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dans ses Mémoires. Il y ajoute ce commentaire : << Tous les pusillanimes et les ambitieux qui m'avaient cru perdu commençaient à me voir sortir radieux des tourbillons de poussière de la lice c'était ma seconde guerre d'Espagne » (il parle de sa campagne aux Débats). « Je triomphai de tous les partis intérieurs comme j'avais triomphé au dehors des ennemis de la France. »>

Après le départ du ministère Villèle, le roi se délivre de Chateaubriand en l'envoyant à Rome comme ambassadeur. Chateaubriand le comprend très bien « Il se peut qu'il fût utile à mon pays d'être débarrassé de moi : par le poids dont je me suis, je devine le fardeau que je dois être pour les autres. » A Rome, il a le plaisir d'assister à la mort de Léon XII et au conclave qui élit Pie VIII. II écrit des phrases comme celle-ci: «Un pape qui entrerait dans l'esprit du siècle et qui se placerait à la tête des générations éclairées pourrait rajeunir la papauté: mais ces idées ne peuvent point pénétrer dans les vieilles têtes du sacré Collège. »

Au moment du ministère Polignac, il donne sans hésiter sa démission d'ambassadeur. C'est une chose qu'il fait très bien. C'est, en politique, celle qu'il fait le mieux. Il y a parfois du mérite. Il nous l'explique lui-même: « Les chutes me sont des ruines, car je ne possède que des dettes, dettes que je contracte dans des places où je ne demeure pas assez de temps pour les payer; de sorte que, toutes les fois que je me retire, je suis réduit à

travailler aux gages d'un libraire. » Et voici ce qui augmente son mérite. Il écrit de madame de Chateaubriand: «Elle avait la tête tournée d'être ambassadrice à Rome... Elle aime la représentation, les titres et la fortune; elle déteste la pauvreté et le ménage chétif; elle méprise ces susceptibilités, ces excès de fidélité et d'immolation, qu'elle regarde comme de vraies duperies dont personne ne vous sait gré; elle n'aurait jamais crié vive le roi quand même; mais, quand il s'agit de moi, tout change; elle accepte d'un esprit ferme mes disgrâces, en les maudissant. » Cela veut dire que, lorsqu'il se démettait d'une place lucrative, sa femme lui faisait une vie d'enfer. Lui-même était furieux d'être héroïque, mais il était héroïque. Oui, sa plus grande gloire, après ses livres, c'est d'avoir su donner magnifiquement sa démission.

A ce moment, la politique extérieure est brillante et prospère. Le roi et M. de Polignac se croient assez forts pour faire les «Ordonnances ». Qu'estce que les ordonnances? Chateaubriand dit dans les Mémoires: «... Sans doute la presse tend à subjuguer la souveraineté, à forcer la royauté et les Chambres à lui obéir; sans doute, dans les derniers jours de la Restauration, la presse, n'écoutant que sa passion, a, sans égard aux intérêts et à l'honneur de la France, attaqué l'expédition d'Alger, développé les causes, les moyens, les préparatifs, les chances d'un non-succès; elle a divul

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gué les secrets de l'armement, instruit l'ennemi de l'état de nos forces, compté nos troupes et nos vaisseaux, indiqué jusqu'au point de débarquement... » Et il ajoute : Tout cela est vrai et odieux; mais le remède?» Le remède radical, c'était sans doute la suppression de la liberté de la presse. Et en effet la première ordonnance opérait cette suppression. Une autre dissolvait la Chambre récemment élue. Une autre refaisait la loi d'élection dans un sens restrictif. Tout cela en vertu de l'article 14 de la Charte, entendu, il est vrai, un peu pharisaïquement: «Le roi est le chef suprême de l'État, commande les forces de terre et de mer, déclare la guerre, fait les traités de paix, d'alliance et de commerce, nomme à tous les emplois d'administration publique, et fait les règlements et ordonnances nécessaires pour l'exécution des lois et la sûreté de l'Etat. »

Je n'ai pas à juger ici les ordonnances. Pendant trente ans de ma vie elles m'ont fait horreur. Maintenant je ne sais plus... Mais en tout cas il fallait prévoir, il fallait pouvoir, il fallait réussir... Et ce Polignac ne paraît pas avoir été de force.

Chateaubriand, devenu personnage populaire, chef de la jeunesse, s'indigna des ordonnances : «Dans le cas où elles eussent triomphé, j'étais résolu à ne pas m'y soumettre, à écrire, à parler contre ces mesures inconstitutionnelles. » (Il n'avait pas toujours eu de ces délicatesses. A la Chambre de 1815, il avait, par exemple, demandé la sus

pension des juges pour une année, «afin de voir qui était royaliste en jugeant et qui ne l'était pas »>). Pour la troisième fois la royauté ne sut pas, ne voulut pas se défendre. Chateaubriand se promène dans les rues pour se faire acclamer et porter sur les épaules des jeunes gens et des étudiants. A la Chambre des pairs, il exalte les insurgés; il qualifie le coup d'État des ordonnances de «conspiration de la bêtise et de l'hypocrisie » et y voit «une terreur de château organisée par des eunuques ». Toutefois, il ne croit pas encore tout à fait à la République, et soit qu'il ait un bon mouvement, soit qu'il veuille (à quoi il tenait extrêmement) maintenir une apparence d'unité à sa vie politique, il refuse de se rallier au roi électif Louis-Philippe, et reste fidèle au petit duc de Bordeaux, en faveur de qui le roi et le dauphin ont abdiqué. Mais il n'en écrit pas moins des phrases comme celles-ci, qui sont assez pauvres, si je ne m'abuse: «... Je reviens à ma raison et je ne vois plus dans ces choses que l'accomplissement des destins de l'humanité. La cour, triomphante par les armes, eût détruit les libertés publiques; elle n'en aurait pas moins été écrasée un jour, mais elle eût retardé le développement de la société pendant quelques années; tout ce qui avait compris la monarchie d'une manière large eût été persécuté par la Congrégation rétablie. En dernier résultat, les événements ont suivi la pente de la civilisation. »

Il continuera, sous Louis-Philippe, d'écrire de ces choses, d'affirmer et de saluer la transformation des sociétés, l'ère nouvelle, l'inéluctable progrès de la démocratie. Il fait très bien tout le nécessaire pour entretenir sa popularité. Il affiche la plus vive sympathie pour Armand Carrel, qui, dans la guerre d'Espagne (sa guerre à lui, Chateaubriand) avait combattu comme volontaire républicain contre l'armée française. Il étale la plus grande admiration pour Béranger. Il l'invite à dîner avec Carrel au Café de Paris, pour bien montrer qu'ils sont ses amis et qu'il a l'esprit libre. Béranger lui rend ses politesses par la chanson:

Chateaubriand, pourquoi fuir ta patrie?

Et Chateaubriand appelle cela une admirable chanson. Et il raconte lui-même : «Un vieux chevalier de Saint-Louis, qui m'est inconnu, m'écrivait du fond de sa tourelle : « Réjouissezvous, monsieur, d'être loué par celui qui a souffleté votre roi et votre Dieu. » (L'indignation de ce vieux chevalier n'est peut-être pas si ridicule.) Il affecte d'être l'ami de Lamennais, après la révolte de Lamennais, bien entendu. Il écrit même au prince Louis-Napoléon : «Si Dieu, dans ses impénétrables conseils, avait rejeté la race de Saint-Louis, si les mœurs de notre patrie ne lui rendaient pas l'état républicain possible, il n'y a pas de nom qui aille mieux à la gloire de la

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