BALZAC. 1594-1654. Jean-Louis de BALZAC naquit à Angoulême. Après quelques voyages, il se retira dans son château, et n'en sortit que pour aller quatre ou cinq fois à Paris. Le succès de ses Lettres fut immense, et lui valut le titre de grand épistolier. Aujourd'hui elles ne sont pas plus lues que celles de Voiture. On y remarque les deux défauts les plus opposés au genre épistolaire, l'enflure et l'affectation. Balzac tombe dans ces défauts à force de vouloir être sublime, comme son ami y tombait en cherchant à être agréable. Pour bien apprécier ces deux auteurs, il ne faut pas oublier qu'ils écrivirent plus de trente ans avant l'apparition des Lettres provinciales. Les Discours de Balzac sont bien supérieurs à ses Lettres. Le style y est assorti aux pensées et aux sentiments, et produit souvent une éloquence qui rappelle celle de Bossuet. Balzac, disciple de Malherbe et formé par ses leçons, opéra dans la prose la réforme que son maître avait faite dans la poésie. Il lui donna le premier de la grandeur, de la noblesse, du nombre et de l'harmonie. BALZAC AU CARDINAL DE LA VALETTE. Monseigneur, L'espérance qu'on me donne depuis trois mois que vous devez passer tous les jours en ce pays m'a empêché jusqu'ici de vous écrire, et de me servir de ce seul moyen qui me reste de m'approcher de votre personne. A Rome, vous marcherez sur des pierres qui ont été les dieux de César et de Pompée; vous considérerez les ruines de ces grands ouvrages, dont la vieillesse est encore belle, et vous vous promènerez tous les jours parmi les histoires et les fables; mais ce sont des amusements d'un esprit qui se contente de peu, et non pas les occupations d'un homme qui prend plaisir de naviguer dans l'orage. Quand vous aurez vu le Tibre, au bord duquel les Romains ont fait l'apprentissage de leurs victoires, et commencé le long dessein qu'ils n'achevèrent qu'aux extrémités de la terre; quand vous serez monté au Capitole, où ils croyaient que Dieu était aussi présent que dans le ciel, et qu'il avait enfermé le destin de la monarchie universelle; après que vous aurez passé au travers de ce grand espace qui était dédié aux plaisirs du peuple, je ne doute point qu'après avoir regardé encore beaucoup d'autres choses vous ne vous lassiez à la fin du repos et de la tranquillité de Rome. Il est besoin, pour une infinité de considérations importantes, que vous soyez au premier conclave, et que vous vous trouviez à cette guerre qui ne laisse pas d'être grande pour être composée de personnes désarmées. Quelque grand objet que se propose votre ambition, elle ne saurait rien concevoir de si haut que de donner en même temps un successeur aux consuls, aux empereurs et aux apôtres, et d'aller faire de votre bouche celui qui marche sur la tête des rois et qui a la conduite de toutes les âmes. ATTILA ET LES FLÉAUX De dieu. Il devait périr, cet homme fatal, il devait périr, dès le premier jour de sa conduite, par une telle entreprise; mais Dieu voulut se servir de lui pour punir le genre humain et tourmenter le monde : la justice de Dieu voulait se venger, et avait choisi cet homme pour être le ministre de ses vengeances. La raison concluait qu'il tombât d'abord par les maximes qu'il a tenues; mais il est demeuré long-temps debout par une raison plus haute qui l'a soutenu. II a été affermi dans son pouvoir par une force étrangère et qui n'était pas de lui, par une force qui appuie la faiblesse, qui arrête les chutes de ceux qui se précipitent, qui n'a que faire des bonnes maximes pour conduire les bons succès. Cet homme a duré pour travailler au dessein de la Providence. Il pensait exercer sa passion, il exécutait les arrêts du ciel. Avant de se perdre, il a eu le loisir de perdre les peuples et les états, de mettre le feu aux quatre coins de la terre, de gâter le présent et l'avenir par les maux qu'il a faits, par les exemples qu'il a laissés. Un peu d'esprit et beaucoup d'autorité, c'est ce qui a presque toujours gouverné le monde, quelquefois avec succès, quelquefois non, selon l'humeur du siècle, selon la disposition des esprits, plus farouches ou plus apprivoisés. Mais il faut toujours en venir là. Il est très- vrai qu'il y a toujours quelque chose de divin, disons davantage, il n'y a rien que de divin dans les maladies qui travaillent les états. Ces dispositions, cette humeur, cette fièvre chaude de rébellion, cette léthargic de servitude, viennent de plus haut qu'on ne s'imagine. Dieu est le poète, et les hommes ne sont que les acteurs. Ces grandes pièces qui se jouent sur la terre ont été composées dans le ciel, et c'est souvent un faquin qui doit en être l'Atrée ou l'Agamennon. Quand la Providence a quelque dessein, il ne lui importe guère de quels instruments et de quels moyens elle se serve. Entre ses mains, tout est foudre, tout est tempête, tout est déluge, tout est Alexandre ou César. Dieu dit lui-même de ces gens-là « qu'il les envoie en sa colère, et qu'ils sont les verges de sa fureur. » Mais ne prenez pas ici l'un pour l'autre : les verges ne frappent ni ne blessent toutes seules; c'est l'envie, c'est la colère, c'est la fureur qui rendent les verges terribles et redoutables. Cette main invisible donne les coups que le monde sent; il y a bien je ne sais quelle hardiesse qui menace de la part de l'homme; mais la force qui accable est toute de Dieu. VOITURE. 1598-1648. Vincent VOITURE était le fils d'un riche marchand de vin d'Amiens. Malgré cette humble origine, il sut devenir, par son esprit et son élégance, le héros de l'hôtel de Rambouillet, le type de la société polie de son temps et l'ami des plus grands seigneurs de la cour. Louis XIII le chargea de plusieurs missions diplomatiques en Espagne et en Italie. A sa mort, Voiture devint maître-d'hôtel de Louis XIV, et introducteur des ambassadeurs chez la reine-mère. Les Lettres de Voiture, qui eurent un succès prodigieux, sont pleines de cet élégant badinage, de ce spirituel enjouement, dont il était le modèle dans la conversation. Elles contribuèrent à l'élégance, à la délicatesse et à la finesse de la langue. Mais elles ont bien perdu de leur réputation. Voiture abuse trop souvent de son esprit pour ne pas vouloir penser et parler comme tout le monde, et il tombe dans des pointes fades et dans de ridicules jeux de mots. Il n'est plus aujourd'hui regardé que comme le type de l'afféterie et de la recherche. VOITURE A MADEMOISELLE DE RAMBOUILLET. Mademoiselle, Je voudrais que vous m'eussiez pu voir aujourd'hui dans un miroir en l'état où j'étais. Vous m'eussiez vu dans les plus effroyables montagnes du monde, au milieu de douze ou quinze hommes les plus horribles que l'on puisse voir, dont le plus innocent en a tué quinze ou vingt autres, qui sont tous noirs comme des diables, et qui ont des cheveux qui leur |