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Il n'est pas moins essentiel que la vraisemblance s'y trouve; c'est-à-dire, que les animaux ou les différens êtres qui y sont introduits, parlent, agissent selon leurs caractères vrais ou présumés; qu'ils soient toujours peints d'après nature, d'après les instincts divers, et les inclinations compatibles ou opposées que nous leur connoissons. Il paroît, par exemple, qu'il n'est pas vraisemblable que la Génisse, la Chèvre et la Brebis fassent société avec le Lion. On conçoit aisément que ce seroit bien pécher contre la vraisemblance, que d'attribuer la douceur au Tigre, la cruauté à l'Agneau, la foiblesse et la timidité au Lion et au Léopard; de peindre le Lièvre fier et courageux, l'Ane fin et rusé, le Renard simple et stupide, le Singe maladroit, etc.

logue.

La briéveté, la clarté, la naïveté Qualités sont les principales qualités qui doivent de l'Apocaractériser l'apologue. Ne point prendre les choses de trop loin, ne s'attacher qu'aux circonstances nécessaires, ne rien dire d'inutile, d'étranger à l'action, et finir où l'on doit finir, c'est le moyen d'être court.

On sera clair, si, en évitant d'introduire trop de personnages, et de surcharger son sujet d'incidens, on place chaque chose en son lieu, on met de l'ordre dans les idées et dans les expres

sions, on n'emploie que des termes, des tours qui soient propres, justes, sans équivoque et sans ambiguité.

La naïveté consiste à dire ingénument tout ce que l'on pense, sans que rien ne paroisse en aucune manière être l'ouvrage de l'art ou le fruit de la réflexion. Ce sont, dans le style, de certaines expressions simples, pleines de douceur et de grace, qui paroissent n'avoir pas été choisies, mais être nées d'elles-mêmes ou du hasard. C'est, dans les pensées, un degré de vérité si frappant, si sensible, si exquis, que nous serions presque persuadés que le fabulistea vu lui-même, et croit voir encore l'action qui nous est racontée, et qu'il ne fait que rendre mot pour mot les discours qu'il a entendus. En voici un exemple tiré de la fable du Savetier et du Financier par La Fontaine.

En son hôtel il fait venir

Le chanteur, et lui dit: Or çà, sire Grégoire,
Que gagnez-vous par an? -Par an! ma foi, monsieur,

Dit avec un ton de rieur

Le gaillard Savetier, ce n'est point ma manière
De compter de la sorte; et je n'entasse guère
Un jour sur l'autre: il suffit qu'à la fin
J'attrape le bout de l'année :
Chaque jour amène son pain. -

Eh bien, que gagnez-vous, dites-moi, par journée ? -
Tantôt plus, tantôt moins: le mal est que toujours
(Et sans cela nos gains seroient honnêtes),
Le mal est que dans l'an s'entremêlent des jours

Qu'il faut chommer: on nous ruine en fètes.
L'une fait tort à l'autre; et monsieur le curé
De quelque nouveau saint charge toujours son prône..

Ne diroit-on pas que le poète a été présent à cet entretien? Voici encore un exemple de naïveté dans ce début de la fable des Femmes et du Secret.

Rien ne pèse tant qu'un secret.
Le porter loin est difficile aux dames,
Je connois même sur ce fait

Bon nombre d'hommes qui sont femmes.

Cette naïveté de l'apologue ne permet point de mettre sur la scène des êtres métaphysiques, et d'y présenter, comme l'a fait La Motte, Dom Jugement, Dame Mémoire, Demoiselle Imagination. Ces personnages sentent la finesse et l'affectation : ils sont de l'homme d'esprit, et non de l'homme naïf.

Qu'on ne s'imagine point que ces Ornemens trois qualités essentielles à l'apologue, logue. de l'apoexcluent les ornemens. Dans un genre de poésie où l'on doit instruire, il est nécessaire, pour faire goûter l'instruction, de lui prêter tous les charmes, tous les attraits possibles. C'est ce qu'a fait La Fontaine, le plus parfait modèle auquel on puisse s'attacher pour le style simple, familier, naturel, qui est propre à l'apologue, et en même temps pour le choix et la distribution des ornemens dont on doit l'embellir. Les couleurs les plus brillantes et les plus variées éclatent dans ses fables: tout y est image et peinture. Mais ces couleurs y sont pla-cées avec une simplicité merveilleuse :

elles ne sont que les propres traits dont la nature se peint elle-même. Tout y est exprimé avec une naïveté charmante, une grace enchanteresse: tout y respire cette gaîté qu'il appelle luimême un certain charme, un air agréable qu'on peut donner à toutes sortes de sujets, même les plus sérieux (1). Nul poète n'a su mieux que lui répandre tous les trésors de la poésie, avec ce prestige de l'art, qui cache l'art même : il n'en est aucun qui offre plus de beautés de détail. Tantôt c'est le riant et le gracieux des images:

A l'heure de l'affut; soit lorsque la lumière
Précipite ses traits dans l'humide séjour,
Soit lorsque le soleil rentre dans sa carrière,
Et que n'étant plus nuit, il n'est pas encor jour.
(Les Lapins.)

Tantôt c'est l'agrément et la vivacité:

Je vois fuir aussitôt toute la nation

Des Lapins, qui sur la bruyère,
L'œil éveillé, l'oreille au guet,

S'égayoient, et de thym parfumoient leur banquet.

Faut-il peindre avec feu? les couleurs sont des plus fortes et des plus animées. Un renard est entré la nuit dans un poulailler :

Les marques de sa cruauté Parurent avec l'aube. On vit un étalage

(1) Préf. des Fabl.

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De corps sanglans et de carnage.

Pen s'en fallut que le soleil

Ne rebroussât d'horreur dans son manoir liquide.

Tel, et d'un spectacle pareil,

Apollon irrité contre le fier Atride,

Joncha son camp de morts..

Tel encore autour de sa tente,
Ajax à l'ame impatiente,

De moutons et de boucs fit un vaste débris;
Croyant tuer en eux son concurrent Ulysse:

(Le Fermier, le Chien et le Renard.)

Ces comparaisons de petites choses à ce qu'il y a de plus grand, font un effet très-agréable dans l'apologue. Rien de plus propre à plaire et à attacher que cette espèce de contraste.

Deux coqs vivoient en paix: une poule survint,
Et voilà la guerre allumée.
Amour, to perdis Troie, et c'est de toi que vint
Cette querelle envenimée,

Où du sang des dieux même on vit le Xanthe teint.

(Les deux Coqs.)

Ici, ce sont des idées nobles, des figures hardies, un syle plein d'énergie et de majesté :

Comme il disoit ces mots,

Du bout de l'horizon accourt avec furie

Le plus terrible des enfans

Que le Nord eût porté jusques-là dans ses flancs.
L'arbre tient bon; le roseau plie:
Le vent redouble ses efforts:
Il fait si bien, qu'il déracine

Celui de qui la tête au ciel étoit voisine,
Et dont les pieds touchoient à l'empire des morts.

(Le Chéne et le Roseau.)

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