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Xxx.

César était trop vieil, ce me semble, pour s'aller amuser à conquérir le monde. Cet amusement était bon à Auguste ou à Alexandre; c'étaient des jeunes gens, qu'il est difficile d'arrêter; mais César devait être plus mûr.

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Le sentiment de la fausseté des plaisirs présents, et l'ignorance de la vanité des plaisirs absents, causent l'inconstance.

XXXII.

L'éloquence continue ennuie.

Les princes et rois jouent quelquefois. Ils ne sont pas toujours sur leurs trônes; ils s'y ennuient. La grandeur a besoin d'être quittée pour être sentie. La continuité dégoûte en tout. Le froid est agréable pour se chauffer.

XXXIII.

Lustravit lampade terras. Le temps et mes humeurs ont peu de liaison 1. Mon humeur ne dépend guère du temps: j'ai mes brouillards et mon beau temps au dedans de moi. Le bien et le mal de mes affaires mêmes y font peu: je m'efforce quelquefois de moi-même contre la fortune; la gloire de la dompter me la fait dompter gaiement; au lieu que je fais quelquefois le dégoûté dans la bonne fortune. de Cléopâtre. » Cette deuxième façon a été barrée de la main de Pascal. (Cousin.)

1 Pascal répond ici à ce passage de Montaigne : « L'air mesme et la serenité du ciel nous apporte quelque mutation, comme dit ce vers grec en Cicero: Tales sunt hominum mentes quali pater ipse Jupiter auctifera lustravit lampade terras. » (Vers traduits de l'Odyssée, σ, 135, et conservés par saint Augustin, de Civitate Dei, V, 8.)

(Havet.)

XXXIV.

En écrivant ma pensée, elle m'échappe quelquefois; mais cela me fait souvenir de ma faiblesse, que j'oublie à toute heure; ce qui m'instruit autant que ma pensée oubliée, car je ne tends qu'à connaître mon néant.

Pensée échappée. Je la voulais écrire; j'écris, au lieu, qu'elle m'est échappée.

XXXV.

C'est une plaisante chose à considérer, de ce qu'il y a des gens dans le monde qui, ayant renoncé à toutes les lois de Dieu et de la nature, s'en sont fait eux-mêmes auxquelles ils obéissent exactement, comme, par exemple, les soldats de Mahomet, les voleurs, les hérétiques, etc. Et ainsi les logiciens... Il semble que leur licence doive être sans aucune borne ni barrière, voyant qu'ils en ont franchi tant de si justes et de si saintes.

XXXVI.

« Vous avez mauvaise grâce, excusez-moi, s'il vous plaît. » Sans cette excuse, je n'eusse pas aperçu qu'il y eût d'injure. - « Révérence parler... » - II n'y a rien de mauvais que leur excuse.

XXXVII.

On ne s'imagine Platon et Aristote qu'avec de grandes robes de pédants. C'étaient des gens honnêtes et comme les autres, riant avec leurs amis : et quand ils se sont divertis à faire leurs Lois et leur Politique ils l'ont fait en se jouant. C'était la partie la moins philosophe et la moins sérieuse de

leur vie. La plus philosophe était de vivre simplement et tranquillement.

S'ils ont écrit de politique, c'était comme pour régler un hôpital de fous. Et s'ils ont fait semblant d'en parler comme d'une grande chose, c'est qu'ils savaient que les fous à qui ils parlaient pensaient être rois et empereurs. Ils entraient dans leurs principes pour modérer leur folie au moins mal qu'il se pouvait.

XXXVIII.

Épigrammes de Martial. L'homme aime la malignité: mais ce n'est pas contre les borgnes, ni contre les malheureux, mais contre les heureux superbes; on se trompe autrement. Car la concupiscence est la source de tous nos mouvements, et l'hu-manité... Il faut plaire à ceux qui ont les sentiments humains et tendres.

Celle des deux borgnes ne vaut rien, parce qu'elle ne les console pas, et ne fait que donner une pointe à la gloire de l'auteur. Tout ce qui n'est que pour l'auteur ne vaut rien. Ambitiosa recidet ornamenta1.

XXXIX.

Je me suis mal trouvé de ces compliments : « Je vous ai bien donné de la peine; Je crains de vous ennuyer; Je crains que cela soit trop long. » Ou on entraîne, ou on irrite.

XL.

Un vrai ami est une chose si avantageuse, même pour les plus grands seigneurs, afin qu'il dise du bien d'eux, et qu'il les soutienne en leur absence

HOR.: de Arte poet., 447.

même, qu'ils doivent tout faire pour en avoir. Mais qu'ils choisissent bien; car, s'ils font tous leurs efforts pour des sots, cela leur sera inutile, quelque bien qu'ils disent d'eux: et même ils n'en diront pas du bien, s'ils se trouvent les plus faibles, car ils n'ont pas d'autorité; et ainsi ils en médiront par compagnie.

XLI.

Voulez-vous qu'on croie du bien de vous? n'en dites point.

XLII.

Je mets en fait que, si tous les hommes savaient ce qu'ils disent les uns des autres, il n'y aurait pas quatre amis dans le monde. Cela paraît par les querelles que causent les rapports indiscrets qu'on en fait quelquefois.

Divertissement.

XLIII.

La mort est plus aisée à supporter sans y penser, que la pensée de la mort sans péril.

XLIV.

Vanité. - Qu'une chose aussi visible qu'est la vanité du monde soit si peu connue, que ce soit une chose étrange et surprenante de dire que c'est une sottise de chercher les grandeurs, cela est admirable!

Qui ne voit pas la vanité du monde est bien vain lui-même. Aussi qui ne la voit, excepté de jeunes gens qui sont tous dans le bruit, dans le divertissement, et dans la pensée de l'avenir? Mais ôtez leur divertissement, vous les verrez se sécher d'ennui;

ils sentent alors leur néant sans le connaître : car

c'est bien être malheureux que d'être dans une tristesse insupportable aussitôt qu'on est réduit à se considérer, et à n'en être point diverti.

XLV.

Pyrrhonisme. - Chaque chose est ici vraie en partie, fausse en partie. La vérité essentielle n'est pas ainsi : elle est toute pure et toute vraie. Ce mélange la déshonore et l'anéantit. Rien n'est purement vrai; et ainsi rien n'est vrai, en l'entendant du pur vrai. On dira qu'il est vrai que l'homicide est mauvais; oui, car nous connaissons bien le mal et le faux. Mais que dira-t-on qui soit bon ? La chasteté? Je dis que non, car le monde finirait. Le mariage? Non: la continence vaut mieux. De ne point tuer ? Non, car les désordres seraient horribles, et les méchants tueraient tous les bons. De tuer? Non, car cela détruit la nature. Nous n'avons ni vrai ni bien qu'en partie, et mêlé de mal et de faux.

CHAPITRE IX.

(Sur les divers genres d'esprits; - Sur la raison et le sentiment; Pensées diverses 1.]

I.

A mesure qu'on a plus d'esprit, on trouve qu'il y

1 Pascal continue encore dans ce chapitre l'étude de l'homme, en faisant porter plus particulièrement l'analyse sur les facultés intellectuelles, ce qui le conduit naturellement à parler du style, de l'éloquence, de la beauté poétique. C'est donc à tort que quelques éditeurs ont détaché de l'ensemble les pensées littéraires.

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