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Et ce qui achève notre impuissance à connaître les choses est qu'elles sont simples en elles-mêmes, et que nous sommes composés de deux natures opposées et de divers genres: d'âme et de corps. Car il est impossible que la partie qui raisonne en nous soit autre que spirituelle; et quand on prétendrait que nous serions simplement corporels, cela nous exclurait bien davantage de la connaissance des choses, n'y ayant rien de si inconcevable que de dire que la matière se connaît soi-même. Il ne nous est pas possible de connaître comment elle se connaîtrait1.

Et ainsi, si nous sommes simplement matériels, nous ne pouvons rien du tout connaître; et si nous sommes composés d'esprit et de matière, nous ne pouvons connaître parfaitement les choses simples, spirituelles et corporelles 2.

De là vient que presque tous les philosophes confondent les idées des choses, et parlent des choses corporelles spirituellement et des spirituelles cor

1 VAR. DU MS.: «Et ce qui achève notre impuissance est la simplicité des choses comparée avec notre état double et composé. Il y a des absurdités invincibles à combattre ce point; car il est aussi absurde qu'impie de nier que l'homme est composé de deux parties de différente nature, d'âme et de corps. Cela nous rend impuissants à connaître toutes choses; que si on nie cette composition, et qu'on prétende que nous sommes tout corporels, je laisse juger combien la matière est incapable de connaître la matière. Rien n'est plus impossible que cela. Concevons donc que ce mélange d'esprit et de boue nous disproportionne» (barré).

2 VAR. DU MS.: « Les choses simples; car comment connaîtrionsnous distinctement la matière, puisque notre suppôt, qui agit en cette connaissance, est en partie spirituel? et comment connaîtrionsnous nettement les substances spirituelles, ayant un corps qui nous aggrave et nous baisse vers la terre?» (barré).

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porellement. Car ils disent hardiment que les corps tendent en bas, qu'ils aspirent à leur centre, qu'ils fuient leur destruction, qu'ils craignent le vide qu'ils ont des inclinations, des sympathies, des antipathies, qui sont toutes choses qui n'appartiennent qu'aux esprits. Et en parlant des esprits, ils les considèrent comme en un lieu, et leur attribuent le mouvement d'une place à une autre, qui sont choses qui n'appartiennent qu'aux corps.

Au lieu de recevoir les idées de ces choses pures, nous les teignons de nos qualités, et empreignons [de] notre être composé toutes les choses simples que nous contemplons.

Qui ne croirait, à nous voir composer toutes choses d'esprit et de corps, que ce mélange-là nous serait bien compréhensible ? C'est néanmoins la chose qu'on comprend le moins. L'homme est à luimême le plus prodigieux objet de la nature; car il ne peut concevoir ce que c'est que corps, et encore moins ce que c'est qu'esprit, et moins qu'aucune chose comment un corps peut être uni avec un esprit. C'est là le comble de ses difficultés, et cependant c'est son propre être : Modus quo corporibus adhæret spiritus comprehendi ab hominibus non potest; et hoc tamen homo est1. Enfin, pour consommer la preuve de notre faiblesse, je finirai par ces deux considérations 2...

1 S. Augustin, de Civit. Dei, xx1, 10.

2 VAR. DU MS. : « Voilà une partie des causes qui rendent l'homme si imbécille à connaître la nature. Elle est infinie en deux manières; il est fini et limité. Elle dure et se maintient perpétuellement en

II.

Je puis bien concevoir un homme sans mains, pieds, tête, car ce n'est que l'expérience qui nous apprend que la tête est plus nécessaire que les pieds. Mais je ne puis concevoir l'homme sans pensée, ce serait une pierre ou une brute.

Grandeur et misère. - La misère se concluant de la grandeur, et la grandeur de la misère, les uns ont conclu la misère d'autant plus qu'ils en ont pris pour preuve la grandeur, et les autres concluant la grandeur avec d'autant plus de force qu'ils l'ont conclue de la misère même, tout ce que les uns ont pu dire pour montrer la grandeur n'a servi que d'un argument aux autres pour conclure la misère, puisque c'est être d'autant plus misérable qu'on est tombé de plus haut; et les autres, au contraire. Ils se sont portés les uns sur les autres par un cercle sans fin: étant certain qu'à mesure que les hommes ont de la lumière, ils trouvent et grandeur et misère en l'homme. En un mot, l'homme connaît qu'il est misérable: il est donc misérable, puisqu'il l'est; mais il est bien grand, puisqu'il le connaît.

... S'il se vante, je l'abaisse; s'il s'abaisse, je le vante, et le contredis toujours, jusqu'à ce qu'il com prenne qu'il est un monstre incompréhensible.

son être; il passe et est mortel. Les choses en particulier se corrompent et se changent à chaque instant: il ne les voit qu'en passant; elles ont leur principe et leur fin: il ne conçoit ni l'un ni l'autre. Elles sont simples, et il est composé de deux natures différentes; et pour consommer la preuve de notre faiblesse, je finirai par cette réflexion sur l'état de notre nature» (barré.)

III.

Les hommes n'ayant pu guérir la mort, la misère, l'ignorance, se sont avisés, pour se rendre heureux, de ne point y penser.

IV.

La nature nous rendant toujours maneureux en tous états, nos désirs nous figurent un état heureux, parce qu'ils joignent à l'état où nous sommes les plaisirs de l'état où nous ne sommes pas; et quand nous arriverions à ces plaisirs, nous ne serions pas heureux pour cela, parce que nous aurions d'autres désirs conformes à ce nouvel état.

Il faut particulariser cette proposition générale... V.

Qu'on s'imagine un nombre d'hommes dans les chaînes, et tous condamnés à mort, dont les uns étant chaque jour égorgés à la vue des autres, ceux qui restent voient leur propre condition dans celle de leurs semblables, et, se regardant les uns les autres avec douleur et sans espérance, attendent leur tour: c'est l'image de la condition des hommes. VI.

Cromwell allait ravager toute la chrétienté; la famille royale était perdue et la sienne à jamais puissante, sans un petit grain de sable qui se mit dans son uretère. Rome même allait trembler sou lui; mais ce petit gravier s'étant mis là, il est mort sa famille abaissée, tout en paix et le roi rétabli.

VII.

La grandeur de l'homme est grande en ce qu'il se connaît misérable. Un arbre ne se connaît pas misérable. C'est donc être misérable que de se connaître misérable; mais c'est être grand que de connaître qu'on est misérable. Toutes ces misères-là mêmes prouvent sa grandeur. Ce sont misères de grand seigneur, misères d'un roi dépossédé.

VIII.

La grandeur de l'homme. - La grandeur de l'homme est si visible, qu'elle se tire même de sa misère. Car ce qui est nature aux animaux, nous l'appelons misère en l'homme, par où nous reconnaissons que sa nature étant aujourd'hui pareille à celle des animaux, il est déchu d'une meilleure nature qui lui était propre autrefois.

Car qui se trouve malheureux de n'être pas roi, sinon un roi dépossédé? Trouvait-on Paul Émile malheureux de n'être plus consul? Au contraire, tout le monde trouvait qu'il était heureux de l'avoir été, parce que sa condition n'était pas de l'être toujours. Mais on trouvait Persée si malheureux de n'être plus roi, parce que sa condition était de l'être toujours, qu'on trouvait étrange de ce qu'il supportait la vie. Qui se trouve malheureux de n'avoir qu'une bouche? et qui ne se trouvera malheureux de n'avoir qu'un œil? On ne s'est peut-être jamais affligé de n'avoir pas trois yeux, mais on est inconsolable de n'en point avoir.

IX.

Grandeur de l'homme. -Nous avons une si grande idée de l'âme de l'homme, que nous ne pouvons souffrir d'en être méprisés, et de n'être pas dans

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