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Enfin, «on peut découvrir quelque tradition obscure de la Trinité jusque dans les fables du polythéisme ». Où donc? Mais notamment dans les trois Grâces. O monsieur Singlin, ô monsieur Hamon, ô monsieur Duguet, que dites-vous de ce chrétien?

La Rédemption est «touchante ». On ne peut pas dire moins. «Ne demandons point à notre esprit, mais à notre cœur, comment un Dieu peut mourir. » La chute est «avérée par la tradition universelle et par la transmission du mal moral et physique.» (Ne l'est-elle donc pas par la parole de l'Écriture sainte?) La communion, c'est << l'union entre une réalité éternelle et le songe de notre vie ». La communion «présente d'abord une pompe charmante ». Elle est l'«offrande des dons de la terre au Créateur ». Elle « rappelle la Pâque des Israélites et annonce la fin des sacrifices sanglants. » Elle annonce la «réunion des hommes en une grande famille ». Ce n'est qu' «en quatrième lieu » que «l'on découvre dans l'Eucharistie le mystère direct (?) et la présence réelle de Dieu dans le pain consacré ».

A propos du sacrement de l'ordre, ingénieux développement sur les charmes de la virginité. « Les anciens la donnaient à Vénus-Uranie et à Minerve... L'Amitié était une adolescente... Parmi les animaux, ceux qui se rapprochent le plus de notre intelligence sont voués à la chasteté » (les abeilles)... «Concluons que les poètes et les

hommes du goût le plus délicat ne peuvent rien objecter contre le célibat des prêtres. » Il insiste beaucoup là-dessus. Il a cet argument imprévu et vraiment trop ingénieux: «Le législateur des chrétiens naquit d'une vierge et mourut vierge. N'a-t-il pas voulu nous enseigner par là, sous les rapports politiques et naturels, que la terre était arrivée à son complément d'habitants et que, loin de multiplier les générations, il faudrait désormais les restreindre? » Puis il songe aux philosophes et aux économistes: «Au reste... l'Europe estelle déserte parce qu'on y voit un clergé catholique qui a fait vœu de célibat? Les monastères même sont favorables à la société... »

Quand il rencontre l'enfer, dogme déplaisant, il supprime négligemment les peines physiques : « Le bonheur du juste consistera, dans l'autre vie, à posséder Dieu avec plénitude; le malheur de l'impie sera de connaître les perfections de Dieu, et d'en être à jamais privé. » Un peu plus loin : «<Les méchants, dit-il, s'enfoncent dans le gouffre. » Et il passe.

Le sacrement de mariage amène un tableau de noce rustique dans le goût de Gessner. La tentation d'Ève sert de prétexte à une très brillante description du serpent et au tableau d'un Canadien qui charme, en jouant de la flûte, un serpent à sonnettes. Je prends tous ces traits presque au hasard dans les trois premiers livres. C'est de l'apologie pittoresque, et poétique, par appels à

l'imagination et au sentiment, par érudition amusante, par images, métaphores, analogies, par équivoques et abus de mots, par anecdotes et descriptions. Cela dut plaire extrêmement. L'auteur pensait aux «hommes de goût », comme il disait lui-même tout à l'heure, et ne voulait point leur paraître un petit esprit. Et il avait raison, et cela même servait l'Église. La foi de Chateaubriand cherche partout des arguments, et qui soient élégants et jolis; on pourrait presque dire: Elle en cherche partout excepté dans l'Écriture. Et il est bien vrai que l'Écriture est ce qui aurait le moins persuadé le public auquel il s'adressait.

En somme, le Génie du christianisme était parfaitement adapté à son public. Ce livre contre l'impiété du dix-huitième siècle est encore, éminemment, une œuvre du dix-huitième siècle (du moins de celui de Rousseau), puisque c'est une apologie de la religion par des arguments tirés de la sensibilité.

Nous arrivons ainsi à la composition de l'ouvrage.

L'objet et le plan en sont très clairement exposés dans le premier chapitre. L'apologétique ne saurait plus être ce qu'elle était autrefois, parce que les adversaires du christianisme ne sont plus les mêmes. Saint Ignace d'Antioche, saint Irénée, Tertullien combattaient les premières hérésies; Quadrat, Aristide et saint Justin, les calomnies inventées par les païens contre la religion nouvelle; Arnobe

le rhéteur, Lactance, Eusèbe, saint Cyprien se sont surtout << attachés à développer les absurdités de l'idolâtrie ». Origène combattit les sophistes; saint Cyrille le néo-paganisme de l'empereur Julien Bossuet les protestants.

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«Or, tandis que l'Église triomphait encore, déjà Voltaire faisait renaître la persécution de Julien. Il eut l'art funeste, chez un peuple capricieux et aimable, de rendre l'incrédulité à la mode. » Il s'agit donc de remettre à la mode la religion. « Ce n'étaient pas les sophistes qu'il fallait réconcilier à la religion, c'était le monde qu'ils égaraient. On l'avait séduit en lui disant que le christianisme était un culte né du sein de la barbarie, absurde dans ses dogmes, ridicule dans ses cérémonies, ennemi des arts et des lettres, de la raison et de la beauté; un culte qui n'avait fait que verser le sang, enchaîner les hommes et retarder le bonheur et les lumières du genre humain. » Il fallait prouver que c'est précisément le contraire. « Qui est-ce qui lirait maintenant un ouvrage de théologie? » Il faut «<envisager la religion sous un jour purement humain ». « Dieu ne défend pas les routes fleuries quand elles servent à ramener à lui. » Enfin «Nous osons croire que cette manièr d'envisager le christianisme présente des rapports peu connus sublime par l'antiquité de ses souvenirs, qui remontent au berceau du monde, ineffable dans ses mystères, adorable dans ses sacrements, intéressant dans son histoire, céleste dans sa mo

rale, riche et charmant dans ses pompes, il réclame toutes les sortes de tableaux. »

Et le Génie du christianisme est, en effet, une suite de tableaux et de morceaux; c'est de l'apologétique descriptive. Le plan est d'une simplicité extrême, aussi peu complexe et «composé» que possible. Il est uni, tout uni; il ne se ramasse pas comme un traité, mais s'étale comme un poème, «une sorte de poème persuasif, un poème sentimental », dit André Beaunier; oui, et aussi, le dirai-je ? comme une série d'articles de journal.

«Quatre parties, divisées chacune en six livres. La première traite des dogmes et de la doctrine. La seconde et la troisième renferment la poétique du christianisme, ou les rapports de cette religion avec la poésie, la littérature et les arts. La quatrième contient le culte, c'est-à-dire tout ce qui concerne les cérémonies de l'Église et tout ce qui regarde le clergé séculier et régulier. »

De la première partie, je vous ai donné quelque idée en recherchant le degré de foi du brillant apologiste. Les chapitres les plus agréables sont sans doute ceux qui «prouvent l'existence de Dieu par les merveilles de la nature ». Cela rappelle la première moitié du Traité de l'existence de Dieu de Fénélon, et c'est, à la fois, moins probant encore et infiniment plus riche de couleurs. Cela fait songer aussi aux Harmonies de Saint-Pierre. Mais jamais personne n'avait décrit la nature avec cet

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