CHAPITRE II. DES MODES DE LA MUSIQUE BYZANTINE. Les musiciens byzantins reconnaissent huit modes: quatre modes maîtres (authentiques) et quatre plagaux (1). PREMIER MODE. Le premier mode a pour finale ré et pour dominante sol. Son ambitus ordinaire est d'une quinte. finale. Comme on le voit, il monte quatre degrés au-dessus de sa finale et ne descend qu'un degré au-dessous. Tous les chants du premier mode ne se tiennent pas rigoureusement dans cette limite étroite; mais, quand ils dépassent le sol, ils perdent le caractère de mélodies du premier mode et passent dans le premier plagal. Dans le chant heirmologique, la gamme du premier mode est diatonique, c'est-à-dire ne comprend que des intervalles de ton et de demiton. Dans le chant stichirarique, il n'en est pas ainsi. Le second degré mi n'est pas fixe, il obéit à la loi d'attraction. Quand la mélodie descend vers le ré, le mi s'abaisse d'un quart ae (1) La théorie des modes, telle que nous l'exposons, n'est pas conforme aux nombreuses théories publiées de nos jours en Grèce. Cette théorie, beaucoup plus d'accord avec la pratique, émane des explications qui nous ont été données par M. Aphtonidis. Nous la reproduisons le plus fidèlement possible, nous réservant toutefois de la discuter dans les observations qui accompagnent les exemples. ton; l'intervalle de ré à mi sera dans ce cas d'un ton moins un quart ou de trois quarts de ton, et l'intervalle de mi à fa d'un demi-ton plus un quart, c'est-à-dire de trois quarts de ton. Il y aura la même distance entre mi et fa qu'entre ré et mi. Si la mélodie, au lieu de suivre un mouvement descendant, monte vers le fa, les intervalles redeviennent diatoniques, de par la même loi d'attraction. (1) Nous avons écrit ce prélude sous la dictée de M. Aphtonidis. (2) Nous reproduisons l'ex. 2 tel qu'il nous a été donné, transcrit en notation européenne, par M. Violakis, premier chantre de l'église Saint-Jean, à Galata. Le demi-bémol placé à la clef indique que la note mi doit être abaissée d'un quart de ton; mais, comme l'altération provient ici de la loi d'attraction et non d'un intervalle fixe, le demi-bémol ne doit se faire que quand la mélodie descend. Seigneur, j'ai crié vers toi, écoute-moi, écoute-moi, Seigneur! Seigneur, j'ai crié vers toi, écoute-moi; sois attentif à la voix de ma prière. (1) Le n° 3 fait partie d'une collection de chants liturgiques qui nous ont été donnés, transcrits en notation européenne, par M. Violakis. Les paroles de ce chant et du précédent, qui tous deux s'exécutent pendant l'office du soir, sont tirées du 140me psaume de David. 1 1 3 Que ma prière se dirige vers toi comme un encens, Que l'élévation de mes mains soit un sacrifice du soir. Ecoute-moi, Seigneur. Observations sur les exemples du premier mode. Le N° 1 (Prélude) se tient dans les limites strictes de l'ambitus du premier mode. Le No 2 dépasse deux fois la limite de cet ambitus, pour entrer dans celui du premier mode plagal. La première fois, la mélodie s'élève jusqu'au si bémol et la seconde fois, jusqu'à l'ut, c'est-à-dire une septième au-dessus de sa finale. Dans ce dernier passage, il y a une modulation évidente, dans le sens moderne du mot. La mélodie sort complétement du premier mode; un instant après, elle y revient et rentre dans les limites de l'ambitus, avant d'opérer sa conclusion. Le N° 3 a beaucoup de rapports avec le N° 2. On y retrouve la même modulation que dans l'exemple précédent; mais ici, la phrase modulante se développe moins, et la mélodie rentre plus tôt dans l'ambitus du mode. Dans les phrases où la mélodie des deux derniers exemples ne sort pas de l'ambitus du premier mode, la dominante semble être fa et non pas sol. La prépondérance de la note fa prépare l'apparition du tétracorde conjoint caractérisé par le si bémol. Remarquez que, dans ces deux exemples, le si de l'octave supérieure est bémol et celui de l'octave inférieure naturel, conformément à la constitution du système usité chez les anciens, sous le nom de petit système parfait ou système conjoint : • PREMIER MODE PLAGAL. Voici l'ambitus ordinaire des mélodies du premier plagal : finale. Cet ambitus dépasse d'un ton à l'aigu celui du premier mode. Il embrasse une sixte majeure et va de l'ut au la. Cette dernière note, qui n'existe pas dans l'ambitus strict du premier mode, prend dans le premier plagal une grande importance, car, dans un certain nombre de mélodies de ce mode, elle joue le rôle de dominante. La constitution du premier mode est basée sur le tétracorde (1); celle de son plagal, sur le pentacorde. Dans le premier mode, nous avions pour dominante sol et pour finale ré. Dans le premier plagal, nous avons la même finale ré, mais nous trouvons deux dominantes: fa et la. Les mélodies du premier plagal peuvent avoir une étendue qui dépasse à l'aigu la quinte ré-la, sans abandonner leur constitution pentacordale. Il suffit pour cela d'une opération fort simple, qui consiste à faire de la note la (dernière note du premier pentacorde : ré, mi, fa sol, la) la base d'un nouveau pentacorde identique au premier. Dans ce cas, l'on chantera la, si, do, ré, mi, comme ré, mi, fa, sol, la. Le si sera naturel et ne redeviendra bémol que si l'on repasse dans le pentacorde inférieur (2). — Il faut remarquer toutefois que le si, dans le second pentacorde, peut céder à la loi d'attraction et s'abaisser d'un quart de ton en descendant, chose qui n'arrive jamais à la note mi dans le premier pentacorde du présent mode. Il arrive fréquemment que les mélodies du premier plagal franchissent au grave la limite de l'ambitus de ce mode et descendent plus bas que l'ut naturel; ainsi dans une variante de l'exemple ci-joint (Ἡσαΐα, (1) Tétracorde signifie ici intervalle composé de quatre sons, ou quarte; pentacorde, intervalle composé de cinq sons, ou quinte. Nous n'avons pas pris le mot tétracorde dans son acception rigoureuse; on sait que les anciens ne donnaient cette dénomination qu'à la quarte de première espèce (ayant le demi-ton à la base). (2) On verra plus loin qu'un certain nombre de mélodies du premier plagal (celles qui ont pour tonique ré) comprennent le si bémol dans leur échelle. |