LA ROCHEFOUCAULD. 1613-1680. François VI, duc de LA ROCHEFOUCAULD, se fit remarquer par son esprit et sa connaissance des hommes et ses intrigues. Pour plaire à la duchesse de Longueville, il se jeta dans cette guerre de la Fronde, qui n'aurait été que ridicule si elle n'avait point coûté de sang à la France. Il n'y éprouva que des déceptions. Revenu de ses illusions, il tomba dans un découragement moral, dans une misanthropie chagrine et égoïste, qui est le caractère de ses Maximes. Il passa les dernières années de sa vie dans l'intimité de madame de La Fayette et de madame de Sévigné. Le petit livre des Maximes, dit Voltaire, est un des ouvrages qui contribuèrent le plus à former le goût de la nation : il accoutuma à penser et à renfermer ses pensées dans un tour vif, précis et délicat. Mais, sous le rapport de la vérité, La Rochefoucauld a fait plus souvent le tableau d'une époque corrompue qu'une peinture de l'homme en général. Il attribue toutes nos actions à la vanité ou à l'intérêt; c'est méconnaître la vertu et ravaler l'homme au niveau de la brute. Il a encore laissé des Mémoires qu'on lit avec plaisir. MAXIMES DIVERSES. L'amour-propre est le plus grand de tous les flat teurs. La philosophie triomphe aisément des maux passés et des maux à venir; ma's les maux présents triomphent d'elle. Il faut de plus grandes vertus pour soutenir la bonne fortune que la mauvaise. Si nous n'avions point de défauts, nous n'aurions pas tant de plaisir à en remarquer dans les autres. Ceux qui s'appliquent trop aux petites choses deviennent ordinairement incapables des grandes. Le caprice de notre humcur est encore plus bizarre que celui de la fortune. Pour s'établir dans le monde, on fait tout ce qu'on peut pour y paraître établi. Le bonheur et le malheur des hommes ne dépen dent pas moins de leur humeur que de la fortune. Le silence est le parti le plus sûr pour celui qui se défie de soi-même. Il est plus honteux de se défier de ses amis que d'en être trompé. Tout le monde se plaint de sa mémoire, et personne ne se plaint de son jugement, Les grands noms abaissent au lieu d'élever ceux qui ne les savent pas soutenir. Chacun dit du bien de son cœur, et personne n'en ose dire de son esprit. On ne donne rien si libéralement que ses conseils. L'usage ordinaire de la finesse est la marque d'un petit esprit, et il arrive presque toujours que celui qui s'en sert pour se couvrir en un endroit, se découvre en un autre. Le vrai moyen d'être trompé, c'est de se croire plus fin que les autres. On parle peu quand la vanité ne fait pas parler. L'hypocrisie est un hommage que le vice rend à la vertu. Peu de gens sont assez sages pour préférer le blâme qui leur est utile à la louange qui les trahit. La flatterie est une fausse monnaie qui n'a de cours que par notre vanité. LA BRUYÈRE. 1598-1648. On ne sait presque rien de la vie de Jean DE LA BRUYÈRE. Il naquit à Dourdan, en Normandie. Il venait d'acheter une charge de trésorier de France, lorsque Bossuet le plaça auprès du petit-fils du grand Condé, pour lui enseigner l'histoire. La Bruyère passa le reste de ses jours à l'hôtel de Condé, à Versailles, attaché au prince en qualité d'homme de lettres. On le représente comme un philosophe doux, modeste, exempt d'ambition, ne songeant qu'à vivre tranquille avec des amis et des livres. Son livre des Caractères le met au rang des premiers écrivains du grand siècle. Il y a peint les mœurs de son époque dans un style concis, nerveux, pittoresque, et avec une finesse et une précision qui n'ont point été égalées. L'IMPERTINENT. J'entends Théodecte de l'antichambre; il grossit sa voix à mesure qu'il s'approche. Le voilà entré: il rit, il crie, il éclate; on bouche ses oreilles, c'est un tonnerre; il n'est pas moins redoutable par les choses qu'il dit, que par le ton dont il parle; il ne s'apaise, il ne revient de ce grand fracas que pour bredouiller des vanités et des sottises. Il a si peu d'égard au temps, aux personnes, aux bienséances, que chacun a son fait sans qu'il ait eu intention de le lui donner; il n'est pas encore assis qu'il a, à son insu, désobligé toute l'assemblée. A-t-on servi, il se met le premier à table, et dans la première place; les femmes sont à sa droite et à sa gauche : il mange, il boit, il conte, il plaisante, il interrompt tout à la fois ; il n'a nul discernement des personnes, ni du maître, ni des conviés; il abuse de la folle déférence qu'on a pour lui. Est-ce lui, est-ce Eutydème qui donne le repas? Il rappelle à lui toute l'autorité de la table; et il y a un moindre inconvénient à la lui laisser entière qu'à la lui disputer : le vin et les viandes n'ajoutent rien à son caractère; si l'on joue, il gagne au jeu; il veut railler celui qui perd, et il l'offense. Les rieurs sont pour lui: il n'y a sorte de fatuités qu'on ne lui passe. Je cède enfin, et je disparais, incapable de souffrir plus long-temps Théodecte et ceux qui le souffrent. (Caractères.) L'HOMME UNIVERSEI. Arrias a tout lu, a tout vu; il veut le persuader ainsi; c'est un homme universel, et il se donne pour tel; il aime mieux mentir que de se taire ou de paraître ignorer quelque chose. On parle à table d'un grand d'une cour du Nord, il prend la parole et l'ôte à ceux qui allaient dire ce qu'ils en savent, il s'oriente dans cette région lointaine comme s'il en était originaire; il discourt des mœurs de cette cour, des femmes du pays, de ses lois et de ses coutumes ; il récite des historiettes qui y sont arrivées ; il les trouve plaisantes, et il en rit jusqu'à éclater. Quelqu'un se hasarde de le contredire, et lui prouve nettement qu'il dit des choses qui ne sont pas vraies; Arrias ne se trouble point, prend feu, au contraire, contre l'interrupteur: « Je n'avance, lui dit-il, je ne raconte rien que je ne sache d'original; je l'ai appris de Séthon, ambassadeur de France dans cette cour, revenu à Paris depuis quelques jours, que je connais familièrement, que j'ai fort interrogé, et qui ne m'a caché aucune circonstance. » Il reprenait le fil de sa narration avec plus de confiance qu'il ne l'avait commencéc, lorsqu'un des conviés lui dit : « C'est Séthon lui-même à qui vous parlez, et qui arrive fraîchement de son ambassade. »> (Ib.) CLITON, OU L'HOMME NÉ POUR MANGER. Cliton n'a jamais eu en toute sa vie que deux affaires, qui sont de dîner le matin, et de souper le soir: il ne semble né que pour la digestion: il n'a de même qu'un entretien; il dit les entrées qui ont |