, reine de Palmyre, prit le titre de reine de l'Orient, et déclara la guerre aux Romains (267-272). Vaincue par l'empereur Aurelien, elle fut emmenée à Rome et parut dans le triomphe qui célébra sa défaite.

2. Machines pour élever les pierres.

3. Voyez page 33, note 2.

habitent les sables voisins de Palmyre, devenu riche par les péages de vos rivières, achètera un jour à deniers comptants cette royale maison, pour l'embellir et la rendre plus digne de lui et de sa fortune.

TCe palais, ces meubles, ces jardins, ces belles eaux, vous enchantent et vous font récrier d'une première vue sur une maison si délicieuse, et sur l'extrême bonheur du maître qui la possède. Il n'est plus; il n'en a pas joui si agréablement ni si tranquillement que vous : il n'y a jamais eu un jour serein, ni une nuit tranquille; il s'est noyé de dettes pour la porter à ce degré de beauté où elle vous ravit. Ses créanciers l'en ont chassé : il a tourné la tête, et il l'a regardée de loin une dernière fois; et il est mort de saisissement.

L'on ne saurait s'empêcher de voir dans certaines familles ce qu'on appelle les caprices du hasard ou les jeux de la fortune. Il y a cent ans qu'on ne parlait point de ces familles, qu'elles n'étaient point: le ciel tout d'un coup s'ouvre en leur faveur; les biens, les honneurs, les dignités, fondent sur elles à plusieurs reprises; elles nagent dans la prospérité. Eumolpe, l'un de ces hommes qui n'ont point de grands-pères, a eu un père du moins qui s'était élevé si haut, que tout ce qu'il a pu souhaiter pendant le cours d'une longue vie, ç'a été de l'atteindre; et il l'a atteint. Était-ce dans ces deux personnages éminence d'esprit, profonde capacité? étaient-ce les conjonctures? la fortune enfin ne leur rit plus; elle se joue ailleurs, et traite leur postérité comme leurs ancêtres.

La cause la plus immédiate de la ruine et de la déroute des personnes des deux conditions, de la robe et de l'épée, est que l'état3 seul, et non le bien, règle la dépense.

Si vous n'avez rien oublié pour votre fortune, quel travail ! Si vous avez négligé la moindre chose, quel repentir!

¶ Giton a le teint frais, le visage plein et les joues pen

1. Cet éloquent passage est l'un de ceux que l'on a le plus admirés. « Si l'on examine avec attention tous les détails de ce beau tableau, dit Suard, on verra que tout y est préparé, disposé avec un art infini pour produire un grand effet. »

2. Dès le premier coup d'œil.

3. Le rang, la condition.

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