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se sent trop emporter vers l'une se pencher vers l'autre pour demeurer debout. Souvenez-vous des biens dans les jours d'affliction, et souvenez-vous de l'affliction dans les jours de réjouissance, dit l'Écricriture 1, jusqu'à ce que la promesse que JésusCHRIST nous a faite de rendre sa joie pleine en nous soit accomplie. Ne nous laissons donc pas abattre à la tristesse, et ne croyons pas que la piété ne consiste qu'en une amertume sans consolation. La véritable piété, qui ne se trouve parfaite que dans le ciel, est si pleine de satisfactions, qu'elle en remplit et l'entrée, et le progrès, et le couronnement. C'est une lumière si éclatante, qu'elle rejaillit sur tout ce qui lui appartient; et s'il y a quelque tristesse mêlée, et surtout à l'entrée, c'est de nous qu'elle vient et non pas de la vertu; car ce n'est pas l'effet de la piété qui commence d'être en nous, mais de l'impiété qui y est encore. Otons l'impiété, et la joie sera sans mélange. Ne nous en prenons donc pas à la dévotion, mais à nous-mêmes, et n'y cherchons du soulagement que par notre correction.

VII.

Je suis bien aise de l'espérance que vous me donnez du bon succès de l'affaire dont vous craignez de la vanité. Il y a à craindre partout, car si elle réussissait, j'en craindrais cette mauvaise tristesse dont saint Paul dit qu'elle donne la mort, au lieu qu'il y en a une autre qui donne la vie.

Il est certain que cette affaire-là était épineuse, 1 Eccl., x1, 27.

et que si la personne en sort, il y a sujet d'en prendre quelque vanité, si ce n'est à cause qu'on a prié Dieu pour cela et qu'ainsi il doit croire que le bien qui en viendra sera son ouvrage. Mais si elle réussissait mal, il ne devrait pas en tomber dans l'abattement par cette même raison qu'on a prié Dieu pour cela et qu'il y a apparence qu'il s'est approprié cette affaire : aussi il le faut regarder comme l'auteur de tous les biens et de tous les maux, excepté le péché. Je lui répéterai là-dessus ce que j'ai autrefois rapporté de l'Écriture : Quand vous êtes dans les biens, souvenez-vous des maux que vous méritez; et quand vous êtes dans les maux, souvenez-vous des biens que vous espérez. Cependant je vous dirai sur le sujet de l'autre personne que vous savez, qui mande qu'elle a bien des choses dans l'esprit qui l'embarrassent, que je suis bien fâché de la voir en cet état. J'ai bien de la douleur de ses peines et je voudrais bien l'en pouvoir soulager; je la prie de ne point prévenir l'avenir et de se souvenir que, comme dit Notre-Seigneur, à chaque jour suffit sa malice.

Le passé ne nous doit point embarrasser, puisque nous n'avons qu'à avoir regret de nos fautes; mais l'avenir nous doit encore moins toucher, puisqu'il n'est point du tout à notre égard, et que nous n'y arriverons peut-être jamais. Le présent est le seul temps qui est véritablement à nous, et dont nous devons user selon Dieu. C'est là cù nos pensées doivent être principalement comptées. Cependant le monde est si inquiet, qu'on ne pense presque jamais à la vie présente et à l'instant où l'on vit, mais à

celui où l'on vivra. De sorte qu'on est toujours en état de vivre à l'avenir, et jamais de vivre maintenant. Notre-Seigneur n'a pas voulu que notre prévoyance s'étendît plus loin que le jour où nous sommes. C'est les bornes qu'il faut garder et pour notre salut, et pour notre propre repos. Car, en vérité, les préceptes chrétiens sont les plus pleins de consolations; je dis plus que les maximes du monde.

Je prévois aussi bien des peines et pour cette personne, et pour d'autres, et pour moi. Mais je prie Dieu, lorsque je sens que je m'engage dans ces prévoyances, de me renfermer dans mes limites; je me ramasse dans moi-même et je trouve que je manque à faire plusieurs choses à quoi je suis obligé présentement pour me dissiper en des pensées inutiles de l'avenir, auxquelles, bien loin d'être obligé de m'arrêter, je suis au contraire obligé de ne m'y point arrêter. Ce n'est que faute de savoir bien connaître et étudier le présent qu'on fait l'entendu pour étudier l'avenir. Ce que je dis là, je le dis pour moi et non pas pour cette personne qui a assurément bien plus de vertu et de méditation que moi; mais je lui représente mon défaut pour l'empêcher d'y tomber: on se corrige quelquefois mieux par la vue du mal que par l'exemple du bien; et il est bon de s'accoutumer à profiter du mal, puisqu'il est si ordinaire, au lieu que le bien est si rare.

VIII.

Je plains la personne que vous savez dans l'in

quiétude où je sais qu'elle est et où je ne m'étonne pas de la voir. C'est un petit jour du jugement qui ne peut arriver sans une émotion universelle de la personne, comme le jugement général en causera une générale dans le monde, excepté ceux qui se seront déjà jugés eux-mêmes, comme elle prétend faire: cette peine temporelle garantirait de l'éternelle par les mérites infinis de JÉSUS-CHRIST, qui la souffre et qui se la rend propre; c'est ce qui doit la consoler. Notre joug est aussi le sien; sans cela il serait insupportable.

Portez, dit-il, mon joug sur vous. Ce n'est pas notre joug, c'est le sien, et aussi il le porte. Sachez, dit-il, que mon joug est doux et léger. Il n'est léger qu'à lui et à sa force divine. Je lui voudrais dire qu'elle se souvienne que ces inquiétudes ne viennent pas du bien qui commence d'être en elle, mais du mal qui y est encore et qu'il faut diminuer continuellement; et qu'il faut qu'elle fasse comme un enfant qui est tiré par des voleurs d'entre les bras de sa mère, qui ne le veut point abandonner; car il ne doit pas accuser de la violence qu'il souffre la mère qui le retient amoureusement, mais ses injustes ravisseurs. Tout l'office de l'Avent est bien propre pour donner courage aux faibles, et on y dit souvent ce mot de l'Écriture: Prenez courage, lâches et pusillanimes, voici votre rédempteur qui vient; et on dit aujourd'hui à Vepres : « Prenez de nouvelles forces et >> bannissez désormais toute crainte, voici notre >> Dieu qui arrive et vient pour nous secourir et

>>> nous sauver. >>

IX.

Votre lettre m'a donné une extrême joie. Je vous avoue que je commençais à craindre, ou au moins à m'étonner. Je ne sais ce que c'est que ce commencement de douleur dont vous parlez; mais je sais qu'il faut qu'il en vienne. Je lisais tantôt le treizième chapitre de saint Marc en pensant à vous écrire, et aussi je vous dirai ce que j'y ai trouvé. JÉSUS-CHRIST y fait un grand discours à ses apôtres sur son dernier avénement; et comme tout ce qui arrive à l'Église arrive aussi à chaque chrétien en particulier, il est certain que tout ce chapitre prédit aussi bien l'état de chaque personne qui en se convertissant détruit le vieil homme en elle, que l'état de l'univers entier qui sera détruit pour faire place à de nouveaux cieux et à une nouvelle terre, comme dit l'Écriture. Et aussi je songeais que cette prédiction de la ruine du temple réprouvé, qui figure la ruine de l'homme réprouvé qui est en chacun de nous, et dont il est dit qu'il ne sera laissé pierre sur pierre, marque qu'il ne doit être laissé aucune passion du vieil homme 1; et ces effroyables guerres civiles et domestiqués représentent si bien le trouble intérieur que sentent ceux qui se donnent à Dieu, qu'il n'y a rien de mieux peint.

Mais cette parole est étonnante : Quand vous verrez l'abomination dans le lieu où elle ne doit pas être,

1 Les deux mss. de la Bibliothèque imp. disent: « aucune passion en nous. » (Faugère.)

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