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Car l'empereur avait dit un jour : « On se plaint que nous n'ayons pas de littérature : c'est la faute du ministre de l'Intérieur », et par un décret daté d'Aix-la-Chapelle (10 septembre 1804), il avait établi «< qu'il y aurait de dix ans en dix ans, le jour anniversaire du 18 brumaire, une distribution de grands prix donnés de sa propre main.» Ces prix étaient destinés à récompenser «<les meilleurs ouvrages et les plus utiles inventions qui auraient honoré les sciences, les lettres et les arts ». La première de ces solennités décennales était fixée au 9 novembre 1810. Mais cette fois, pour la littérature du moins, on n'avait rien trouvé. Le jury de l'Institut avait écarté le Lycée de La Harpe, comme trop ancien, et le Catéchisme universel de Saint-Lambert comme trop grossièrement matérialiste. Et par une omission effrontée il n'avait pas même mentionné le Génie du christianisme.

Napoléon demanda pourquoi. Le jury, après de longues délibérations et de nombreux rapports, répondit «que le Génie du Christianisme avait paru défectueux quant au fond et au plan; que néanmoins la classe (de l'Institut) consultée avait reconnu un talent très distingué de style... et dans quelques parties des beautés de premier ordre ; qu'elle avait trouvé toutefois que l'effet du style et la beauté des détails n'auraient pas suffi pour assurer à l'ouvrage le succès qu'il a obtenu ; et que ce succès est dû aussi à l'esprit de parti et à des passions du moment qui s'en sont emparées soit

pour l'exalter à l'excès, soit pour le déprimer avec injustice.» Le Génie du christianisme avait pour lui le grand public et les femmes : mais, à l'Institut, le dix-huitième siècle philosophique se défendait.

Les prix décennaux ne furent jamais distribués. D'après un récit de madame Hamelin dans le Constitutionnel du 1er août 1849, et d'après une correspondance particulière du Vrai libéral de Gand, 1er avril 1818, la galante madame Hamelin et, une autre fois, une dame qu'on ne nomme pas, mais qui doit être madame Hamelin encore, serait allée trouver Chateaubriand de la part de l'empereur, dans l'année 1811, pour lui proposer la paix. Chateaubriand aurait répondu : «Mon plus beau rêve serait d'obtenir de votre enchanteur cinq architectes et cinq millions pour aller en son nom rebâtir le temple de Jérusalem qui vient d'être brûlé»; puis il aurait demandé, qu'on créât pour lui un « ministère des bibliothèques de l'Empire ». (André Gayot: Une ancienne muscadine, Fortunée Hamelin; Albert Cassagne: La Vie politique de Chateaubriand.) D'après madame de Rémusat (Mémoires), Napoléon disait : «Mon embarras n'est point d'acheter M. de Chateaubriand, mais de le payer ce qu'il s'estime. » Toutefois, l'empereur aurait payé ses dettes, pour qu'il consentît à se présenter à l'Académie.

Ce sont des racontars, auxquels ont donné lieu ses perpétuels embarras d'argent. Tout ce qu'on

peut dire, c'est que Chateaubriand et l'empereur ont été constamment en coquetterie. Ils étaient, au fond, attirés l'un vers l'autre. Chateaubriand estimait que Napoléon était, avec lui, le seul grand homme du siècle; il voulait exister le plus possible pour son rival, être le plus possible présent à sa pensée. Mais d'autre part il ne pouvait se rallier : son rôle, son parti, son orgueil le lui défendaient. Je crois qu'il en était assez malheureux.

Il dit dans ses Mémoires: «A partir de 1812, je n'imprimai plus rien. Ma vie de poésie... fut véritablement close par la publication de mes trois grands ouvrages (Génie, Martyrs, Itinéraire...) Ici donc se termine ma carrière littéraire. »

Au fait, on se figure difficilement comment il eût pu la poursuivre. Le Génie avait engendré les Martyrs qui avaient engendré l'Itinéraire. Mais qu'est-ce que l'Itinéraire pouvait bien engendrer? Chateaubriand était captif de son rôle et captif de sa gloire. On ne le voit pas écrivant un ouvrage d'imagination qui ne fût pas encore une démonstration de la beauté de la religion chrétienne : tout autre eût semblé futile de sa part. Or, sur ce sujet, il avait dit tout ce qu'il pouvait dire, imaginé tout ce qu'il pouvait imaginer. C'est pourquoi il terminait l'Itinéraire par ces mots : « J'ai fait mes adieux aux Muses dans les Martyrs et je les renouvelle dans ces Mémoires (il appelle ainsi l'Itinéraire) qui ne sont que la suite ou le commentaire de l'autre ouvrage. Si le ciel m'accorde

un repos que je n'ai jamais goûté, je tâcherai d'élever en silence un monument à ma patrie. » Cela veut dire qu'il se propose d'écrire une histoire de France; et il en a du moins tracé une large et abondante ébauche dans les Études historiques. Si l'Empire avait duré, Chateaubriand avait certes en lui de quoi devenir un grand historien. Mais l'histoire n'était encore pour lui qu'un pis-aller. Ce qu'il rêvait, ce qu'il désirait violemment, c'était l'action, la grande action politique. La chute de l'empereur allait bientôt la lui per

mettre.

HUITIÈME CONFÉRENCE

LA VIE POLITIQUE

Donc, en 1811, la carrière littéraire de Chateaubriand était de toute façon finie. Elle avait été limitée d'avance par son esprit même, et par le rôle que l'auteur avait assumé. Il était, comme il fut toujours, dégoûté de tout en désirant tout. Il ne savait à quoi s'occuper. Il attendait, il espérait la chute de l'empereur, que certains indices annonçaient, mais qui ne paraissait pas encore très proche. Alors, pour passer le temps, et aussi parce que cette description et cette exaltation de soi lui plaisaient infiniment, il eut l'idée d'écrire ses Mémoires, et, de 1811 à 1813, il commença à les rédiger.

Mais ce n'était encore pour lui, en effet, qu'un divertissement, en attendant mieux. Son rêve, exprimé cent fois, a toujours été d'avoir une vie complète, d'être à la fois un homme de pensée et

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