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vait lui demander des conseils et lui en donner; peu à peu la cour des pairs, qui s'en considéraient comme les conseillers-nés, s'identifia avec ce corps. Persuadé qu'il avait remplacé la cour des grands vassaux, le parlement éleva ses prétentions; il ne voulut pas restreindre ses remontrances et les modifications d'enregistrement aux intérêts du duché de France, mais s'occuper de tout le royaume. Le roi s'en trouvait bien, parce qu'il lui était plus facile de faire adopter ses décisions par le parlement que par les états généraux; d'un autre côté la nation, qui voyait la désunion des trois états rendre leurs assemblées toujours orageuses, était favorable à ce corps stable qui faisait contre-poids à l'autorité du monarque. Il lui fit contre-poids en réalité, puisqu'il étendit ses franchises au point de devenir un pouvoir constitutionnel; en l'absence des états généraux, il prit un caractère d'assemblée délibérante, et, favorisé par l'opinion comme barrière opposée au roi, il s'arrogea le pouvoir d'examiner les lois et de consentir l'impôt. En effet, les lois et l'impôt n'étaient acceptés par l'opinion qu'après qu'il les avait enregistrés.

L'esprit de corps et le savoir rendaient dangereuse l'opposition de ces compagnies, qui étaient devenues indépendantes par suite d'un désastreux expédient de finance. Dans un moment de besoin extrême, les rois avaient vendu les charges; lorsque la pénurie d'argent reparut, ils en avaient créé de nouvelles, qui avaient été achetées de même. Ces charges étaient devenues un patrimoine, et les magistratures administratives et judiciaires se transmettaient par héritage. Une pareille absurdité faisait toutefois que le magistrat, se sentant inamovible, se trouvait fort contre les volontés despotiques de celui dont il ne tenait pas son siége. De là la stabilité des parlements, dans lesquels les gens du roi siégeaient plus bas que les conseillers et ne pouvaient parler qu'après avoir plié le genou.

Les droits du parlement ne se fondaient que sur l'interprétation ambiguë du mot enregistrer; car la question était de savoir s'il entraînait le droit de remontrances, et, par conséquent, celui de s'opposer à la volonté royale. En s'appuyant tantôt sur la noblesse contre le roi, tantôt sur le roi contre la noblesse, il parvint à s'attribuer la décision des affaires les plus importantes; il rendit son intervention nécessaire sous les rois adolescents ou faibles, et, relevant la tête à la mort de Louis XIV, qui l'avait tenu en bride, il convertit presque le royaume en une oligarchie; mais si le régent lui rendit la parole, le roi pouvait toujours couper court à ses remontrances en lui intimant ses ordres dans un lit de justice.

Mais jusqu'à quel point les parlements pouvaient-ils résister légalement? Jusqu'à quel point le roi pouvait-il les réprimer sans faire acte de tyrannie? Aucune loi ne le disait. Des exemples antérieurs justifiaient les coups d'État. Louis XIV avait congédié le parlement le fouet à la main; les lits de justice se multiplièrent sous Louis XV; un parlement tout entier fut envoyé en exil, et un beau jour Maupeou les mit tous au néant : on eut donc raison de dire alors que le parlement était fort sous un roi faible, et faible sous un roi fort.

Il en était donc sorti la combinaison la plus défavorable au pouvoir, c'est-à-dire la nécessité de combattre la force qui lui sert d'appui, ou d'y suppléer par des moyens irréguliers qui, toujours plus scandaleux qu'efficaces, mènent à de graves abus, comme de casser les arrêts, d'instituer des tribunaux extraordinaires, de lancer des lettres de cachet.

Du reste, si puissants que fussent les parlements au temps de la Ligue et de la Fronde, ils n'allèrent jamais jusqu'à refuser au roi les subsides, ce qui fait la force du parlement anglais.

Le parlement ne s'appuyait donc sur rien de constitutionnel. Les hommes d'épée dédaignaient d'y siéger à côté des gens de robe, n'oubliant pas que ceux-ci avaient souvent aidé les rois à restreindre leurs priviléges. Les intrigues où le parlement s'était jeté durant la Fronde montraient qu'il pouvait troubler la paix. Le clergé savait qu'il lui était hostile, et si, en lui résistant ainsi qu'à la cour de Rome, le parlement avait gagné la faveur populaire, comme tuteur des franchises nationales, on savait qu'il avait fait brûler en dix ans plus de pastorales d'évêques que de livres impies depuis qu'il existait. Il fit livrer aux flammes l'Émile en 1762; mais il avait défendu en 1738 de vénérer saint Vincent de Paul. Sa manie de vouloir tout soumettre à ses arrêts l'avait porté anciennement à confisquer les premières imprimeries, à défendre en 1652 d'imprimer l'Imitation de Jésus-Christ sous un autre nom que celui de Thomas A Kempis, à menacer de la peine de mort, en 1624, quiconque donnerait un enseignement contraire aux quatre éléments d'Aristote.

Les philosophes savaient bien qu'il repoussait les innovations; ils se rappelaient qu'il avait porté Louis XV à de nouvelles rigueurs contre les protestants, et qu'il était l'auteur des condamnations de Calas et du ministre Rochette. Il répugnait d'ailleurs aux idées du temps que la justice devînt un patriciat, et qu'un corps à la fois politique et judiciaire pût en suspendre le cours pour soutenir ses droits, ses abus, ses préjugés. Puis, dans la que

relle du jansénisme, on était tombé des deux côtés dans des excès déplorables.

Cette controverse et surtout le débat relatif aux jésuites, dans lequel le parlement sortit tout à fait des limites d'une cour de justice et statua sur une question qui ne lui était pas soumise (1), développèrent beaucoup la faconde des avocats en les habituant à traiter des questions générales, et, armés de cette dialectique, ils éprouvèrent le désir d'en faire usage.

Les parlements n'étaient donc en bonne harmonie ni avec le roi, ni avec la noblesse, ni même avec le peuple, qui les considérait comme les défenseurs de priviléges qui lui étaient odieux, tout en les estimant comme opposition à un pouvoir qu'il méprisait.

Les parlements, pour se fortifier, s'entendirent entre eux, et se qualifièrent de classes du parlement du royaume; mais c'était juste au moment où le roi déclarait tenir de Dieu seul sa couronne, et ne vouloir partager avec personne l'autorité législative; il fut même applaudi avec enthousiasme par une foule de misérables.

Ainsi le clergé, le parlement et le roi n'agirent jamais d'accord; ils se transformèrent selon les temps, ce qui prolongea leur durée, mais en se contrariant toujours, sans jamais s'équilibrer, ou sans que l'un d'eux prévalût même dans le fait.

Au-dessous de tout cela se trouvait la plèbe, exclue de toute po. sition dans l'État. Les impôts, trop lourds et, ce qui est pire, iniquement répartis, pesaient de plus en plus sur le peuple, surtout dans la campagne où il fallait, à l'impôt royal, ajouter le dixième du produit brut dû aux ecclésiastiques, et les redevances féodales. Deux espèces de servage s'étaient donc conservées le serf de tenance ne pouvait disposer de sa personne ni de ses biens sans la permission du seigneur ; mais s'il était las de sa tyrannie, il pou

(1) L'arrêt rendu par le parlement, en 1762, condamne les jésuites comme << notoirement coupables d'avoir enseigné dans tous les temps, et personnellement avec l'approbation de leurs supérieurs et généraux, la simonie, le blasphème, le sacrilége, le maléfice, l'astrologie, l'irréligion, l'idolâtrie, la superstition, l'impudicité, le parjure, le faux témoignage, la prévarication des juges, le vol, le parricide, l'homicide, le suicide, le régicide..., comme favorisant l'arianisme, le socinianisme, le sabellianisme, le nestorianisme..., les luthériens, les calvinistes et autres novateurs du seizième siècle...; comme reproduisant l'hérésie de Wiclef... et les erreurs de Tichonius, de Pélage, des semipélagiens, de Cassius, de Faust, des Marseillais...; comme favorisant l'impiété des déistes... et enseignant une doctrine injurieuse aux saints Pères, aux apôtres, à Abraham. »

Peuple,

vait s'en aller en lui abandonnant ses biens. Le serf de corps, au contraire, ne s'affranchissait pas même en laissant ce qu'il possédait, et le seigneur pouvait le réclamer partout, et le châtier arbitrairement. Il est vrai que cet esclavage ne subsistait plus que dans un petit nombre de cantons; cependant, l'assemblée constituante n'entendit pas sans frémir les obligations avilissantes auxquelles étaient astreints certains habitants des campagnes.

C'était dans cette classe inhumainement sacrifiée qu'on recrutait de préférence pour le service militaire. Tout roturier âgé de seize à quarante ans était tenu de tirer annuellement au sort pour la milice; mais les habitants des villes jouissaient de tels priviléges que la charge entière retombait sur les paysans; en outre, ils n'avaient aucune espérance d'avancement, tous les grades étant réservés aux nobles et aux riches, qui entraient au service comme volontaires.

Colbert avait protégé le commerce, mais en favorisant les compagnies, c'est-à-dire des priviléges; les maîtrises, dont les états généraux de 1614 avaient réclamé l'abolition, furent au contraire étendues à tous les corps de marchands et d'artisans. Personne ne pouvait exercer un métier autre que celui pour lequel il avait payé son noviciat, et il devait travailler toute sa vie salarié s'il ne pouvait acheter la maîtrise. Des règlements sévères prescrivaient les qualités, la façon, la couleur des objets fabriqués; c'étaient en conséquence des visites continuelles, des confiscations, des pièces d'étoffes coupées et brûlées.

Ainsi l'institution qui se fonda sur la fraternité dans le moyen âge était tombée dans l'égoïsme et une énorme tyrannie, qui excluait une grande partie du peuple de ce qui est son droit et sa gloire, le travail. Il fallait payer pour avoir le droit d'exercer un métier ; le temps se consumait en représentations, en réclamations pour imposer la subordination, en conflits de compétence entre les divers degrés d'une même profession, serruriers et taillandiers, menuisiers et charpentiers, libraires et bouquinistes, tailleurs et fripiers, cordonniers et savetiers.

Il est vrai que tous ces maux étaient d'ancienne date, adoucis par l'habitude et les correctifs que la pratique y introduit. Quoique les corporations fussent une entrave pesante pour l'individu, elles représentaient l'indépendance; c'était une gloire d'être syndic de sa compagnie, d'en porter la bannière (1). On faisait des

(1) Quand on donnait une représentation théâtrale gratuite pour la délivrance

remontrances, on résistait aux mesures arbitraires avec d'autant plus de chances de succès que le commerce avait pris plus d'essor.

Les arts, le commerce et le luxe appauvrissaient les grands propriétaires, enrichissaient les industriels, rapprochaient les classes en égalisant les fortunes, et le peuple échappait à cette vieille iniquité de la conquête, que le temps avait affermie sans la la justifier. Si, dans les campagnes, le paysan devait fournir les corvées, abandonner au maître le fruit de ses sueurs, en ne gardant que le strict nécessaire, le négoce répandait dans les villes plus de liberté et des idées plus hardies. Dans l'assemblée des états convoquée après la mort de Louis XI, il fut prononcé des discours d'un libéralisme étonnant (1).

La noblesse française avait cherché dans la Réforme un moyen de ressaisir ses prérogatives féodales; mais le peuple donna la main au clergé pour faire échouer ce dessein et empêcher la noblesse de s'emparer de tous les biens, de toute la puissance. Le calvinisme, qui s'étendit, et se conserva dans le pays, favorisait les idées démocratiques, qui survécurent lors même qu'il eut été vaincu. Les rois le comprirent, et, après s'être servis du peuple pour l'emporter sur les nobles, ils s'appliquèrent à le rabaisser. Ils caressèrent, par des distinctions personnelles, les chefs de la bourgeoisie; ils introduisirent une noblesse de robe, pour détacher du peuple les gens instruits, défendirent les réunions, et morcelèrent l'administration.

Le pouvoir crut ainsi maintenir la bourgeoisie dans son néant; mais les rois avaient eux-mêmes diminué la distance qui existait entre les deux classes. Le savoir d'abord, puis le commerce offrirent aux vaincus le moyen d'entrer dans la classe des vainqueurs, bien que toujours par voie d'exception, et quoique la distinction persistât, même lorsqu'elle ne signifiait plus rien. La force de l'intelligence s'unit donc à celle des richesses; l'opinion prit de l'énergie; les questions de finances, de religion, de juridiction ame

de la reine, les charbonniers avaient le droit d'y assister dans la loge du roi,
les poissonnières dans celle de la reine. Quand la reine Marie-Antoinette ac-
coucha du Dauphin, toutes les maîtrises se rendirent à Versailles, chacune avec
le symbole de son métier. Les ramoneurs portaient une cheminée dorée, où
figurait le plus petit d'entre eux; les porteurs de chaise, une chaise à porteurs,
avec une nourrice et son nourrisson en petit Dauphin; les bouchers venaient avec
le bœuf gras; les cordonniers, avec une paire de brodequins pour le nouveau-
né; les tailleurs, avec un uniforme du régiment du Dauphin, aussi petit que
l'enfant. On vit défiler jusqu'aux fossoyeurs avec leurs insignes funèbres.
(1) Voyez le discours du sire de La Roche, député de la noblesse de Bour-
gogne.

Tiers état.

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