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teaubriand avait lues (d'après V. Giraud). Or, Maistre annonce, à la fin du premier chapitre, une renaissance religieuse; et, au second chapitre, Chateaubriand put lire ceci : « L'effusion du sang humain n'est jamais suspendue dans l'univers... Il y a lieu de douter, au reste, que cette destruction violente soit, en général, un aussi grand mal qu'on le croit... Les véritables fruits de la nature humaine, les arts, les sciences... les hautes conceptions... tiennent surtout à l'état de guerre... En un mot on dirait que le sang est l'engrais de cette plante qu'on appelle génie. » Le jeune Chateaubriand dut se dire ceci est écrit pour moi.

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Étant donnés son éducation, son enfance chrétienne, sa sensibilité, le tour de son imagination, et qu'il était parmi les victimes de la Révolution et par conséquent de l'impiété révolutionnaire; que, même dans sa période d' «égarements » et de doute, il n'avait pas cessé d'être ému par les << beautés » de la religion; que, tout jeune, il avait eu la fureur d'écrire (douze heures par jour à l'occasion) et sur les grands sujets, et que jamais peut-être on ne vit jeune écrivain débuter par d'aussi énormes ouvrages; que, dans l'Essai et même dans les Natchez, la préoccupation religieuse est fréquente; qu'il voulait la gloire, et que c'est peut-être la seule chose qu'il ait voulue énergiquement; qu'il voulait jouer un grand rôle par la plume; qu'à cette époque la grande œuvre à écrire, le << livre à faire », c'était une apologie de la reli

gion chrétienne, condition et commencement de la reconstruction sociale; que cela était « dans l'air »; que, Rivarol étant trop peu croyant et ayant trop d'esprit, Bonald manquant de charme, Maistre étant étranger et ayant un génie trop insolent, Chateaubriand était le seul qui pût écrire ce livre attendu, de telle façon qu'il fût à la fois splendide, populaire et efficace... il était presque nécessaire que Chateaubriand écrivit le Génie du christianisme.

Il l'écrivit donc. Il le commença dès les premiers jours de 1799 (d'après Biré) et fit imprimer une partie du premier volume chez les Dulau, «qui s'étaient faits libraires du clergé français émigré ».

(Chateaubriand nous dit dans les Mémoires que le simiesque abbé Delille entendit la lecture de quelques fragments de l'ouvrage. L'abbé lui-même, dans son poème de la Pitié, qu'il avait composé à Brunswick un peu auparavant, célébrait la pitié chrétienne, disait la charité des soeurs grises et de l'abbé Carron ; et c'était déjà, au deuxième chant, comme une pâle petite esquisse des derniers chapitres du Génie du christianisme; tant tout le monde avait la même chose dans l'esprit !)

Cependant, Bonaparte était devenu premier consul. Beaucoup d'émigrés rentraient. Chateaubriand quitta Londres au printemps de 1900. Il emportait avec lui Atala, René et les premières feuilles imprimées du Génie du christianisme. Il n'avait pas vu Paris depuis neuf ans. Il rentra

à pied par la barrière de l'Étoile et les ChampsÉlysées. Paris avait l'air d'une ville en ruines semée de bastringues, un air sinistre et fou. Chateaubriand était d'ailleurs devenu Anglais de manières et, «< jusqu'à un certain point, de pensée ». Mais il retrouve Fontanes et rencontre Joubert. Et peu à peu il goûte la sociabilité française, «ce commerce charmant, facile et rapide des intelligences, cette absence de toute morgue et de tout préjugé ». Il goûte le pittoresque moral et le pêle-mêle de cette société, qui commence pourtant à se réorga-. niser. Il partage cette ivresse de vivre dont tout le monde était saisi après de tels bouleversements. Il n'a pas le sou, il emprunte pour vivre, mais il déborde d'espérance. Il travaille avec une allègre fureur. Je ne pense pas qu'il ait beaucoup souffert, à ce moment-là, du mal de René.

On sait, dans le Paris de l'ancienne France et des rapatriés, qu'il compose son grand ouvrage. Il n'est point malhabile, oh non! A propos du livre de madame de Staël, De la littérature dans ses rapports avec la morale, il publie dans le Mercure de France une Lettre à M. de Fontanes où il montre que c'est au christianisme, non à la philosophie, que nous devons une plus grande connaissance des passions humaines. On lit dans le préambule de cette lettre : «< Je m'enhardis en songeant avec quelle indulgence vous avez déjà annoncé mon ouvrage. Mais cet ouvrage, quand paraîtra-t-il? Il y a deux ans qu'on l'imprime, et il y a deux ans que le libraire

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ne se lasse point de me faire attendre, ni moi de corriger. Ce que je vais donc vous dire... sera tiré en partie de ce livre futur. » Autrement dit, il raccroche au livre de madame de Staël une très élégante et très adroite réclame de son propre livre, et il signe déjà — « l'auteur du Génie du christianisme». Cette lettre eut un très grand succès. « Cette boutade, dit-il dans les Mémoires, me fit tout à coup sortir de l'ombre. »

Mais le coup de maître, ce fut la publication d'Atala à part. Nous avons vu ce qu'Atala avait de nouveau et par où elle séduisit les imaginations. Mais surtout quelle victorieuse idée d'annoncer, par un fragment de cette espèce, par une histoire mélancolique et chastement sensuelle, pleine des images de la volupté et de la mort, une apologie de la religion ! A coup sûr, cette apologie ne serait pas austère ni rebutante; l'auteur connaissait autant que la poésie de la nature, la poésie des pas sions; son livre serait un trésor de suaves descriptions et d'émotions distinguées. Les femmes l'attendaient comme un roman.

C'est de la publication d'Atala (dit Chateaubriand dans les Mémoires) que date le bruit que j'ai fait dans le monde... Atala devint si populaire qu'elle alla grossir, avec la Brinvilliers, la collection de Curtius. Les auberges de rouliers étaient ornées de gravures rouges, vertes et bleues représentant Chactas, le Père Aubry et la fille de Simaghan. Dans des boîtes de bois, sur les quais, on montrait mes personnages en cire, comme on montre des images de Vierge et de saints à la foire.

Je vis sur le théâtre du boulevard ma sauvagesse coiffée de plumes de coq, qui parlait de l'âme de la solitude à un sauvage de son espèce, de manière à me faire suer de confusion...

Il fut <«<enivré ». « J'aimai la gloire comme une femme, comme un premier amour. » On se le disputa. Les femmes s'arrachèrent un mot de sa main, une << enveloppe suscrite par lui », que l'on «cachait avec rougeur, en baissant la tête, sous le voile tombant d'une longue chevelure ». « Les éphèbes de treize et quatorze ans étaient, dit-il, les plus périlleuses. » Diable! Il fait alors la connaissance de madame Bacciochi, sœur de Bonaparte, et de Lucien. Une fois on le conduit chez madame Récamier. Il ne devait la revoir que vingt ans plus tard. «Le rideau, dit-il, se baissa subitement entre elle et moi. >>

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Surtout, avec Fontanes et Joubert, avec Molé, Pasquier, Chênedollé, qui fréquentaient chez elle, il connut madame de Beaumont, née Pauline de Montmorin. Il fut passionnément aimé d'elle, et assurément il l'aima. Si vous voulez parfaitement savoir qui était madame de Beaumont, lisez ou relisez le tendre chapitre qui la regarde dans le livre d'André Beaunier: Trois amies de Chateaubriand. Elle avait eu un père massacré à l'Abbaye, une mère et un frère guillotinés, une sœur morte en prison, puis une vie morne et décolorée... J'ai vu son portrait par madame Vigée-Lebrun. Elle n'était pas belle; elle avait,

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