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il y en a une infinité. Mais chaque mauvais sonnet, par exemple, sur quelque faux modèle qu'il soit fait, ressemble parfaitement à une femme vêtue sur ce modèle. - Rien ne fait mieux entendre combien un faux sonnet est ridicule que d'en considérer la nature et le modèle, et de s'imaginer ensuite une femme ou une maison faite sur ce modèle-là.

XXVI.

Beauté poétique. - Comme on dit beauté poétique, on devrait aussi dire beauté géométrique, et beauté médicinale. Cependant on ne le dit point: et la raison en est qu'on sait bien quel est l'objet de la géométrie, et qu'il consiste en preuves, et quel est l'objet de la médecine, et qu'il consiste en la guérison; mais on ne sait pas en quoi consiste l'agrément, qui est l'objet de la poésie. On ne sait ce que c'est que ce modèle naturel qu'il faut imiter; et, à faute de cette connaissance, on a inventé de certains termes bizarres : « siècle d'or, merveille de nos jours, fatal, etc.; » et on appelle ce jargon beauté poétique. Mais qui s'imaginera une femme sur ce modèle-là, qui consiste à dire de petites choses avec de grands mots, verra une jolie demoiselle toute pleine de miroirs et de chaînes, dont il rira, parce qu'on sait mieux en quoi consiste l'agrément d'une femme que l'agrément des vers. Mais ceux qui ne s'y connaîtraient pas l'admireraient en cet équipage; et il y a bien des villages où on la prendrait pour la reine: et c'est pourquoi nous appelons les sonnets faits sur ce modèle-là les reines de villages.

XXVII.

Quand un discours naturel peint une passion, ou un effet, on trouve dans soi-même la vérité de ce qu'on entend, laquelle on ne savait pas qu'elle y fût, en sorte qu'on est porté à aimer celui qui nous le fait sentir; car il ne nous a pas fait montre de son bien, mais du nôtre; et ainsi ce bienfait nous le rend aimable: outre que cette communauté d'intelligence que nous avons avec lui incline nécessairement le cœur à l'aimer.

XXVIII.

Éloquence. - Il faut de l'agréable et du réel; mais il faut que cet agréable soit lui-même pris du vrai. XXIX.

Quand on voit le style naturel, on est tout étonné et ravi; car on s'attendait de voir un auteur, et on trouve un homme. Au lieu que ceux qui ont le goût bon, et qui en voyant un livre croient trouver un homme, sont tout surpris de trouver un auteur: Plus poetice quam humane locutus es. Ceux-là honorent bien la nature, qui lui apprennent qu'elle peut parler de tout, et même de théologie.

xxx.

La dernière chose qu'on trouve en faisant un ouvrage est de savoir celle qu'il faut mettre la première.

ΧΧΧΙ.

Langage. - Il ne faut point détourner l'esprit ailleurs, sinon pour le délasser, mais dans le temps où cela est à propos; le délasser quand il faut, et non autrement; car qui délasse hors de propos, il :

lasse; et qui lasse hors de propos délasse, car on quitte tout là: tant la malice de la concupiscence se plaît à faire tout le contraire de ce qu'on veut obtenir de nous sans nous donner du plaisir, qui est la monnaie pour laquelle nous donnons tout ce qu'on veut.

XXXII.

Quelle vanité que la peinture, qui attire l'admiration par la ressemblance des choses dont on n'admire pas les originaux !

XXXIII.

Un même sens change selon les paroles qui l'expriment. Les sens reçoivent des paroles leur dignité, au lieu de la leur donner. Il en faut chercher des exemples...

XXXIV.

Ceux qui sont accoutumés à juger par le sentiment ne comprennent rien aux choses de raisonnement; car ils veulent d'abord pénétrer d'une vue, et ne sont point accoutumés à chercher les principes. Et les autres, au contraire, qui sont accoutumés à raisonner par principes, ne comprennent rien aux choses de sentiment, y cherchant des principes, et ne pouvant voir d'une vue.

XXXV.

Géométrie, finesse. - La vraie éloquence se moque de l'éloquence, la vraie morale se moque de la morale; c'est-à-dire, que la morale du jugement se moque de la morale de l'esprit, qui est sans règles Car le jugement est celui à qui appartient le sentiment, comme les sciences appartiennent à l'esprit.

La finesse est la part du jugement, la géométrie est celle de l'esprit.

Se moquer de la philosophie, c'est vraiment philosopher1.

XXXVI.

Toutes les fausses beautés que nous blâmons en Cicéron ont des admirateurs, et en grand nombre.

XXXVII.

Il y a beaucoup de gens qui entendent le sermon de la même manière qu'ils entendent vêpres.

XXXVIII.

Les rivières sont des chemins qui marchent, et

qui portent où l'on veut aller.

XXXIX.

Deux visages semblables, dont aucun ne fait rire en particulier, font rire ensemble par leur ressemblance.

XL.

Probabilité 2. - Ils ont quelques principes; mais ils en abusent. Or, l'abus des vérités doit être autant puni que l'introduction du mensonge.

4 « Un ancien à qui on reprochoit qu'il faisoit profession de la philosophie, de laquelle pourtant en son iugement il ne tenoit pas grand compte, respondit que cela c'estoit vrayement philosopher. » (Montaigne.)

2 Ce titre: Probabilité, montre que: ils ont quelques principes, se rapporte aux jésuites. Port-Royal, qui ne voulait point nommer les jésuites, a mis: les astrologues, les alchimistes, en supprimant le titre comme toujours.

CHAPITRE X.

[L'homme, avec la philosophie seule, reste incompréhensible pout lui-même, il ne se connaît que par le mystère de la transmission du péché, et ne peut trouver que par la foi le vrai bien et la justice.]

1

...

I.

Les principales forces des pyrrhoniens, je laisse les moindres, sont que nous n'avons aucune certitude de la vérité de ces principes, hors la foi et la révélation, sinon en ce que nous les sentons naturellement en nous : or, ce sentiment naturel n'est pas une preuve convaincante de leur vérité, puisque n'y ayant point de certitude, hors la foi, si l'homme est créé par un Dieu bon, par un démon méchant, ou à l'aventure, il est en doute si ces principes nous sont donnés ou véritables, ou faux, ou incertains, selon notre origine. De plus, que personne n'a d'assurance, hors de la foi, s'il veille ou s'il dort, vu que durant le sommeil on croit veiller aussi fermement.que nous faisons; on croit voir les espaces, les figures, les mouvements; on sent couler le

* En tête du morceau qu'on va lire, Port-Royal a placé ce préambule: «Rien n'est plus étrange, dans la nature de l'homme, que les contrariétés qu'on y découvre à l'égard de toutes choses. Il est fait pour connaître la vérité; il la désire ardemment, il la cherche; et cependant, quand il tâche de la saisir, il s'éblouit et se confond de telle sorte, qu'il donne sujet de lui en disputer la possession. C'est ce qui a fait naître les deux sectes de pyrrhoniens et de dogmatistes, dont les uns ont voulu ravir à l'homme toute connaissance de la vérité, et les autres tâchent de la lui assurer; mais chacun avec des raisons si peu vraisemblables, qu'elles augmentent la confusion et l'embarras de l'homme, lorsqu'il n'a point d'autre lumière que celle qu'il trouve dans sa nature. »

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