MORT DE TURENNE. Turenne meurt, tout se confond, la fortune chancelle, la victoire se lasse, la paix s'éloigne, les bonnes intentions des alliés se ralentissent, le courage des troupes est abattu par la douleur et ranimé par la vengeance; tout le camp demeure immobile. Les blessés pensent à la perte qu'ils ont faite, et non aux blessures qu'ils ont reçues. Les pères mourants envoient leurs fils pleurer sur leur général mort. L'armée en deuil est occupée à lui rendre les devoirs funèbres, et la renommée, qui se plaît à répandre dans l'univers les accidents extraordinaires, va remplir toute l'Europe du récit glorieux de la vie de ce prince, et du triste regret de sa mort. Que de soupirs alors, que de plaintes, que de louanges retentissent dans les villes, dans la campagne! L'un, voyant croître ses moissons, bénit la mémoire de celui à qui il doit l'espérance de sa récolte. L'autre, qui jouit encore en repos de l'héritage qu'il a reçu de ses pères, souhaite une éternelle paix à celui qui l'a sauvé des désordres et des cruautés de la guerre. Ici l'on offre le sacrifice adorable de Jésus-Christ pour l'âme de celui qui a sacrifié sa vie et son sang au bien public. Là on lui dresse une pompe funèbre, où l'on s'attendait à lui dresser un triomphe. Chacun choisit l'endroit qui lui paraît le plus éclatant dans une si belle vie. Tous entreprennent son éloge; et chacun, s'interrompant lui-même par ses soupirs et par ses larmes, admire le passé, regrette le présent, et tremble pour l'avenir. Ainsi tout le royaume pleure la mort de son défenseur, et la perte d'un seul homme est une calamité publique. MASSILLON.. 1663-1742. Jean-Baptiste MASSILLON, prédicateur célèbre, naquit à Hières, en Provence. Il était fils d'un notaire. Il entra, jeune encore, dans la congrégation de l'Oratoire. Appelé à Paris à cause de ses talents, il vit s'ouvrir à fui une carrière d'éloquence et de triomphes. Il prêcha devant la cour et enleva tous les suffrages. Son sermon sur le petit nombre des élus transporta son auditoire d'admiration ; il se leva tout entier. Celui qu'il prononça sur l'aumône, pendant le cruel hiver de 1709, produisit un mouvement semblable, et valut une abondante moisson pour les malheureux. Le Petit Carême, suite de sermons composés pour l'instruction de Louis XV enfant, est regardé comme un des plus parfaits ouvrages de la littérature française. Il a valu à son auteur le surnom du Racine de la chaire. Massillon, en effet, ressemble à Racine comme Bourdaloue ressemble à Corneille. Il est moins fort et moins vigoureux que Bourdaloue, moins sublime et moins rapide que Bossuet: il brille par l'imagination, le mouvement et le pathétique. Une douceur persuasive, un charme d'élocution continuel, une harmonie enchanteresse, une grâce pleine d'onction, forment le caractère de son éloquence. Massillon a moins réussi dans l'oraison funèbre que dans le sermon. On connaît le commencement de celle de Louis XIV: Dieu seul est grand, mes frères ! Ce mot, prononcé en face du cercueil de Louis-le-Grand, est une inspiration sublime. En 1717, Massillon fut nommé évêque de Clermont par le régent. EXORDE DE L'ORAISON FUNEBRE DE LOUIS XIV. Dieu seul est grand, mes frères, et dans ces derniers moments surtout où il préside à la mort des rois de la terre; plus leur gloire et leur puissance ont éclaté, plus en s'évanouissant alors elles rendent hommage à sa grandeur suprême : Dieu paraît tout ce qu'il est, et l'homme n'est plus rien de tout ce qu'il croyait être. Heureux le prince dont le cœur ne s'est point élevé au milieu de ses prospérités et de sa gloire; qui, semblable à Saloinon, n'a pas attendu que toute sa grandeur expirât avec lui au lit de la mort pour avouer qu'elle n'était que vanité et affliction d'esprit, et qui s'est humilié sous la main de Dieu dans le temps même que l'adulation semblait le mettre audessus de l'homme! Oui, mes frères, la grandeur et les victoires du roi que nous pleurons ont été autrefois assez publiées la magnificence des éloges a égalé celle des événements; les hommes ont tout dit, il y a longtemps, en parlant de sa gloire. Que nous reste-t-il ici, que d'en parler pour notre instruction? Ce roi, la terreur de ses voisins, l'étonnement de l'univers, le père des rois, plus grand que tous ses ancêtres, plus magnifique que Salomon dans toute sa gloire, a reconnu, comme lui, que tout était va nité. Le monde a été ébloui de l'éclat qui l'environnait; ses ennemis ont envié sa puissance; les étrangers sont venus des îles les plus éloignées baisser les yeux devant la gloire de sa majesté; ses sujets lui ont presque dressé des autels, et le prestige qui se formait autour de lui n'a pu le séduire lui-même. Vous l'aviez rempli, ô mon Dieu! de la crainte de votre nom; vous l'aviez écrit sur le livre éternel, dans la succession des saints rois qui devaient gouverner vos peuples; vous l'aviez revêtu de grandeur et de magnificence. Mais ce n'était pas assez : il fallait encore qu'il fût marqué du caractère propre de vos élus ; vous avez récompensé sa foi par des tribulations et par des disgrâces. L'usage chrétien des prospérités peut nous donner droit au royaume des cieux ; mais il n'y a que l'affliction et la violence qui nous l'assurent. Voyons-nous des mêmes yeux, mes frères, la vicissitude des choses humaines? Sans remonter aux siècles de nos pères, quelles leçons Dieu n'a-t-il pas données au nôtre ! Nous avons vu toute la race royale presque éteinte; les princes, l'espérance et l'appui du trône, moissonnés à la fleur de leur âge; l'époux et l'épouse auguste, au milieu de leurs plus beaux jours, enfermés dans le même cercueil, et les cendres de l'enfant suivre tristement et augmenter l'appareil lugubre de leurs funérailles; le roi, qui avait passé d'une minorité orageuse au règne le plus glorieux dont il soit parlé dans nos histoires, retomber de cette gloire dans des malheurs presque supérieurs à ses anciennes prospérités, se relever encore plus grand de toutes ces pertes, et survivre à tant d'événements divers pour rendre gloire à Dieu et s'affermir dans la foi des biens immuables. Ces grands objets passent devant nos yeux comme des scènes fabuleuses: le cœur se prête pour un moment au spectacle; l'attendrissemeut finit avec la représentation, et il semble que Dieu n'opère ici-bas tant de révolutions que pour se jouer dans l'univers et nous amuser plutôt que nous instruire. (Oraison funèbre de Louis XIV.) LA DURETÉ ENVERS LES INDIGENTS. On accompagne souvent la miséricorde de tant de dureté envers les malheureux; en leur tendant une main secourable, on leur montre un visage si dur et si sévère qu'un simple refus eût été moins accablant pour eux qu'une charité si sèche et si farouche; car la pitié qui paraît touchée de leurs maux, les console presque autant que la libéralité qui les soulage. On leur reproche leur force, leur paresse, leurs mœurs errantes et vagabondes; on s'en prend à eux de leur indigence et de leur misère, et, en les secourant, on achète le droit de les insulter. Mais s'il était permis à ce malheureux que vous outragez de vous répondre, si l'abjection de son état n'avait pas mis le frein de la honte et du respect sur |