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Les âmes propres à l'amour demandent une vie d'action qui éclate en événements nouveaux. Comme le dedans est mouvement, il faut aussi que le dehors le soit, et cette manière de vivre est un merveilleux acheminement à la passion. C'est de là que ceux de la cour sont mieux reçus dans l'amour que ceux de la ville, parce que les uns sont tout de feu et que les autres mènent une vie dont l'uniformité n'a rien qui frappe: la vie de tempête surprend, frappe et pénètre.

Il semble que l'on ait tout une autre âme quand on aime que quand on n'aime pas; on s'élève par cette passion et on devient toute grandeur; il faut donc que le reste ait proportion, autrement cela ne convient pas, et partant cela est désagréable.

L'agréable et le beau n'est que la même chose, tout le monde en a l'idée. C'est d'une beauté morale que j'entends parler, qui consiste dans les paroles et dans les actions du dehors. L'on a bien une règle pour devenir agréable; cependant la disposition du corps y est nécessaire, mais elle ne se peut acquérir.

Les hommes ont pris plaisir à se former une idée de l'agréable1 si élevée, que personne n'y peut atteindre. Jugeons-en mieux et disons que ce n'est que le naturel avec une facilité et une vivacité d'esprit qui surprennent. Dans l'amour ces deux qualités sont nécessaires. Il ne faut rien de force, et cependant il ne faut rien de lenteur : l'habitude donne le reste.

▲ Dans le ms.: désagréable.

(Faugère.)

Le respect et l'amour doivent être si bien proportionnés qu'ils se soutiennent sans que ce respect étouffe l'amour.

Les grandes âmes ne sont pas celles qui aiment le plus souvent; c'est d'un amour violent que je parle : il faut une inondation de passion pour les ébranler et pour les remplir. Mais quand elles commencent à aimer, elles aiment beaucoup mieux.

L'on dit qu'il y a des nations plus amoureuses les unes que les autres; ce n'est pas bien parler, ou du moins cela n'est pas vrai en tout sens.

L'amour ne consistant que dans un attachement de pensée, il est certain qu'il doit être le même par toute la terre. Il est vrai que se déterminant autre part que dans la pensée, le climat peut ajouter quelque chose, mais ce n'est que dans le corps.

Il est de l'amour comme du bon sens; comme l'on croit avoir autant d'esprit qu'un autre, on croit aussi aimer de même. Néanmoins, quand on a plus de vue, l'on aime jusques aux moindres choses, ce qui n'est pas possible aux autres. Il faut être bien fin pour remarquer cette différence.

* L'on ne peut presque faire semblant d'aimer que l'on ne soit bien près d'être amant, ou du moins que l'on n'aime en quelque endroit; car il faut avoir l'esprit et les pensées de l'amour pour ce semblant, et le moyen de bien parler sans cela ? La vérité des passions ne se déguise pas si aisément que les vé rités sérieuses.

Il faut du feu, de l'activité et un feu d'esprit naturel et prompt pour la première; les autres se ca

chent avec la lenteur et la souplesse, ce qu'il est plus aisé de faire.

Quand on est loin de ce que l'on aime l'on prend la résolution de faire ou de dire beaucoup de choses; mais quand on est près on est irrésolu. D'où vient cela? C'est que quand on est loin la raison n'est pas si ébranlée, mais elle l'est étrangement en la présence de l'objet : or pour la résolution il faut de la fermeté qui est ruinée par l'ébranlement.

Dans l'amour on n'ose hasarder parce que l'on craint de tout perdre; il faut pourtant avancer, mais qui peut dire jusques où ? L'on tremble toujours jusques à ce que l'on ait trouvé ce point. La prudence ne fait rien pour s'y maintenir quand on l'a trouvé.

Il n'y a rien de si embarrassant que d'être amant et de voir quelque chose en sa faveur sans l'oser croire: l'on est également combattu de l'espérance et de la crainte. Mais enfin la dernière devient victorieuse de l'autre.

Quand on aime fortement, c'est toujours une nouveauté de voir la personne aimée. Après un moment d'absence on la trouve de manque dans son cœur. Quelle joie de la retrouver! l'on sent aussitôt une cessation d'inquiétudes.

Il faut pourtant que cet amour soit déjà bien avancé; car quand il est naissant et que l'on n'a fait aucun progrès, on sent bien une cessation d'inquiétudes, mais il en survient d'autres.

Quoique les maux se succèdent ainsi les uns aux autres, on ne laisse pas de souhaiter la présence de sa maîtresse par l'espérance de moins souffrir; cependant, quand on la voit, on croit souffrir plus qu'auparavant. Les maux passés ne frappent plus, les présents touchent, et c'est1 sur ce qui touche que l'on juge.

Un amant dans cet état n'est-il pas digne de compassion?

DE L'ESPRIT GÉOMÉTRIQUE*.

On peut avoir trois principaux objets dans l'étude de la vérité : l'un, de la découvrir quand on la cherche; l'autre, de la démontrer quand on la possède; le dernier, de la discerner d'avec le faux quand on l'examine.

Je ne parle point du premier; je traite particulièrement du second, et il enferme le troisième. Car, si l'on sait la méthode de prouver la vérité, on aura en même temps celle de la discerner, puisqu'en examinant si la preuve qu'on en donne est conforme aux règles qu'on connaît, on saura si elle est exactement démontrée.

(Faugère.)

1 Le mot c'est manque dans le ms. 2 Un court fragment de cet écrit a été publié en 1728 par Desmolets; Condorcet l'a donné d'une manière plus complète, mais avec des suppressions encore nombreuses, sous ce titre : De la manière de prouver la vérité et de l'exposer aux hommes; enfin Bossut l'a réimprimé en 1779, en l'intitulant: Réflexions sur la Géométrie en général; mais on sait par le premier discours de la Logique de Port-Royal que Pascal lui avait donné le titre sous lequel nous le reproduisons. Nous suivons le texte de M. Faugère qui a reproduit la seule copie manuscrite qui ait été conservée.

La géométrie, qui excelle en ces trois genres, a expliqué l'art de découvrir les vérités inconnues; et c'est ce qu'elle appelle analyse, et dont il serait inutile de discourir après tant d'excellents ouvrages qui ont été faits.

Celui de démontrer les vérités déjà trouvées et de les éclaircir de telle sorte que la preuve en soit invincible, est le seul que je veux donner; et je n'ai pour cela qu'à expliquer la méthode que la géométrie y observe; car elle l'enseigne parfaitement par ses exemples, quoiqu'elle n'en produise aucun discours. Et parce que cet art consiste en deux choses principales, l'une, de prouver chaque proposition en particulier, l'autre, de disposer toutes les propositions dans le meilleur ordre, j'en ferai deux sections, dont l'une contiendra les règles de la conduite des démonstrations géométriques, c'est-à-dire méthodiques et parfaites; et la seconde comprendra celle de l'ordre géométrique, c'est-à-dire méthodique et accompli : de sorte que les deux ensemble enfermeront tout ce qui sera nécessaire pour conduire du raisonnement à prouver et discerner les vérités, lesquelles j'ai dessein de donner entières.

SECTION PREMIÈRE. - De la méthode des démonstrations géométriques, c'est-à-dire méthodiques et parfaites.

Je ne puis faire mieux entendre la conduite qu'on doit garder pour rendre les démonstrations convaincantes, qu'en expliquant celle que la géométrie observe.

Mais il faut auparavant que je donne l'idée d'une

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