VII. Il est dit, Croyez à l'Église, mais il n'est pas dit, Croyez aux miracles, à cause que le dernier est naturel, et non pas le premier. L'un avait besoin de précepte, non pas l'autre. ... VIII. Ces filles1, étonnées de ce qu'on dit, qu'elles sont dans la voie de perdition; que leurs confesseurs les mènent à Genève 2; qu'ils leur inspirent que JÉSUS-CHRIST n'est point en l'Eucharistie, ni en la droite du Père; elles savent que tout cela est faux; elles s'offrent donc à Dieu en cet état: Vide si via iniquitatis in me est. Qu'arrive-t-il là-dessus? Ce lieu, qu'on dit être le temple du diable, Dieu en fait son temple. On dit qu'il faut en ôter les enfants: Dieu les y guérit. On dit que c'est l'arsenal de l'enfer : Dieu en fait le sanctuaire de ses grâces. Enfin on les menace de toutes les fureurs et de toutes les vengeances du ciel; et Dieu les comble de ses faveurs. Il faudrait avoir perdu le sens pour en conclure qu'elles sont dans la voie de perdition. Pour affaiblir vos adversaires, vous désarmez toute l'Église. १ ... S'ils disent que notre salut dépend de Dieu, ce sont des hérétiques. S'ils disent qu'ils sont soumis au pape, c'est une hypocrisie. Ils sont prêts à souscrire toutes ses constitutions, cela ne suffit pas. S'ils disent qu'il ne faut pas tuer pour une pomme1, ils combattent la morale des catholiques. S'il se fait des miracles parmi eux, ce n'est plus une marque de sainteté, et c'est au contraire un soupçon d'hérésie. 9 Les trois marques de la religion : la perpétuité, la bonne vie, les miracles. Ils détruisent la perpétuité par la probabilité, la bonne vie par leur morale; les miracles, en détruisant ou leur vérité, ou leur conséquence. 1 Les religieuses de Port-Royal. 2 C'est-à-dire aux doctrines professées à Genève, au calvinisme. * S'ils disent, c'est-à-dire les jansénistes, dont il est question dans tout le reste du paragraphe. ... Si on les croit, l'Église n'aura que faire de perpétuité, sainte vie, miracles. Les hérétiques les nient, ou en nient la conséquence; eux de même. Mais il faudrait n'avoir point de sincérité pour les nier, ou encore perdre le sens pour nier la conséquence. ↑... Quoi qu'il en soit. l'Église est sans preuves, s'ils ont raison. L'Église a trois sortes d'ennemis : les Juifs, qui n'ont jamais été de son corps; les hérétiques, qui s'en sont retirés; et les mauvais chrétiens, qui la déchirent au dedans. Ces trois sortes de différents adversaires la combattent d'ordinaire diversement. Mais ici ils la combattent d'une même sorte. Comme ils sont tous sans miracles, et que l'Église a toujours eu contre eux des miracles, ils ont tous eu le même intérêt à les éluder, et se sont tous servis de cette défaite : qu'il ne faut pas juger de la doctrine par les miracles, 1 « Tuer pour une pomme. » Allusion à la morale des casuiss. 2 Ils détruisent, c'est-à-dire les jésuites. 3 << Comme ils sont tous sans miracles. » Quand Pascal dit cela des Juifs, il n'entend parler que des Juifs depuis l'arrivée du Messie, des Juifs opposés à Jésus-Christ. (Havet.) mais des miracles par la doctrine. Il y avait deux partis entre ceux qui écoutaient JÉSUS-CHRIST : les uns qui suivaient sa doctrine par ses miracles; les autres qui disaient... Il y avait deux partis au temps de Calvin... Il y a maintenant les jésuites, etc. Ce n'est point ici le pays de la vérité : elle erre inconnue parmi les hommes. Dieu l'a couverte d'un voile, qui la laisse méconnaître à ceux qui n'entendent pas sa voix. Le lieu est ouvert au blasphème, et même sur des vérités au moins bien apparentes. Si l'on publie les vérités de l'Évangile, on en publie de contraires, et on obscurcit les questions en sorte que le peuple ne peut discerner. Et on demande : « Qu'avez-vous pour vous faire plutôt croire que les >> autres? Quel signe1 faites-vous ? Vous n'avez ? Vous n'avez que des >> paroles, et nous aussi. Si vous aviez des miracles, >> bien. » Cela est une vérité, que la doctrine doit être soutenue par les miracles, dont on abuse pour blasphémer la doctrine. Et si les miracles arrivent, on dit que les miracles ne suffisent pas sans la doctrine; et c'est une autre vérité, pour blasphémer les miracles. Que vous êtes aise de savoir les règles générales, pensant par là jeter le trouble et rendre tout inutile! On vous en empêchera, mon père : la vérité est une et ferme. IX. Un miracle parmi les schismatiques n'est pas tant à craindre; car le schisme, qui est plus visible que le miracle, marque visiblement leur erreur. Mais quand il n'y a point de schisme, et que l'erreur est en dispute, le miracle discerne. 1 Signe, dans le sens de miracle. Jean, ix: Non est hic homo a Deo, qui sabbatum non custodit. Alii: Quomodo potest homo peccator hæc signa facere ? Lequel est le plus clair ? << Cette maison n'est pas de Dieu; car on n'y croit >> pas que les cinq propositions soient dans Jansé>>> nius. » Les autres : « Cette maison est de Dieu; >> car il y fait d'étranges miracles. » Lequel est le plus clair? Tu quid dicis? Dico quia propheta est. — Nisi esset hic a Deo, non poterat facere quidquam. « Si vous ne croyez en moi, croyez au moins aux >> miracles. » Il les renvoie comme au plus fort. Il avait été dit aux Juifs, aussi bien qu'aux chrétiens, qu'ils ne crussent pas toujours les prophètes. Mais néanmoins les pharisiens et les scribes font grand état de ses miracles, et essayent de montrer qu'ils sont faux, ou faits par le diable : étant nécessités d'être convaincus, s'ils reconnaissent qu'ils sont de Dieu. Nous ne sommes pas aujourd'hui dans la peine de faire ce discernement. Il est pourtant bien facile à faire : ceux qui ne nient ni Dieu, ni JÉSUS-CHRIST, ne font point de miracles qui ne soient sûrs: Nemo faciat virtutem in nomine meo, et cito possit de me male loqui. Mais nous n'avons point à faire ce discernement. Voici une relique sacrée. Voici une épine de la couronne du Sauveur du monde, en qui le prínce de ce monde 1 n'a point puissance, qui fait 1 « Le prince de ce monde. » Le diable (Jean, xII, 31, etc.). des miracles par la propre puissance de ce sang répandu pour nous. Voici que Dieu choisit lui-même cette maison 1 pour y faire éclater sa puissance. Ce ne sont point des hommes qui font ces miracles par une vertu inconnue et douteuse, qui nous oblige à un difficile discernement. C'est Dieu même; c'est l'instrument de la passion de son Fils unique, qui, étant en plusieurs lieux, choisit celui-ci, et fait venir de tous côtés les hommes pour y recevoir ces soulagements miraculeux dans leurs langueurs. Les miracles ne sont plus nécessaires, à cause qu'on en a déjà. Mais quand on n'écoute plus la tradition, quand on ne propose plus que le pape, quand on l'a surpris, et qu'ainsi ayant exclu la vraie source de la vérité, qui est la tradition, et ayant prévenu le pape, qui en est le dépositaire, la vérité n'a plus de liberté de paraître : alors les hommes ne parlant plus de la vérité, la vérité doit parler ellemême aux hommes. C'est ce qui arriva au temps d'Arius. Joh., vi [26] : Non quia vidistis signa, sed saturati estis. Ceux qui suivent JÉSUS-CHRIST à cause de ses miracles, honorent sa puissance dans tous les miracles qu'elle produit; mais ceux qui, en faisant profession de le suivre pour ses miracles, ne le suivent en effet que parce qu'il les console et les rassasie des biens du monde, ils déshonorent ses miracles, quand ils sont contraires à leurs commodités. ▲ Port-Royal. |