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SEPTIÈME CONFÉRENCE

L'ITINÉRAIRE DE PARIS A JÉRUSALEM.
LE DERNIER ABENCÉRAGE.

Les Martyrs eurent du succès, mais non point un immense succès (quoique le libraire les eût payés 80.000 francs, dont 24.000 comptant). L'auteur lui-même nous en a donné les raisons, du moins quelques-unes, dans ses Mémoires: «... Les circonstances qui contribuèrent au succès du Génie du Christianisme n'existaient plus; le gouvernement, loin de m'être favorable, m'était contraire. Les Martyrs me valurent un redoublement de persécution. » (Il ne dit pas en quoi.) « Les allusions fréquentes dans le portrait de Galérius et dans la peinture de la cour de Dioclétien ne pouvaient échapper à la police impériale. » (A la vérité, ces allusions paraissent aujourd'hui lointaines.)

Au Journal des Débats, Hoffmann fit, des Martyrs, une critique où il y a beaucoup de bon sens, et quelques sottises. Chateaubriand ressentit très

vivement cette critique, et répondit par un long Examen des Martyrs et par des Remarques sur chaque livre du poème. Il s'y montre fort naïvement irrité des censures et fort content de lui. Il s'étonne particulièrement qu'on ait été si méchant pour un ouvrage qui lui a coûté tant de peine. Il dit, à propos de sa peinture du Paradis : « Jamais je n'ai fait un travail plus pénible et plus ingrat. » Il y paraît. Dans les Remarques sur le livre VIII (l'Enfer) : « Ce livre, qui coupe le récit, qui sert à délasser le lecteur (!) et à faire marcher l'action, offre en cela même une innovation dans l'art qui n'a été remarquée de personne. » En effet. Sur les démons, qui sont des dieux païens : « C'est l'Olympe dans l'enfer, et c'est ce qui fait que cet enfer ne ressemble à aucun de ceux des poètes mes devanciers. » Sur le démon de la fausse sagesse : « Ce démon n'avait point été peint avant moi. » Plus loin «La peinture du tumulte aux enfers est absolument nouvelle. » Sur le démon de la volupté « Ce portrait est encore tout entier de l'imagination de l'auteur. » Etc. On a envie de dire : « Allons, tant mieux. Mais nous ne nous soucions que de Velléda. >>

« La publication des Martyrs, dit Chateaubriand, coïncide avec un accident funeste. » Son cousin Armand de Chateaubriand était resté en Angleterre. Marié à Jersey, il était chargé de la correspondance des princes. Il menait sur de méchants bateaux une vie héroïque et folle

d'audace; mais le 20 janvier 1809 il fut arrêté, conduit à Paris, à la prison de la Force, puis condamné à mort. Chateaubriand n'avait probablement, pour obtenir la grâce de son cousin, qu'à demander une audience à l'empereur. Mais il était gêné par son rôle public. Deux ans auparavant il avait écrit dans le Mercure l'article célèbre : «<... C'est en vain que Néron prospère, Tacite est déjà né dans l'empire; il croît inconnu auprès des cendres de Germanicus, et déjà l'intègre Providence a livré à un enfant obscur la gloire du maître du monde..... »

Il fit cependant ce qu'il put, mais on ne sait pas bien quoi. (Je vous renvoie, pour le détail de cette histoire, à la Vie politique de Chateaubriand, par M. Albert Cassagne.) Chateaubriand dit dans les Mémoires d'outre-tombe : « Je m'adressai à madame de Rémusat; je la priai de remettre à l'impératrice une lettre de demande de justice ou de grâce à l'empereur. » Madame de Chateaubriand dit dans le Cahier rouge : « Mon mari écrivit à Bonaparte; mais, comme quelques expressions de sa lettre l'avaient, dit-on, choqué, il répondit : Chateaubriand demande justice, il l'aura. » Et Madame de Rémusat raconte dans ses Mémoires, que l'empereur lui dit : « Chateaubriand a l'enfantillage de ne pas m'écrire à moi » (ceci contredit le Cahier rouge); «sa lettre à l'impératrice est un peu sèche et hautaine; il voudrait m'imposer l'importance de son talent. Je lui réponds par

celle de ma politique, et, en conscience, cela ne doit point l'humilier. »

Le plus certain, c'est qu'Armand fut fusillé: «Le jour de l'exécution, raconte Chateaubriand, je voulus accompagner mon camarade sur son dernier champ de bataille; je ne trouvai point de voiture, je courus à pied à la plaine de Grenelle, j'arrivai tout en sueur, une seconde trop tard : Armand était fusillé contre le mur d'enceinte de Paris. Sa tête était brisée; un chien de boucher léchait son sang et sa cervelle. » Quelque chose me dit qu'il a ajouté le chien de boucher.

Et, d'après les Souvenirs de Sémallé, Chateaubriand n'aurait vu ni le chien ni la cervelle. II s'était décidé (trop tard) à demander une audience à l'empereur. Il passa toute la nuit chez lui, et reçut la lettre d'audience, le matin, après l'exécution d'Armand. Si, comme l'affirme Sémallé, Chateaubriand n'est pas sorti de chez lui ce matin-là, « que devient la course à Grenelle, et l'histoire du chien de boucher et le mouchoir sanglant apporté par Chateaubriand à madame de Custine? » (A. Cassagne).

<«< Il parut plus irrité qu'affligé », dit madame de Rémusat. Rien d'étonnant à cela, ni de choquant. Il n'avait pas vu son cousin depuis bien des années. Tout de suite après avoir conté la mort d'Armand, il nous dit : « L'année 1811 fut une des plus remarquables de ma carrière littéraire. Je publiai l'Itinéraire de Paris à Jérusalem, je remplaçai M. de Ché

nier à l'Institut, et je commençai d'écrire mes Mémoires... Le succès de l'Itinéraire fut aussi complet que celui des Martyrs avait été disputé. >>>

Et pourtant, la première partie exceptée, l'Itinéraire, si je ne me trompe, nous paraît, aujourd'hui, encore plus ennuyeux que les Martyrs.

Pourquoi avait-il fait ce voyage en Grèce, dans l'archipel, à Constantinople, en Asie-Mineure, en Palestine, en Égypte et à Tunis? Il nous dit qu'il allait «< chercher des images » pour son poème des Martyrs. Il nous dit aussi qu'il a fait ce voyage par piété : « Je serai peut-être le dernier des Français sorti de mon pays pour voyager en TerreSainte avec les idées, le but et les sentiments d'un ancien pèlerin. » Enfin (dans les Mémoires), il nous dit qu'il l'a fait par amour: «Allais-je au tombeau du Christ dans les dispositions du repentir? Une seule pensée m'absorbait; je comptais avec impatience les moments. Du bord de mon navire, les regards attachés à l'étoile du soir, je lui demandais des vents pour cingler plus vite, de la gloire pour me faire aimer. J'espérais en trouver à Sparte, à Sion, à Memphis, à Carthage, et l'apporter à l'Alhambra. Comme le cœur me battait en abordant les côtes d'Espagne ! »

Autrement dit, il allait à Jérusalem pour le plaisir de trouver, au retour, madame de Noailles qui l'attendait à Grenade. Et il suivait aussi son instinct et son goût de voyageur et de navigateur, et son humeur curieuse et surtout inquiète.

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