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défaut, si elle a quelque chose d'extraordinaire et de forcé. La lecture de nos hons poètes apprendra l'usage qu'on doit en faire, et quelles sont les bornes qu'il ne faut point passer.

Enfin le poète doit s'attacher à l'harmonie. C'est cette variété de tons qui charme l'oreille, et qui, par l'impression qu'elle fait sur cet organe, parvient à ébranler doucement notre ame, et à la plonger dans une espèce de ravissement. Cette harmonie, un des plus puissans attraits de la poésie, consiste d'abord dans le mélange des rimes : J'ai déjà fait voir les différentes manières de les entremêler et de les croiser. J'observerai seulement que les vers à rimes suivies manquent d'harmonie, 1°. quand les rimes masculines ont une tropgrande convenance de son avec les féminines, comme ceux-ci de Racine:

Avant que tous les Grecs vous parlent par ma voix,
Souffrez que j'ose ici me flatter de leur choix,
Et qu'à vos yeux, Seigneur, je montre quelque joie
De voir le fils d'Achille, et le vainqueur de Troie.

2o. Quand deux rimes, soit masculines, soit féminines, ne sont séparées de deux autres rimes semblables, que par deux rimes d'une espèce différente, comme dans ces vers de Voltaire :

Soudain Potier se lève et demande audience.
Chacun à son aspect garde un profond silence.

Dans ce temps malheureux par le crime infecté,
Potier fut toujours juste et pourtant respecté.
Souvent on Y'avoit vu par sa male éloquence,
De leurs emportemens réprimer la licence,
Et conservant sur eux sa vieille autorité,
Leur montrer la justice avec impunité.

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1、

On voit, dans ce dernier exemple, sur-tout, que l'oreille est bien loin d'etre agréablement flattée par le retour des mêmes sons.

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en

L'harmonie poétique con sist te aussi à rompre la mesure à propos, su sur-Jout dans les vers alexandrins, pour éviter la monotonie, Elle ne souffre point que les vers, marchent toujours de den deux, encore moins un aun Mais elle veut qu'une pensée soit exprimée, tanđột on univers, tantôt en deux ou trois, quelquefois dans un seul hémistiche. 11 n'est aucun poète qui ait aussi bien connu cel art que Racine. Lisez et méditez ses vers: ils vous instruiront mieux que les préceptes les plus étendus.

Il y a une harmonie imitative, qui consiste à faire si bien concerter les mots avec les choses signifiées, que le son de ces mots imite la nature des choses qu'ils expriment. Vida, poètelatin, nous trace parfaitement, dans son Art poétique, les règles de cette harmonie. Voici le sens de ce morceau: «Il faut donner à chaque >> vers, l'air et le caractère qui lui sont

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propres. Le second ne doit pas marcher comme le premier,

nile nade tro1>> sième comme le second. L'un est plus >> leste et plus agile: par le mouvement >> de ses pieds et la légèreté de ses ailes, >> il paroît voler et raser la surface de >> l'onde. L'autre est pesant, lourd et >> massif: il se traîne lentement et avec >> de pénibles efforts, paroissant s'arrêter >> à chaque pas. Celui-ci montre un visa>> ge riant et un teint fleuri: Vénus l'a >> embelli de toutes ses graces. Celui-là >> au contraire n'offre que des traits ru>> des et des membres difformes, un >> sourcil hérissé, et une queue tor>> tueuse : le son en est dur, et la vue » désagréable ».

L'harmonie imitative est moins marquée dans notre langue, que dans la latine et la grecque. Nous avons cependant de très-beaux vers en ce genre, tels que ceux-ci de Racine :

Hé bien, filles d'enfer, vos mains sont-elles prétes ? Pour qui sont ces serpens qui sifflent sur vos têtes?

1

L'onde approche, se brise, et vomit à nos yeux
Parmi des flots d'écume un monstre furieux.
Son-front large est armé de cornes menaçantes:
Tout son corps est couvert d'écailles jaunissantes :
Indomptable taureau, dragon impétueux,
Sa croupe se recourbe en replis tortueux.

"

L'essieu crie et se rompt, l'intrépide Hippolite
Voit voler en éclat tout son char fracassé.
Dans les rênes lui-même il tombe embarrassé.

2.99 (

۱۲۱

)

Ceux-ci sont de Boileau.

Quatre bœufs attelés, d'un pas tranquille et lent, Promenoient dans Paris le monarque indolent,

Sous les coups redoublés tous les bancs retentissent;
Les murs en sont émus; les voûtes en mugissent,
Et même l'orgue en pousse un long gémissement,

Le bled pour se donner sans peine ouvrant la terre, N'attendoit pas qu'un bœuf pressé de l'aiguillon, Traçát à pas tardifs un pénible sillon.

L'autre esquive le coup; et l'assiette volant
S'en va frapper le mur, et revient en roulant.

J'aime mieux un ruisseau qui sur la molle arène, Dans un pré plein de fleurs lentement se promène, Qu'un torrent débordé, qui, d'un cours orageux, Roule, plein de gravier, sur un terrain fangeux.

La Mollesse oppressée Dans sa bouche à ce mot sent sa langue glacée, Et lasse de parler, succombant sous l'effort, Soupire, étend les bras, ferme l'œil et s'endort.

/

Si l'on veut avoir un exemple, et tout à-la-fois les règles de cette harmonie imitative, on n'a qu'à lire ces beaux vers de l'abbé du Resnel, tirés de sa traduction de l'Essai sur la Critique, par Pope.

Que le style soit doux, lorsqu'un tendre zéphire,
A travers les forêts, s'insinue et soupire,
Qu'il coule avec lenteur, quand de petits ruissea ux
Roulent tranquillement leurs languissantes ea ux,

sie.

Mais les vents en fureur, la mer pleine de rage,
Font-ils d'un bruit affreux retentir le rivage ?

Le vers comme un torrent, en grondant doit marcl er.
Qu'Ajax soulève et lance un énorme rocher;
Le vers appesanti tombe avec cette masse.
Voyez-vous des épis effienrant la surface
Camille dans un champ, cui court, vole, et fend l'air ?
La-muse suit Camille, et part comme un éclair.

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DES RÈGLES

DES OUVRAGES EN VERS.

Division Le poète raconte quelquefois une acde la poé- tion: quelquefois il la met sous les yeux : d'autres fois il se livre seulement au sentiment: enfin il traite souvent quelque sujet dans le dessein d'instruire: de-là naissent quatre espèces de poésie. Quand le poète raconte une action, c'est la poésie épique. Quand il offre aux yeux un spectacle, en introduisant des personnages qui parlent et qui agissent, c'est la poésie dramatique. Quand, pénétré d'un sentiment, agité d'une passion, il s'y livre tout entier, et les exprime avec le plus vif enthousiasme c'est la poésie lyrique. Quand il emploie son langage brillant et figuré, pour établir ou développer une verité, pour donner des règles et des préceptes, c'est la poésie didactique.

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