ler ainsi, avec lui. Il dit à la reine qu'il sortirait avec moi dans les rues et que nous y ferions des merveilles. « Je n'en doute point, répondis-je, pourvu qu'il plaise à la reine de nous faire expédier en bonne forme la promesse de la liberté des prisonniers; car je n'ai pas assez de crédit parmi le peuple pour m'en faire croire sans cela. » On me loua de ma modestie; le maréchal ne se douta de rien; la parole de la reine valait mieux que tous les écrits en un mot on se moqua de moi, et je me trouvai tout d'un coup dans la cruelle nécessité de jouer le plus méchant personnage que jamais peut-être particulier ait rencontré. Je voulus répliquer, mais la reine entra brusquement dans sa chambre grise. Monsieur me poussa, mais tendrement, avec ses mains, en me disant : « Rendez le repos à l'État. » Le maréchal m'entraîna, et tous les gardes du corps me portaient amoureusement sur leurs bras, en me disant : « Il n'y à que vous qui puissiez remédier au mal. » Je sortis ainsi avec mon rochet et mon camail en donnant des bénédictions à droite et à gauche; et vous croyez bien que cette occupation ne m'empêchait pas de faire toutes les réflexions convenables à l'embarras dans lequel je me trouvais. Je pris toutefois, sans balancer, le parti d'aller purement à mon devoir, de prêcher l'obéissance et de faire mes efforts pour empêcher le tumulte. La seule mesure que je résolus de garder fut celle de ne rien promettre en mon nom au peuple, et de lui dire simplement que la reine m'avait assuré qu'elle rendrait Broussel, pourvu qu'on fit cesser l'émotion. L'impétuosité du maréchal de La Meilleraye ne me laissa pas lieu de mesurer mes expressions; car au lieu de venir avec moi, comme il m'avait dit, il se mit à la tête des chevau-légers de la garde, et il s'avança l'épée à la main, en criant de toute sa force « Vive le roi! liberté à Broussel. » Comme il était vu de beaucoup plus de gens qu'il n'y en avait qui l'entendissent, il échauffa beaucoup plus de monde par son épée qu'il n'en apaisa par sa voix. On cria aux armes! Un crocheteur mit le sabre à la main vis-à-vis des Quinze-Vingts, le maréchal le tua d'un coup de pistolet. Les cris redoublèrent, on courut de tous côtés aux armes; une foule de peuple, qui m'avait suivi depuis le Palais-Royal, me porta plutôt qu'elle ne me poussa jusqu'à la croix du Trahoir, et j'y trouvai le maréchal de La Meilleraye aux mains avec une foule de bourgeois qui avaient pris les armes dans la rue de l'Arbre-Sec. Je me jetai dans la foule pour essayer de les séparer, et je crus que les uns et les autres porteraient au moins quelque respect à mon habit et à ma dignité. Je ne me trompais pas absolument; car le maréchal, qui était fort embarrassé, prit avec joie ce prétexte pour commander aux chevau-légers de ne plus tirer. Les bourgeois s'arrêtèrent et se contentèrent de faire ferme dans le carrefour. Mais il y en eut vingt ou trente qui sortirent avec des hallebardes et avec des mousquetons de la rue des Prouvaires qui ne furent pas si modérés, et qui, ne me voyant pas, ou ne me voulant pas voir, firent une décharge fort brusque sur les chevau-légers, cassèrent d'un coup de pistolet le bras à Fontrailles, qui était auprès du maréchal, l'épée à la main, blessèrent un de mes pages qui me portait le derrière de ma soutane, et me donnèrent à moi-même un coup de pierre audessous de l'oreille, qui me porta par terre. Je ne fus pas plutôt relevé qu'un bourgeois m'appuya un mousqueton sur la tête. Quoique je ne le connusse point du tout, je crus qu'il était bon de ne pas le lui témoigner dans ce moment, et je lui dis au contraire « Ah! malheureux! si ton père te voyait... Il s'imagina que j'étais le meilleur ami de son père, que je n'ava's pourtant jamais vu. Je crois que cette pensée lui donna celle de me regarder plus attentivement; mon habit lui frappa les yeux; il me demanda si j'étais M. le coadjuteur? Tout le monde fit le même cri, l'on courut à moi, et le maréchal de La Meilleraye se retira avec plus de liberté au Palais-Royal, parce que j'affectai, pour lui en donner le temps, de marcher du côté des Halles. Tout le monde m'y suivit, et j'en eus besoin; car je trouvai une fourmilière de fripiers tous en armes. Je les flattai, je les caressai, je les menaçai, enfin je les persuadai. Ils quittèrent les armes, ce qui fut le salut de Paris, parce que s'ils les eussent encore eues à la main à l'entrée de la nuit qui s'approchait, la ville eût été infailliblement pillée. Je n'ai guère eu en ma vie de satisfaction plus sensible que celle-là, et elle fut si grande que je ne fis pas seulement de réflexion sur l'effet que le service que je venais de rendre devait produire au Palais-Royal. Je dis devait, car vous allez voir qu'il y en produisit un tout contraire. J'y allai avec trente ou quarante mille hommes qui m'y suivirent, mais sans armes; et je trouvai à la barrière le maréchal de La Meilleraye, qui, transporté de la manière dont j'en avais usé à son égard, m'embrassa jusqu'à m'étouffer, et me dit ces propres paroles: Je suis un fol et un brutal : j'ai failli à perdre l'État et vous l'avez sauvé. Venez, parlons à la reine en véritables Français et en gens de bien; et prenons des dates pour faire pendre à notre témoignage, à la majorité du roi, ces pestes d'État, ces flatteurs infâmes qui font accroire à la reine que cette affaire n'est rien. » Il fit une apostrophe aux officiers des gardes en achevant cette dernière parole, la plus touchante, la plus pathétique et la plus éloquente qui soit jamais sortie de la bouche d'un homme de guerre ; et il me porta plutôt qu'il ne me mena chez la reine. Il lui dit en entrant et en me montrant de la main : « Voilà celui, madame, à qui je dois la vie, mais à qui votre majesté doit le salut de sa garde, et peut-être celui du Palais-Royal. » La reine se mit à sourire, mais d'une sorte de souris ambigu. J'y pris garde, mais je n'en fis pas sem blant; et pour empêcher M. le maréchal de La Meilleraye de continuer mon éloge, je pris la parole: «Non, madame, il ne s'agit pas de moi, mais de Paris soumis et désarmé, qui vient se jeter aux pieds de votre majesté. Il est bien coupable et peu soumis, repartit la reine avec un visage plein de feu. S'il a été aussi furieux que l'on a voulu me le faire croire, comment se serait-il pu adoucir en si peu de temps? » Le maréchal, qui remarqua aussi bien que moi le ton de la reine, se mit en colère et lui dit en jurant : « Madame, un homme de bien ne peut vous flatter en l'extrémité où sont les choses. Si vous ne mettez aujourd'hui Broussel en liberté, il n'y aura pas demain pierre sur pierre dans Paris. » Je voulus prendre la parole pour appuyer ce que disait le maréchal; la reine me la ferma en me disant d'un air de moquerie : « Allez vous reposer, monsieur, vous avez bien travaillé ! » (Mémoires du card. de Retz.) |