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Moralité

logue.

Là, ce sont des traits rapides, frappans
et même sublimes.

Un bloc de marbre étoit si beau,
Qu'un statuaire en fit l'emplette.
Qu'en fera, dit-il, mon ciseau ?
Sera-t-il Dieu, table, ou cuvette ?
Il sera Dieu: même je veux
Qu'il ait en sa main un tonnerre.
Tremblez, humains, faites des vœux;
Voilà le maître de la terre.

(Le Statuaire.)

Si La Fontaine fait parler ses personnages, son dialogue est vif, pressé, et toujours coupé à propos. Je n'en citerai que cet exemple tiré de la fable du loup et du chien.

Chemin faisant, il vit le cou du chien pelé.

Qu'est cela, lui dit-il? - Rien. - Quoi, rien ? - Peu

de chose.

Mais encor?- Le collier dont je suis attaché,
De ce que vous voyez est peut-être la cause.
Attaché! dit le Loup; vous ne courez donc pas
Où vous voulez ? - Pas toujours; mais qu'importe? -
Il m'importe si bien, que de tous vos repas
Je ne veux en aucune sorte.

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La moralité est de toutes les parties de l'Apo- de l'apologue la plus essentielle. Elle doit naître sans effort, et naturellement du corps de la fable, parce que c'est pour elle que la fable est faite. Il faut qu'elle soit intéressante, courte et claire; c'est-à-dire que, sans être commune et triviale, elle soit exprimée en peu de mots et sans la moindre équivoque. Ce sens moral doit sur-tout être vrai. On a très-bien

très-bien remarqué que celui de la fable
des deux moineaux de La Motte ne l'est
pas. L'amour unissoit deux moineaux :
ils sont pris dans un piége et mis en
cage. Ils cessent de s'aimer, se battent;
et l'on est obligé de les séparer.

Leur flamme en liberté devoit être éternelle:
La nécessité gâta tout.

C'est ainsi que La Motte termine son récit. Assurément il veut faire entendre que deux cœurs unis par le sentiment, cessent bientôt de l'être, après qu'ils se sont liés par le mariage. Cela est-il vrai? Et parce que cela arrive quelquefois, peut-on en faire une maxime?

Il est indifférent de placer la moralité avant ou après le récit. Lorsqu'elle est placée au commencement de la fable, le lecteur a le plaisir, en suivant le fil de la narration, de juger si chaque trait s'y rapporte exactement à la vérité énoncée. Lorsqu'elle est placée à la fin, il goûte le plaisir de la suspension. Si le sens moral peut être deviné sans peine, et bien clairement entendu, on doit se dispenser de l'exprimer.

L'origine de l'apologue remonte jus- Poètes qu'à l'antiquité la plus reculée. Nous fabulistes. voyons dans les livres saints qu'il fut en honneur chez les Hébreux, et par conséquent chez les peuples Orientaux, plus de douze cents ans avant l'ère

chrétienne. Celui qui passe pour en avoir été l'inventeur chez les Grecs, est siode, né à Cumes en Eolie, province de l'Asie mineure, mais élevé à Ascrée en Béotie, et qui florissoit vers l'an 944 avant Jésus-Christ. On attribue à Stésichore, dont j'ai déjà parlé, l'invention de l'apologue de l'homme et du cheval, qu'Horace, Phèdre et La Fontaine ont sí bien versifié.

Mais Esope, né à Amorium, bourg de la Phrygie, vers l'an 550 avant JésusChrist, et qui passa une grande partie de sa vie dans l'esclavage, fut le premier qui rendit familière en Grèce cette manière ingénieuse d'instruire. La précision et la clarté font le plus grand mérite de ses fables: elles sont pleines de sens et de force, mais d'une briéveté extrême. C'est une simplicité toute nue, qui n'est relevée par aucun ornement.

Phèdre, né dans la Thrace, affranchi d'Auguste, et imitateur d'Esope, est bien plus orné, plus fleuri que le fabuliste Grec. Il peint en racontant: sa poésie est soignée, sa diction pure, ses expressions toujours choisies. L'élégance, le naturel, le gracieux et la bonne morale, formentle caractère de ses fables. L'abbé Lallement les a traduites.

Ce fabuliste, tout ingénieux, tout poli, tout varié qu'il est, a été effacé par notre aimable La Fontaine, qui vraisembla

blement ne sera jamais égalé. On a dit de lui:

Il peignit la nature, et garda les pinceaux.

Il paroît en effet qu'il a élevé l'apologue à sa plus haute perfection, et l'on ne conçoit pas que ceux qui voudront le suivre dans cette carrière, puissent jamais l'atteindre. Plus on est éclairé, et plus on a de goût; plus on est capable de sentir les beautés qui nous enchantent et nous intéressent dans ses fables. Ce n'est pas seulement par les charmes de la poésie qu'elles sont précieuses; elles le sont encore infiniment par la saine morale qui en résulte. Elles sont regardées avec juste raison comme le livre de tous les âges et de toutes les conditions. Quel homme n'y trouvera pas les sources de l'instruction la plus utile, et de l'amusement le plus agréable? Les jeunes gens sur-tout doivent, pour se former le cœur et le goût, les lire et les relire sans cesse. La moindre de ces fables offre une tournure et des graces qui n'appartenoient qu'à La Fontaine. Mais le chéne et le roseau, les vieillards et les trois jeunes hommes sont en tout deux morceaux achevés. Celle des animaux malades de la peste ne leur est pas inférieure. Avec quel art l'auteur a répandu sur un sujet triste et lugubre tout ce que la gaîté a de plus riant

De la

et de plus gracieux! Elle est, à mon avis, la plus propre à nous faire connoître le vrai génie de ce charmant fa- buliste.

La Motte a produit cent fables, parmi lesquelles il y en a plusieurs qui sont fort estimées. Richer en a fait aussi quelques-unes de bonnes. Celles de Rome d'Ardène offrent en général des images riantes et des tableaux qui sont dans la nature. On trouve des graces dans quelques-unes de Dorat. Mais que ces fabulistes sont loin de La Fontaine! L'abbé Aubert est celui qui en est le moins éloigné.

"

Le P. Desbillons, dans ses fables latines qu'il a lui-même traduites en français, s'est proposé Phèdre pour modèle, et l'a bien souvent égalé.

C'est ici le lieu de faire connoître la Métamor- métamorphose, mot qui signifie changephose. ment. C'est toujours un homme qui est transformé en bête, en arbre, en fontaine, en pierre, etc. Les hommes seuls par conséquent y sont admis; et le sujet ne peut en être tiré que de la mythologie, qui est l'histoire fabuleuse des dieux, des demi-dieux et des héros de l'antiquité. On peut allier dans ce poème les figures hardies, les descriptions brillantes, le style même sublime, avec la simplicité de l'apologue. Mais comme dans tous les genres de poésie on doit

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