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pour ceux qui doutent si leur âme est immortelle, ils n'ont à attendre que l'enfer ou le néant.

Il n'y a rien de plus réel que cela, ni de plus terrible. Faisons tant que nous voudrons les braves, voilà la fin qui attend la plus belle vie du monde.

C'est en vain qu'ils détournent leur pensée de cette éternité qui les attend, comme s'ils pouvaient l'anéantir en n'y pensant point. Elle subsiste malgré eux, elle s'avance; et la mort, qui doit l'ouvrir, les mettra infailliblement, dans peu de temps, dans l'horrible nécessité d'être éternellement ou anéantis ou malheureux.

Voilà un doute d'une terrible conséquence : et c'est déjà assurément un très-grand mal que d'être dans ce doute; mais c'est au moins un devoir indispensable de chercher quand on y est. Ainsi celui qui doute et qui ne cherche pas est tout ensemble et bien injuste et bien malheureux. Que s'il est avec cela tranquille et satisfait, qu'il en fasse profession, et enfin qu'il en fasse vanité, et que ce soit de cet état même qu'il fasse le sujet de sa joie et de sa vanité, je n'ai point de termes pour qualifier une aussi extravagante créature.

Où peut-on prendre ces sentiments? Quel sujet de joie trouve-t-on à n'attendre plus que des misères sans ressource? Quel sujet de vanité de se voir dans des obscurités impénétrables? Quelle consolation de n'attendre jamais de consolateur?

Ce repos, dans cette ignorance, est une chose

monstrueuse, et dont il faut faire sentir l'extravagance et la stupidité à ceux qui y passent leur vie, en leur représentant ce qui se passe en eux-mêmes, pour les confondre par la vue de leur folie. Car voici comment raisonnent les hommes, quand ils choisissent de vivre dans cette ignorance de ce qu'ils sont, et sans en rechercher d'éclaircissement.

Je ne sais qui m'a mis au monde, ni ce que c'est que le monde, ni moi-même. Je suis dans une ignorance terrible de toutes choses. Je ne sais ce que c'est que mon corps, que mes sens, que mon âme; et cette partie même de moi qui pense ce que je dis, et qui fait réflexion sur tout et sur elle-même, ne se connaît non plus que le reste. Je vois ces effroyables espaces de l'univers qui m'enferment, et je me trouve attaché à un coin de cette vaste étendue, sans savoir pourquoi je suis plutôt placé en ce lieu qu'en un autre, ni pourquoi ce peu de temps qui m'est donné à vivre m'est assigné à ce point plutôt qu'à un autre de toute l'éternité qui m'a précédé et de toute celle qui me suit. Je ne vois que des infinités de toutes parts, qui m'engloutissent comme un atome, et comme une ombre qui dure un instant sans retour. Tout ce que je connais, c'est que je dois bientôt mourir; mais ce que j'ignore le plus, c'est cette mort même que je ne saurais éviter.

Comme je ne sais d'où je viens, aussi ne sais-je où je vais et je sais seulement qu'en sortant de ce monde je tombe pour jamais, ou dans le néant, ou

dans les mains d'un Dieu irrité, sans savoir à laquelle de ces deux conditions je dois être éternellement en partage.

Voilà mon état, plein de misère, de faiblesse, d'obscurité. Et de tout cela je conclus que je dois donc passer tous les jours de ma vie sans songer à ce qui doit m'arriver, et que je n'ai qu'à suivre mes inclinations sans réflexion et sans inquiétude, en faisant tout ce qu'il faut pour tomber dans le malheur éternel, au cas que ce que l'on en dit soit véritable. Peut-être que je pourrais trouver quelque éclaircissement dans mes doutes; mais je n'en veux pas prendre la peine, ni faire un pas pour le chercher; et, en traitant avec mépris ceux qui se travailleraient de ce soin, je veux aller sans prévoyance et sans crainte tenter un si grand événement, et me laisser mollement conduire à la mort, dans l'incertitude de l'éternité de ma condition future.

Ce repos brutal entre la crainte de l'enfer et du néant semble si beau que, non-seulement ceux qui sont dans ce doute malheureux s'en glorifient, mais que ceux mêmes qui n'y sont pas croient qu'il est glorieux de feindre d'y être. Car l'expérience nous fait voir que la plupart de ceux qui s'en mêlent sont de ce dernier genre; que ce sont des gens qui se contrefont, et qui ne sont pas tels qu'ils veulent paraître. Ce sont des gens qui ont ouï dire que les belles manières du monde consistent à faire ainsi l'emporté. C'est ce qu'ils appellent avoir secoué le

joug; et la plupart ne le font que pour imiter les

autres.

Mais, s'ils ont encore tant soit peu de sens commun, il n'est pas difficile de leur faire entendre combien ils s'abusent en cherchant par là de l'estime. Ce n'est pas le moyen d'en acquérir, je dis même parmi les personnes du monde qui jugent sainement des choses, et qui savent que la seule voie d'y réussir c'est de paraître honnête, fidèle, judicieux, et capable de servir utilement ses amis; parce que les hommes n'aiment naturellement que ce qui peut leur être utile. Or, quel avantage y a-t-il pour nous à ouïr dire à un homme qu'il a secoué le joug; qu'il ne croit pas qu'il y ait un Dieu qui veille sur ses actions; qu'il se considère comme seul maître de sa conduite; qu'il ne pense à en rendre compte qu'à soi-même ? Pense-t-il nous avoir portés par là à avoir désormais bien de la confiance en lui, et en attendre des consolations, des conseils et des secours dans tous les besoins de la vie? Pense-t-il nous avoir bien réjouis de nous dire qu'il doute si notre âme est autre chose qu'un peu de vent et de fumée, et encore de nous le dire d'un ton fier et content? Est-ce donc une chose à dire gaiement, et n'est-ce pas une chose à dire au contraire tristement, comme la chose du monde la plus triste?

S'ils y pensaient sérieusement, ils verraient que cela est si mal pris, si contraire au bon sens, si opposé à l'honnêteté, et si éloigné en toute manière de

ce bon air qu'ils cherchent, que rien n'est plus capable de leur attirer le mépris et l'aversion des hommes, et de les faire passer pour des personnes sans esprit et sans jugement. Et en effet, si on leur fait rendre compte de leurs sentiments, et des raisons qu'ils ont de douter de la religion, ils diront des choses si faibles et si basses qu'ils persuaderont plutôt du contraire. C'était ce que leur disait un jour fort à propos une personne : « Si vous continuez à discourir de la sorte, leur disait-il, en vérité vous me convertirez. » Et il avait raison; car qui n'aurait horreur de se voir dans des sentiments où l'on a pour compagnons des personnes si méprisables?

Ainsi ceux qui ne font que feindre ces sentiments sont bien malheureux de contraindre leur naturel pour se rendre les plus impertinents des hommes. S'ils sont fâchés dans le fond de leur cœur de ne pas avoir plus de lumière, qu'ils ne le dissimulent point. Cette déclaration ne sera pas honteuse. Il n'y a de honte qu'à ne point en avoir. Rien ne découvre davantage une étrange faiblesse d'esprit que de ne pas connaître quel est le malheur d'un homme sans Dieu. Rien ne marque davantage une extrême bassesse de cœur que de ne pas souhaiter la vérité des promesses éternelles. Rien n'est plus làche que de faire le brave contre Dieu. Qu'ils laissent donc ces impiétés à ceux qui sont assez mal nés pour en être véritablement capables; qu'ils soient au moins honnêtes gens, s'ils ne peuvent encore être chrétiens, et

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