« tempeste; quelquefois elle ne produit aucun effet dans la << prononciation, comme en ces mots, espéc, esternuer; c'est « pourquoy on a eu soin d'avertir le lecteur quand elle doit « estre prononcée. Il y a des mots où elle a le son d'un z, et c'est a quand elle est entre deux voyelles, comme dans ces mots aisé, « desir, peser. Mais elle n'est pas la seule lettre qui soit sujette à « ces changemens. Le c se prononce quelquefois comme un g, « ainsi on prononce segret et non pas secret, segond et non pas « second, Glaude et non pas Claude, quoy que dans l'escriture « on doive absolument retenir le c. Ainsi les Romains prononçoient « Gaius, quoy qu'ils escrivissent Caius, Amurga quoy qu'ils es« crivissent Amurca, selon l'observation de Servius sur le premier << livre des Georgiques; ce qui acheve de confirmer ce qu'on vient « de dire que la prononciation et l'orthographe ne s'accordent pas « tousjours et que c'est de la vive voix seule qu'on peut attendre << une parfaite connoissance de la prononciation des langues vi<< vantes et qu'on n'appelle vivantes que parce qu'elles sont en« core animées du son et de la voix des peuples qui les parlent « naturellement; au lieu que les autres langues sont appellées << mortes, parce qu'elles ne sont plus parlées par aucune nation, et << n'ont plus par consequent que des prononciations arbitraires au << deffaut de la naturelle et de la veritable qui est totalement « ignorée (1). » (1) La préface du premier Dictionnaire de l'Académie, en 1694, a été écrite par Regnier des Marais, et l'epître dédicatoire au Roi, par Perrault. On croit que les observations sur cette dédicace publiées par d'Olivet, à la fin de ses Remarques sur les tragédies de Racine (Paris, Gandouin, 1738, in-12), sont dues à Racine et à Regnier des Marais. Dans cette préface comme dans les autres citations, j'ai suivi scrupuleusement l'orthographe même des textes. Quant à la ponctuation qui, n'étant soumise à aucune règle fixe, nuit parfois à l'intelligence du sens, j'ai dû la rétablir d'après l'usage des bonnes imprimeries. Le grand nombre des majuscules, employées souvent d'une façon arbitraire, est modifié selon nos habitudes actuelles. On doit cependant sigualer dans cette préface l'emploi du (;) suivi d'une majascule qui remplit la fonction d'une ponctuation intermédiaire entre le point-virgule (;) et le point. (Les deux points (:) remplissent une autre fonction.) Il est regrettable qu'on ait abandonné un secours utile quelquefois et qui, du reste, avait un précédent, ainsi qu'on en peut juger par les textes grecs de ma Bibliothèque des auteurs grecs. Cette ponctuation intermédiaire s'y trouve remplacée par l'emploi de la minuscule simple après le point, pour indiquer une suspension moins forte que orsque le point est suivi de la majuscule. La comparaison de notre orthographe académique, d'après la dernière édition 2o Cahiers de remarques rédigés pour le Dictionnaire de 1694. Dans les Cahiers dressés par l'Académie pour éclairer la discussion des mots du Dictionnaire de 1694, se trouvent des règles de détermination orthographique qu'elle n'a formulées nulle part ailleurs. Ces Cahiers étaient tirés strictement à quarante exemplaires au nom de chacun des membres. Il en existe deux éditions (1). C'est sur l'exemplaire de Racine de la première édition, conservé à la Bibliothèque impériale, que j'ai transcrit ce qui suit. On y voit établie la règle du doublement de la consonne avec ses nombreuses exceptions, celle de la composition de nos mots avec les prépositions latines. La loi de la configuration étymologique paraît déjà subir de notables restrictions, faites au nom de l'usage. Voici l'analyse de quelques-unes des principales remarques : « La premiere observation que la Compagnie a creu devoir << faire est que, dans la langue françoise, comme dans la pluspart « des autres, l'orthographe n'est pas tellement fixe et determinée « qu'il n'y ait plusieurs mots qui se peuvent escrire de deux « differentes manieres, qui sont toutes deux esgalement bonnes, « et quelquefois aussi il y en a une des deux qui n'est pas si « usitée que l'autre, mais qui ne doit pas estre condamnée. <<< Generalement parlant, la Compagnie prefere l'ancienne or« thographe qui distingue les gens de lettres d'avec les ignorans, « et est d'avis de l'observer par tout, hormis dans les mots où un « long et constant usage en a établi une differente. « L'ancienne orthographe peche quelquefois en lettres super<< fluës; mais il ne faut pas les appeller ainsi quand elles servent à << marquer l'origine, comme en ce mot vingt, qui s'escrit de la « sorte, encore qué leg ne se prononce point, parce qu'il vient du « latin viginti. Il n'en est pas de mesme quand l'usage a depuis << long-temps reglé le contraire: ainsi on n'orthographie plus le mot « escripre avec un p ni escripture. » du Dictionnaire de 1835, avec celle du Dictionnaire de 1694, prête une grande force aux instances de ceux qui veulent améliorer l'état de choses actuel. (1) M. Ch. Marty-Laveaux a réédité en 1863, chez le libraire J. Gay, à trois cents exemplaires, ces deux éditions en les faisant précéder d'une intéressante introduction. Suivent quelques règles sur la permutation des consonnes ou le maintien des consonnes caractéristiques, règles que l'usage a consacrées ou que l'Académie a abrogées elle-même en 1740. Cependant, le passage suivant est à noter particulièrement : il explique et justifie l'abandon des caractères étymologiques dans les mots tirés du grec et devenus d'un usage vulgaire : « Plusieurs « aussi escrivent : fantaisie, fantastique, fantasque, fantosme, << mais d'autres veulent un ph à phantaisie, qui signifie cette fa« culté de l'ame que les Latins appellent imagination; mais fan« taisie qui signifie caprice, bizarrerie, s'escrit avec f. Ce n'est pas « que les deux mots n'ayent la mesme origine, mais le dernier, à « force d'estre usité et de passer dans les mains de tout le monde, a a changé son PH grec en un F françois. » C'est ce dernier précepte qui aurait dû être appliqué plus rigoureusement dans les éditions successives du Dictionnaire. «On doit garder, ajoute le Cahier, les doubles consones aux « mots où il y en avoit dans le latin, par exemple, deux bb, deux cc, « deux dd, etc. D'autre costé, pour l'ordinaire la consone n'est pas << double dans le françois quand elle ne l'estoit point dans le latin. >>> Le Cahier, pour être conséquent avec l'exemple qu'il donne en écrivant partout consone avec un seul n, aurait dû supprimer la double lettre à persone, à sonette, à pome, etc., etc. « Les composez et les derivez suivent l'orthographe de leurs << simples. >>> Le Cahier passe ensuite en revue les prépositions latines qui entrent dans la composition des mots français. « Quand la preposition a est suivie d'un gou d'une m, ces consones ne se doublent pas, excepté pour le g les mots où il est déja double en latin. Exemples: aggreger, aggresseur, aggraver, exaggerer. Toute autre consone que gou m se double: abbatre, abbonner, abbreuver, abbreyer, abbrutir. » Il y a un certain nombre d'exceptions indiquées. << Avec la préposition ad il y a à distinguer; quelques-uns enlèvent le d, mais la meilleure orthographe le conserve. Exemples : addonner, adjoint, adjourner, adjouster, adjuger, adjuster, admettre, admirable, admiral (1), admis, admodier, admonester, (1) On a reconnu plus tard que le mot amiral vient de l'arabe émir. La préposition ad des Latins n'avait rien à faire ici. 4 addresser, advis, advocat. Quelques-uns neantmoins escrivent ENCORE (1) avis, avertissement, avertir et avocat sans d. » <<Preposition e. Devant un mot simple commençant par f, cette consone se double. Exemples: effaroucher, effeminer. Devant toute autre consone que f, on met aprés la preposition latine un s. Exemples: esbattre, esmouvoir, espleurer, espris, esrailler, estester, etc. « La preposition sous garde son s. Exemples: sousbarbe, souschantre, souslever, souspeser, souspir, soustenir, soustraire. Quelques-uns neantmoins escrivent soupir et soutenir.» Mais l'Académie, en 1740, a décidé contrairement à la plupart des règles des Cahiers de 1694. Il suffit d'indiquer quelques mots extraits des séries complètes du Cahier qu'elle a rectifiés dès sa troisième édition : appanage, appaiser, appercevoir, etc.; desboetter, desbotter, desborder, desbourser, esbattre, esbranler, escarter, qu'elle écrit les uns par un seul pet les autres sans s. Dans le Cahier on autorise cependant d'écrire deffaillir et defleurir, deffaire et defricher, et l'on remarque que quelques mots qui n'avaient pas d'h en latin en ont pris en français: <ululare, hurler; altus, haut; exaltare, exhausser; ostreum, huistre; oleum, huile; ostium, huis; octo, huit. >>> Voici ce qui est dit à l'article DU CIRCONFLEXE: «Le circonflexe mis sur une syllabe marque bien qu'elle est longue; mais ce n'est pas pour cela qu'on l'y met, c'est pour montrer qu'on y a retranché une voyelle, comme on fait en grec aux verbes et aux noms contractes (2). Par exemple, on le met en bailler, (1) L'habitude d'écrire simplement et d'essayer de figurer la prononciation plutôt que l'étymologie est plus ancienne en France que l'Académie de 1694 ne paraît le supposer, car cet usage remonte à l'époque même de nos plus anciens monuments écrits du xí, du xue et du xe siècle (Lois de Guillaume, Apocalypse, Quatre Livres des rois, etc.). Le mot appellata, que l'Académie de 1694 écrit appellée, est figuré ainsi, apeled et apelee; le tesmoignage (testimonium) est alors testimoine ou tesmoigne; les yeux, comme écrivait R. Estienne, sont des oils, etc. Il est vrai que, depuis le xive siècle, les clercs, fort épris du latin, se sont donné carrière pour saupoudrer de plus en plus leurs transcriptions de lettres étymologiques et souvent de lettres qui ne le sont pas; mais c'est à partir de la Renaissance de l'antiquité que cette fièvre d'érudition a pris son plus grand développement. Voir plus haut, p. 112. (2) Cet accent circonflexe joue encore dans notre orthographe le double rôle, de marquer la suppression d'une lettre, comme dans affût, affûtage, aîné, vous arrivátes, nous crúmes, etc., et de rendre la syllabe longue, comme dans bâche, ráiller, contractes de beailler et de riailler; à âge, blessûre, j'ay pů, ingenûment, assidûment, etc. Les novateurs de l'orthographe le veulent substituer à la place de l's muette, et escrivent tempête, béte, ôter, etc. >>> L'opinion des novateurs a prévalu, et l'Académie a même retranché l'accent circonflexe à la plupart des mots qui ont subi une contraction: railler, blessure, pu, ingénument. Elle l'a conservé à assidûment. On lit à l'article de la DIVISION: « La division se met entre deux mots qui, en effet, ne font qu'un, mais qui ne sont pas entierement joincts: comme euxmesmes, re-saler, re-sumer, francs-fiefs, cordon-bleu, grandcroix, ciel-de-lict, entre-post, etc. On la met aussi entre la troisiesme personne singuliere tant du present de l'indicatif que du futur, et le pronom personnel il et elle, et l'impersonnel on. Exemples: parle-il, mange-elle, disne-on ceans, ira-il, dira-elle, sonnera-on. C'estoit l'ancienne orthographe, dont la raison est assez connüe à ceux qui connoissent la langue françoise du quatorziesme et quinziesme siecle. Mais depuis quelques années on s'est advisé de mettre entre ces mots deux tirets et un tau milieu, de cette sorte, dira-t-il, ira-t-on. Ie voy grand nombre de gents qui s'opposent à cet usage, et disent qu'il n'y en a aucune raison, ny aucun exemple chez nos anciens. Messieurs jugeront si leur opposition est bien fondée; et chacun marquera, s'il luy plaist, ce qu'il voudroit changer, corriger, retrancher et adjouster à tout ce Traitté, tant pour le gros et pour l'ordre, que pour le détail et pour les exemples. >>> 3o Grammaire de Regnier des Marais. Dans sa Grammaire, publiée en 1706, Regnier des Marais, qu'on peut supposer avoir été le rédacteur des Cahiers, expose les mêmes principes avec plus de développements. (Voir plus loin l'analyse de cette Grammaire, p. 136.) Ainsi donc, l'Académie de 1694 procédait en matière d'orthographe, sous l'influence gréco-latine, en vue d'une conformité aussi intime que possible avec l'écriture du latin littéraire. Bien bêche, bellâtre, câlin, etc. Il y a là une source de nombreuses difficultés pour les étrangers. |