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pédanterie et les vieilles coutumes nous semblaient alors ridicules (1). »

C'est avec ces idées qu'ils revenaient d'Amérique. La Fayette, l'homme le moins résolu du monde, paraissait à la cour avec l'uniforme américain, et l'on voyait sur la plaque de son ceinturon un arbre de la liberté, qui s'élevait sur une couronne et un sceptre brisés; il disait : Nous autres républicains... nous autres sauvages... Un roi est un instrument pour le moins

inutile.

Le contraste avec les institutions, avec les anciennes formes, n'en devenait que plus frappant. Le roi jurait encore, à son sacre, de persécuter les protestants, d'envoyer les duellistes au supplice. Pendant que les Français combattaient pour la liberté en Amérique, un édit déclara inhabile à remplir le grade de capitaine quiconque ne prouverait pas quatre degrés de noblesse, et tout roturier inhabile à remplir celui d'officier. Quand Boncerf démontra, dans les Inconvénients des droits féodaux, que non-seulement ils répugnaient à la raison et à la justice, mais que l'intérêt même de ceux qui en jouissaient leur conseillait de les laisser racheter, et qu'il invitait le roi à en donner l'exemple dans ses domaines, le parlement condamnait le livre au feu, et Turgot avait peine à sauver l'auteur de la prison. La philanthropie des philosophes et le hasard de quelques procès retentissants avaient mis en évidence les vices des formes judiciaires, l'horreur des cachots, l'abus des lettres de cachet; désormais il ne se débattait plus une cause sans que ces griefs ne revinssent sur le tapis; néanmoins le parlement ne consentit pas à donner plus de garanties à l'accusé. Quand Mirabeau, qui avait été victime de l'arbitraire, publia un livre contre les lettres de cachet, en faisant une horrible peinture des prisons d'État de Vincennes, Louis XVI changea la destination de ces cachots, et, dans sa bonté, les convertit en greniers; mais le peuple, admis à les visiter, au lieu de louer la pieuse générosité du monarque, s'en fit un point de comparaison pour se figurer sous un jour plus affreux les prisons de la Bastille.

Il n'y avait donc pas de tyrannie, mais relâchement excessif. Loin de repousser les idées nouvelles, les princes appelaient au ministère les créatures de la philosophie, mais sans la force de les soutenir et de combattre les préjugés. Une fièvre d'innovation avait envahi les âmes, désireuses de mouvement, d'occu

(1) Mém. de M. DE SÉGUR, t. I, p. 131.

L'Europe.

pation, d'énergie, ambitieuses d'exercer leurs facultés, en proie à cette vague inquiétude qu'on éprouve lorsqu'on se sent mal, sans savoir comment s'y prendre pour être mieux. La philanthropie remédiait à certains maux; mais le peuple ne voulait pas de l'aumône, il réclamait la justice. Partout gagnait un besoin de démolition. Dans ses accès d'enthousiasme, éphémères mais puissants, la France proclamait des théories excessives, qui, flattant les imaginations, avaient du retentissement dans l'Europe entière.

En effet, ces maux et les remèdes qu'ils appelaient n'étaient pas limités à la seule France. De même que, dans le siècle précédent, Louis XIV et sa cour avaient donné des règles au monde, dans celui-ci la France et ses opinions exerçaient sur tous les pays une influence contagieuse; or, comme pour rendre plus évident l'empire de l'opinion, ce royaume avait à sa tête un monarque faible, tandis qu'autour de lui régnaient des souverains pleins d'énergie.

A la faveur d'une langue désormais universelle et d'une facilité séduisante, les idées des encyclopédistes se propageaient partout; partout on briguait leur suffrage, en reproduisant leurs opinions : l'égalité entre les hommes, la souveraineté du peuple, la négation de tout droit antérieur et supérieur aux conventions, l'inutilité des prêtres, étaient devenues des axiomes, et la bataille littéraire et philosophique préparait la bataille politique.

Rien n'y contribua autant que l'ébranlement apporté aux idées du juste par la politique de ce temps. La paix de Westphalie avait assis l'Europe sur les bases d'un droit provisoire, en vertu duquel les rois s'étaient déclarés seigneurs féodaux de leurs pays, mais sans un supérieur; ils avaient établi la légitimité comme doctrine sociale, et l'équilibre comme principe diplomatique. La politique se soutint quelque temps sur les principes traditionnels, sur les coutumes nationales, enfin sur les bases morales, lors même qu'elle eut détruit les bases religieuses. Mais, dans le dix-huitième siècle, elle devint un marché d'hommes, renia le respect des opinions, substitua l'intérêt au droit, les ambitions dynastiques au bien des peuples; elle n'eut d'autre règle que la forme matérielle, d'autre but que les agrandissements sous le prétexte d'arrondir les territoires, et, comme moyens de se les procurer, que les armes et l'argent. La suprématie appartint à celui qui avait le plus grand nombre de sujets et l'armée la plus forte.

Jamais n'apparaît une idée grande, un but élevé dans le mou

vement politique de ce siècle; ce sont partout des alliances contractées ou rompues par le caprice de rois, de ministres ou de favoris, et des nations hostiles se liguant pour combattre leur allié naturel. Procurer quelque couronne aux fils d'une princesse intrigante devient un intérêt européen; la diplomatie tergiverse; l'égoïsme dirige les cabinets; on conclut des pactes de famille; l'esprit mercantile met un obstacle à toute vue élevée, et préfère au bien, à la tranquillité de l'Europe les avantages du commerce, d'une maison, d'un individu.

L'équilibre, ce rêve des hommes d'État du temps, aurait pu être rétabli lors de la guerre de la succession d'Espagne; mais la paix se fit tout à l'avantage des rois, comme si l'on eût transigé sur une question d'hérédité. La guerre pour la succession autrichienne mit à nu le vice de ce droit public, et les rois, ne tenant compte ni de la foi jurée, ni des conventions arrêtées avec Charles VI, se jetèrent sur son héritage comme sur un bien sans maître; on ne considéra point dans le partage le droit positif des peuples, mais les convenances des princes. Marie-Thérèse, persuadée qu'une propriété légitime lui avait été enlevée, garda rancune à la Prusse, et épia toutes les occasions de lui reprendre ce qu'elle avait cédé. Charles VI livra les Corses, après leur avoir promis une amnistie; la Prusse envahit en pleine paix la capitale de la Saxe, et l'Angleterre, avant de déclarer les hostilités, courut sus à la flotte française et ensanglanta le Canada.

Louis XV acheta la Corse; on défendit à Charles VI et à Joseph II la réouverture de l'Escaut et le commerce de l'Orient; on fit interdire aux Français le passage sur le territoire de l'Empire. Les rois s'allièrent pour intervenir dans les États d'autres princes, et pour maintenir les gouvernements imposés par eux à des nations étrangères. On tint les déclarations de guerre cachées pour surprendre en sûreté, ou les traités de paix pour achever des dévastations.

Le changement apporté dans l'organisation des armées les rendit plus coûteuses encore au peuple et destructives de toute idée de liberté. Les petits États, qui soutenaient le droit international, étant affaiblis, les grands États crurent tout pouvoir, à la seule condition de se mettre d'accord entre eux. Quatre puissances, presque égales et assez fortes pour aspirer chacune au premier rang, se proposèrent pour but suprême d'étendre le plus possible les forces matérielles de l'État, et l'armée devint la dernière raison des rois. Aucun effort ne parut trop grand pour l'entretenir. En donnant dans l'exagération, la guerre dut dé

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pendre entièrement des finances; l'argent venait-il à manquer, elle languissait, pour se raviver dès que les coffrés étaient remplis. Les petits États eux-mêmes se virent contraints à d'immenses sacrifices; de là des subsides au dehors, des extorsions à l'intérieur, et les priviléges que chaque peuple conservait avec un respect traditionnel, furent foulés aux pieds. On calcula donc le nombre des soldats, et non le courage ou la volonté, ni ( ce qui échappe à la mesure) la force intellectuelle et morale. L'armée s'interposa ainsi comme une barrière entre la nation et les rois. L'armée battue, que restait-il? Les faciles conquêtes de la Révolution sont là pour le dire.

Tous les souverains ne songèrent plus qu'à consolider le pouvoir royal, considérant les États comme une ferme, les peuples comme des manoeuvres. Les libertés et les franchises ayant été détruites au nom de la centralisation, il ne restait d'autre pouvoir que celui de la couronne, d'autre vertu que l'obéissance. Frédéric II considère l'État comme une machine, et réduit le bonheur de l'homme au bien-être extérieur. Louis XV, livré à des voluptés grossières, insulte à la décence et à la morale; en Angleterre, les Walpole introduisent la corruption comme moyen de gouvernement, en substituant l'avidité et l'égoïsme aux sentiments profonds et généreux de la patrie et de la croyance. Que deviendrait l'Angleterre, disait un ministre, si elle devait toujours être juste avec la France? En Portugal, on insulte au bon sens par des procès absurdes, suivis d'exécutions atroces. Joseph II attente à la nationalité de la Bavière et détruit celle de la Pologne, c'est-à-dire que les rois eux-mêmes sapent le droit de la légitimité.

Les princes d'Allemagne s'étaient ingéniés à imiter la cour de Louis XIV partout des fêtes, des galanteries, des poëtes, des spectacles, le tout empreint de ridicule, parce que tout était d'imitation et contre nature. Ils ramenaient de leurs voyages habituels en Italie de véritables harems; ils avaient pour occupation suprême les costumes, les uniformes, les parcs, les parties de chasse. On connaît les folles dépenses de Frédéric-Auguste, électeur de Saxe, qui prodigua deux cent cinquante millions de livres pour ses maîtresses, et donna, dans le camp de Mühlberg, un dîner de trente jours, où étaient invités quarante-sept rois et princes. A ces puérilités ruineuses venaient se joindre les intrigues, les rivalités de cette féodalité énervée, et les efforts pour obtenir un titre ou une prééminence, pour monter d'un grade dans la hiérarchie. Les princes évêques offraient de plus le scandale, et chez

les ordres militaires, le vœu de chasteté n'était qu'un sacrilége de plus. Tels étaient ces petits princes, qui imitaient la France tout en la haïssant, parce qu'ils avaient eu pour instituteurs des réfugiés français.

Grâce aux philosophes, on n'en était plus à « ces temps malheureux, comme les appelle Botta, où les menaces et les promesses de la vie future réglaient la machine sociale (1). » Les traités étaient rédigés exprès en termes ambigus, et l'on affectait de traîner les négociations en longueur, pour esquiver les satisfactions demandées ou pour continuer à dévaster. Les guerres finissaient par lassitude, n'ayant commencé que dans un misérable but. L'équilibre fut calculé non sur les grandes lois de la justice, mais au poids et à la mesure des convenances et des cupidités.

Après avoir mis la morale de côté, les rois se trompèrent encore dans leurs calculs. Un petit fief de la Pologne s'augmente d'agrégations hétérogènes, qui n'avaient d'autre lien commun que l'administration venant à se séculariser au temps de la Réforme, il prend place parmi les puissances de second ordre; bientôt il se rend, par ses forces militaires, un allié précieux pour les grands États; il devient le centre des affections nationales et protestantes de l'Allemagne; de telle sorte que, pendant la guerre de Sept ans, une moitié de l'Empire se détache de l'autre, laissant sa constitution ébranlée, quoique la politique prussienne n'ose compléter définitivement la séparation.

Un barbare, à qui, lors du traité de Westphalie, on avait refusé même le titre d'altesse, enlève à la Suède le territoire dont il a besoin pour se bâtir une capitale; à la Turquie, une mer pour s'en faire un port; à la Pologne, des provinces pour communiquer avec l'Europe, à laquelle bientôt il impose la loi. Une barrière restait contre lui et la Turquie, c'était la Pologne, et les puissances l'abattent. Les puissances copartageantes s'aperçurent trop tard qu'elles s'étaient préparé un danger menaçant dans le voisinage de cette Russie qui s'avançait jusqu'au cœur de l'Europe, avec ses populations sauvages sans doute, mais aussi avec des villes policées, avec des traditions et des arts. D'ailleurs l'exemple restait dans son immoralité.

Les princes, se sentant forts, firent bon marché des bases sur lesquelles reposaient leurs trônes, et de cet équilibre qu'ils avaient proclamé comme le principe suprême. L'Angleterre surpasse tous les autres États en richesse et en commerce; elle

(1) Livre XLVII.

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