secret, entend discourir les deux en cette sorte, il en fera même jugement. Mais si ensuite, dans le reste du discours, l'un dit des choses angéliques, et l'autre toujours des choses plates et communes, il jugera que l'un parlait avec mystère, et non pas l'autre : l'un ayant assez montré qu'il est incapable de telles sottises, et capable d'être mystérieux; et l'autre, qu'il est incapable de mystère, et capable de sottises. IX. Ce n'est pas par ce qu'il y a d'obscur dans Mahomet, et qu'on peut faire passer pour un sens mystérieux, que je veux qu'on en juge, mais par ce qu'il ya de clair, par son paradis, et par le reste. C'est en cela qu'il est ridicule. Et c'est pourquoi il n'est pas juste de prendre ses obscurités pour des mystères, vu que ses clartés sont ridicules. Il n'en est pas de même de l'Écriture. Je veux qu'il y ait des obscurités qui soient aussi bizarres que celles de Mahomet; mais il y a des clartés admirables, et des prophéties manifestes accomplies. La partie n'est donc pas égale. Il ne faut pas confondre et égaler les choses qui ne se ressemblent que par l'obscurité, et non pas par la clarté, qui mérite qu'on révère les obscurités. Contre Mahomet. - L'Alcoran n'est pas plus de Mahomet, que l'Évangile, de saint Matthieu, car il est cité de plusieurs auteurs de siècle en siècle. Les ennemis mêmes, Celse et Porphyre, ne l'ont jamais désavoué. L'Alcoran dit que saint Matthieu était homme de bien. Donc, Mahomet était faux prophète, ou en appelant gens de bien des méchants, ou en ne demeurant pas d'accord de ce qu'ils ont dit de JésusCHRIST. Χ. Tout homme peut faire ce qu'a fait Mahomet; car il n'a point fait de miracles, il n'a point été prédit. Nul homme ne peut faire ce qu'a fait Jésus-CHRIST. Différence entre Jésus-Christ et Mahomet. - Mahomet, non prédit; Jésus-CHRIST, prédit. Mahomet, en tuant; JÉSUS-CHRIST, en faisant tuer les siens. Mahomet, en défendant de lire; les apôtres, en ordonnant de lire. Enfin, cela est si contraire, que, si Mahomet a pris la voie de réussir humainement, JÉSUS-CHRIST a pris celle de périr humainement. Et qu'au lieu de conclure que, puisque Mahomet a réussi, Jésus-CHRIST a bien pu réussir, il faut dire que, puisque Mahomet a réussi, JÉSUS-CHRIST devait périr 1. 1 1 Jérôme Savonarole, dans le traité intitulé: Le Triomphe de la Croix, établit, comme Pascal, une comparaison entre Jésus-Christ et Mahomet. Ce point de rapport, qui n'a point encore été signalé, n'est point le seul du reste qui existe entre les ouvrages des deux auteurs. Le Triomphe de la Croix, publié en 1497, est, comme les Pensées un livre apologétique, et comme ce livre a été souvent réimprimé, il ne paraît point impossible que Pascal en ait eu connaissance. Voir l'analyse lumineuse de M. Perrens dans Jérôme Savonarole, sa vie, ses Écrits, etc. Paris, 1853, in-8°, t. II, pag. 210 et suiv. CHAPITRE XXI. [Que Dieu ne se cache ni ne se découvre entièrement; que le Messie est connaissable aux bons et méconnaissable aux méchants, et qu'il faut reconnaître la vérité de la religion chrétienne dans l'obscurité même de certaines vérités.] I. Dieu a voulu racheter les hommes, et ouvrir le salut à ceux qui le chercheraient. Mais les hommes s'en rendent si indignes, qu'il est juste que Dieu refuse à quelques-uns, à cause de leur endurcissement, ce qu'il accorde aux autres par une miséricorde qui ne leur est pas due. S'il eût voulu surmonter l'obstination des plus endurcis, il l'eût pu, en se découvrant si manifestement à eux, qu'ils n'eussent pu douter de la vérité de son essence; comme il paraîtra au dernier jour, avec un tel éclat de foudres, et un tel renversement de la nature, que les morts ressusciteront, et les plus aveugles le verront. Ce n'est pas en cette sorte qu'il a voulu paraître dans son avénement de douceur; parce que tant d'hommes se rendant indignes de sa clémence, il a voulu les laisser dans la privation du bien qu'ils ne veulent pas. Il n'était donc pas juste qu'il parût d'une manière manifestement divine, et absolument capable de convaincre tous les hommes; mais il n'était pas juste aussi qu'il vînt d'une manière si cachée, qu'il ne pût être reconnu de ceux qui le chercheraient sincèrement. Il a voulu se rendre parfaitement connaissable à ceux-là; et ainsi, voulant paraître à découvert à ceux qui le cherchent de tout leur cœur, et caché à ceux qui le fuient de tout leur cœur, il tempère sa connaissance, en sorte qu'il a donné des marques de soi visibles à ceux qui le cherchent, et obscures à ceux qui ne le cherchent pas. Il y a assez de lumière pour ceux qui ne désirent que de voir, et assez d'obscurité pour ceux qui ont une disposition contraire. Il y a assez de clarté pour éclairer les élus, et assez d'obscurité pour les humilier. Il y a assez d'obscurité pour aveugler les réprouvés, et assez de clarté pour les condamner, et les rendre inexcusables. II. Si le monde subsistait pour instruire l'homme de Dieu, sa divinité reluirait de toutes parts d'une manière incontestable; mais, comme il ne subsiste que par JÉSUS-CHRIST et pour JÉSUS-CHRIST, et pour instruire les hommes et de leur corruption et de leur rédemption, tout y éclate des preuves de ces deux vérités. Ce qui y paraît ne marque ni une exclusion totale, ni une présence manifeste de divinité, mais la présence d'un Dieu qui se cache: tout porte ce caractère. S'il n'avait jamais rien paru de Dieu, cette privation éternelle serait équivoque, et pourrait aussi bien se rapporter à l'absence de toute divinité, ou à l'indignité où seraient les hommes de le connaître. Mais de ce qu'il paraît quelquefois, et non pas toujours, cela ôte l'équivoque. S'il paraît une fois, il est toujours; et ainsi on n'en peut conclure, sinon qu'il y a un Dieu, et que les hommes en sont indignes. III. Dieu veut plus disposer la volonté que l'esprit. La clarté parfaite servirait à l'esprit et nuirait à la volonté. Abaisser la superbe. S'il n'y avait point d'obscurité, l'homme ne sentirait pas sa corruption; s'il n'y avait point de lumière, l'homme n'espérerait point de remède. Ainsi, il est non-seulement juste, mais utile pour nous, que Dieu soit caché en partie, et découvert en partie, puisqu'il est également dangereux à l'homme de connaître Dieu sans connaître sa misère, et de connaître sa misère sans connaître Dieu. ... IV. Il est donc vrai que tout instruit l'homme de sa condition, mais il le faut bien entendre: car il n'est pas vrai que tout découvre Dieu, et il n'est pas vrai que tout cache Dieu. Mais il est vrai tout ensemble qu'il se cache à ceux qui le tentent, et qu'il se découvre à ceux qui le cherchent, parce que les hommes sont tout ensemble indignes de Dieu, et capables de Dieu; indignes par leur corruption, capables par leur première nature. V. Il n'y a rien sur la terre qui ne montre, ou la misère de l'homme, ou la miséricorde de Dieu; ou l'impuissance de l'homme sans Dieu, ou la puissance de l'homme avec Dieu. ... Ainsi, tout l'univers apprend à l'homme, ou qu'il est corrompu, ou qu'il est racheté; tout lui apprend sa grandeur ou sa misère. L'abandon de Dieu |