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me semble que je rêve; car la vie est un songe un peu moins inconstant.

XII.

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1 Contre le pyrrhonisme. - Nous supposons que tous les conçoivent de même sorte: mais nous le supposons bien gratuitement; car nous n'en avons aucune preuve. Je vois bien qu'on applique ces mots dans les mêmes occasions, et que toutes les fois que deux hommes voient un corps changer de place, ils expriment tous deux la vue de ce même objet par le même mot, en disant l'un et l'autre qu'il s'est mû; et de cette conformité d'application on tire une puissante conjecture d'une conformité d'idée; mais cela n'est pas absolument convaincant, de la dernière conviction, quoiqu'il y ait bien à parier pour l'affirmative; puisqu'on sait qu'on tire souvent les mêmes conséquences des suppositions différentes.

Cela suffit pour embrouiller au moins la matière; non que cela éteigne absolument la clarté naturelle qui nous assure de ces choses, les académiciens 2 auraient gagné; mais cela la ternit, et trouble les dogmatistes, à la gloire de la cabale pyrrhonienne, qui consiste à cette ambiguïté ambiguë, et dans une certaine obscurité douteuse, dont nos doutes ne peuvent ôter toute la clarté, ni nos lumières naturelles en chasser toutes les ténèbres.

1 Ce passage commençait par ces mots : « C'est donc une chose étrange qu'on ne peut définir ces choses sans les obscurcir» (barré). 2 « Les académiciens. » Les philosophes grecs de l'école sceptique qu'on appelait la nouvelle Académie. Ils soutenaient qu'on ne peut rien savoir, tandis que les pyrrhoniens ne savent même pas si l'on peut savoir ou non.

(Havet.)

XIII.

Spongia solis11. - Quand nous voyons un effet arriver toujours de même, nous en concluons une nécessité naturelle, comme, qu'il sera demain jour, ete.; mais souvent la nature nous dément, et ne s'assujettit pas à ses propres règles.

XIV.

Contradiction est une mauvaise marque de vérité. Plusieurs choses certaines sont contredites, plusieurs fausses passent sans contradiction : ni la contradiction n'est marque de fausseté, ni l'incontradiction n'est marque de vérité.

XV.

Le monde juge bien des choses, car il est dans l'ignorance naturelle, qui est le vrai siége de l'homme. Les sciences ont deux extrémités qui se touchent: la première est la pure ignorance natu-relle où se trouvent tous les hommes en naissant. L'autre extrémité est celle où arrivent les grandes âmes, qui, ayant parcouru tout ce que les hommes peuvent savoir, trouvent qu'ils ne savent rien, et se rencontrent en cette même ignorance d'où ils étaient partis 2. Mais c'est une ignorance savante qui se

1 Les taches du soleil. Pascal a voulu sans doute par ce titre bizarre exprimer cette idée, que l'on a peut-être tort de croire que le soleil se lèvera demain, comme il s'est levé hier, attendu que les taches pourraient éteindre sa lumière, et qu'ainsi la nature nous démentirait.

2 « Il se peult dire, avecques apparence, qu'il y a ignorance abecedaire, qui va devant la science, aultre doctorale, qui vient aprez la science, etc. Les paisans simples sont honnestes gents, et honnestes gents les philosophes, ou selon que nostre temps les nomme, des natures fortes et claires, enrichies d'une large instruction de

connaît. Ceux d'entre-deux, qui sont sortis de l'ignorance naturelle, et n'ont pu arriver à l'autre, ont quelque teinture de cette science suffisante, et font les entendus. Ceux-là troublent le monde, et jugent mal de tout. Le peuple et les habiles composent le train du monde; ceux-là le méprisent, et sont méprisés. Ils jugent mal de toutes choses, et le monde en juge bien 1.

XVI.

L'homme n'est qu'un sujet plein d'erreur, naturelle et ineffaçable sans la grâce. Rien ne lui montre la vérité: tout l'abuse. Ces deux principes de vérités, la raison et les sens, outre qu'ils manquent chacun de sincérité, s'abusent réciproquement l'un l'autre. Les sens abusent la raison par de fausses apparences; et cette même piperie qu'ils apportent à la raison, ils la reçoivent d'elle à leur tour: elle s'en revanche. Les passions de l'âme troublent les sens, et leur font des impressions fausses. Ils mentent et se trompent à l'envi1.

sciences utiles: les mestis, qui ont desdaigné le premier siege de l'ignorance des lettres, et n'ont pu icindre l'aultre (le cul entre deux selles, desquels ie suis et tant d'aultres), sont dangereux, ineptes, importuns; ceulx-cy troublent le monde. » (Montaigne.)

1 Maxime admirable de Pascal, mais qu'il faut bien entendre. Qui croirait que Pascal a voulu dire que les habiles doivent vivre dans l'inapplication et la mollesse, etc., condamnerait toute la vie de Pascal par sa propre maxime; car personne n'a moins vécu comme le peuple que Pascal à ces égards: donc le vrai sens de Pascal, c'est que tout homme qui cherche à se distinguer par des apparences singulières, qui ne rejette pas les maximes vulgaires parce qu'elles sont mauvaises, mais parce qu'elles sont vulgaires; qui s'attache à des sciences stériles, purement curieuses et de nul usage dans le monde; qui est pourtant gonflé de cette fausse science, et ne peut arriver à la véritable: un tel homme, comme il dit plus haut, trouble le monde, et juge plus mal que les autres. En deux mots, voici sa pensée expliquée d'une autre manière: Ceux qui n'ont qu'un esprit mé diocre ne pénètrent pas jusqu'au bien ou jusqu'à la nécessité qu autorise certains usages, et s'érigent mal à propos en réformateurs de leur siècle: les habiles mettent à profit la coutume bonne ou mauvaise, abandonnent leur extérieur aux légèretés de la mode, et savent se proportionner au besoin de tous les esprits.

(Vauvenargues.)

XVII.

Ce qui m'étonne le plus est de voir que tout le monde n'est pas étonné de sa faiblesse. On agit sérieusement, et chacun suit sa condition, non pas parce qu'il est bon en effet de la suivre, puisque la mode en est; mais comme si chacun savait certainement où est la raison et la justice. On se trouve déçu à toute heure; et, par une plaisante humilité, on croit que c'est sa faute, et non pas celle de l'art, qu'on se vante toujours d'avoir. Mais il est bon qu'il y ait tant de ces gens-là au monde, qui ne soient pas pyrrhoniens, pour la gloire du pyrrhonisme, afin de montrer que l'homme est bien capable des plus extravagantes opinions, puisqu'il est capable de croire qu'il n'est pas dans cette faiblesse naturelle et inévitable, et de croire qu'il est, au contraire, dans la sagesse naturelle.

Rien ne fortifie plus le pyrrhonisme que ce qu'il y en a qui ne sont point pyrrhoniens : si tous l'étaient, ils auraient tort.

XVIII.

Cette secte se fortifie par ses ennemis plus que

« Cette mesme piperie que les sens apportent à nostre entendement, ils la reçoivent à leur tour; nostre ame parfois s'en revenche de mesme: ils mentent et se trompent à l'envy. » (Montaigne.)

par ses amis: car la faiblesse de l'homme paraît bien davantage en ceux qui ne la connaissent pas qu'en ceux qui la connaissent.

Si on est trop jeune, on ne juge pas bien; trop vieil, de même; si on n'y songe pas assez...; si on n'y songe trop, on s'entête, et on s'en coiffe. Si on considère son ouvrage incontinent après l'avoir fait, on en est encore tout prévenu; si trop longtemps après, on n'y entre plus. Aussi les tableaux, vus de trop loin et de trop près; et il n'y a qu'un point indivisible qui soit le véritable lieu : les autres sont trop près, trop loin, trop haut ou trop bas. La perspective l'assigne dans l'art de la peinture; mais dans la vérité et dans la morale, qui l'assignera?

ΧΙΧ.

Ceux qui sont dans le déréglement disent à ceux qui sont dans l'ordre, que ce sont eux qui s'éloignent de la nature, et ils la croient suivre: comme ceux qui sont dans un vaisseau croient que ceux qui sont au bord fuient. Le langage est pareil des deux côtés. Il faut avoir un point fixe pour en juger. Le port juge ceux qui sont dans le vaisseau; mais où prendrons-nous un point dans la morale?

CHAPITRE V.

[Inquiétude de l'homme. - Occupations et divertissements.]

I.

Nous ne nous tenons jamais au temps présent. Nous anticipons l'avenir comme trop lent à venir,

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