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comme intelligens, intelligent, patiens, patient, negligens, negligent, et ainsi des autres. On pourroit donc donner pour regle que tous les participes et gerondifs ont ant, que tous les adverbes et noms en mant s'escriuent ment, parce que les noms semblent uenir de quelques latins terminez en mentum, et les adverbes semblent uenir: fortement de forti mente.....

« Au reste, je ne uoudrois pas faire de remarques contre l'orthographe impertinente de Ramus, mais on peut faire uoir par cet excez l'équité de la regle que la Compaignie propose comme je le dis a la fin.....

« Le principal est de se fonder en bons principes et de bien faire connoistre l'intention de la Compaignie: qu'elle ne peut souffrir une fausse regle qu'on a uoulu introduire d'escrire comme on prononce, parce qu'en uoulant instruire les estrangers et leur faciliter la prononciation de nostre langue, on la fait mesconnoistre aux François mesmes. Si on ecrivoit tans, chan, cham, emais ou émés, anterreman, connaissais (1), faisaient, qui reconnoistroit ces mots? On ne lit point lettre à lettre, mais la figure entiere du mot fait son impression tout ensemble sur l'œil et sur l'esprit, de sorte que quand cette figure est considerablement changée tout à coup, les mots ont perdu les traits qui les rendent reconnoissables a la ueüe et les yeux ne sont point contents (2). Il y a aussi une autre ortographe qui s'attache scrupuleusement a toutes les lettres tirées des langues dont la nostre a pris ses mots, et qui ueut escrire nuict, escripture, etc. Celle la blesse les yeux d'une autre sorte en leur remettant en ueüe des lettres dont ils sont desaccoutumez et que l'oreille n'a iamais connus (sic) (3).

(1) C'est pourtant ainsi que l'on écrit ce mot aujourd'hui. (2) Je n'ai pu vérifier sur l'original la manière dont ce mot est écrit par Bossuet, et cependant son esprit logique le conduisait à écrire comme on prononce : CONTANT. Ainsi, dans le manuscrit original de Bossuet du troisième sermon tout entier que j'ai examiné, il écrit, p. 37, contanter; p. 38, contant; p. 39, contantement; p. 45, pourvu que je sois contant. Ce n'est donc pas un lapsus calami, puisque jamais dans ces mots l'a n'est remplacé par l'e. Il en est de même pour le mot atantif; ainsi on lit, p. 39 (recto), atantions et (verso) atantifs; p. 40, atantifs et atantion; p. 46, atantif; à la page 48 (verso), la raison toujours atantive et toujours constante. Ailleurs, il écrit avec un seul t: ataque, flate, frote, et sans y les mots tiran, mistere, misterieux. Dans un autre sermon, p. 17, je lis: n'est-ce pas lui qui les a assamblés ? Voir App. E.

(3) On peut aujourd'hui, grâce au progrès des études philologiques, reconnaître tout ce que cette remarque ingénieuse de Bossuet a de profond et de juste. Le ct des Latins s'était changé en français en it et non en ct; exemple: nuit, fait,

C'est la ce qui s'appelle l'ancienne orthographe uicieuse. La Compaignie paroistra conduite par un iugement bien reglé quand apres auoir marqué ces deux extremitez si manifestement uitieuses, elle dira qu'elle ueut tenir un juste milieu. Qu'elle se propose :

« 1o De suiure l'usage constant de ceux qui sçauent ecrire; « 2° Qu'elle ueut tascher de rendre autant qu'il se pourra l'usage uniforme;

« 3o De le rendre durable;

« Qu'elle a dessein pour cela de retenir les lettres qui marquent l'origine de nos mots, sur tout celles qui se uoyent dans les mots latins, si ce n'est que l'usage constant s'y oppose; que comme la langue latine ne change plus, cela servira à fixer nostre orthographe; que ces lettres ne sont pas superflües parce qu'outre qu'elles marquent l'origine, ce qui sert mesme a mieux apprendre la langue latine, elles ont diuers autres usages, comme de marquer les longues et les breues, les lettres fermées et ouuertes, la difference de certains mots que la prononciation ne distingue pas, etc. Que la Compaignie pretend retenir non seulement les lettres qui marquent l'origine, mais encore les autres que l'usage a conseruées, par ce qu'oultre qu'elle ne ueut point blesser les yeux qui y sont accoustumez, elle desire autant qu'il se peut que l'usage deuienne stable, ioint qu'elles ont leur utilité qu'il faudra marquer, etc. »

Ce juste milieu que Bossuet proposait à l'illustre Compagnie de tenir entre l'orthographe ancienne, surchargée de lettres prétendues étymologiques qui ne se prononçaient pas, et l'écriture des novateurs, purement figurative de la prononciation, est encore aujourd'hui le parti de la sagesse. L'Académie de 1694 ne s'en tint pas à ces idées; elle se jeta alors, à la suite de Regnier des Marais et des latinistes, et contrairement aux principes de Corneille et de Bossuet, dans une voie hérissée de difficultés en voulant concilier à la fois la tradition de la prononciation du français, l'usage qui tend sans cesse à simplifier, et la conformité au latin, où, à défaut d'une accentuation écrite, la duplication de la consonne semble avoir eu pour but de rendre longue la syllabe qui la précède. En transportant ainsi au français les règles de la quan

trait, étroit, réduit, conduit; allaicter, nuict, faict, étroict, etc., ne sont que de malencontreuses corrections des grammairiens du xvi siècle.

tité du latin, on s'exposerait à méconnaître profondément le génie de notre langue.

Bossuet avait pressenti cet écueil, car on trouve encore cette note de sa main :

« Il faudroit expliquer a fond la quantité francoise en quelque endroit du Dictionnaire aussi bien que l'orthographe. La principale remarque à faire sur cela, c'est que la poesie françoise n'a aucun egard à la quantité que pour la rime et nullement pour le nombre et pour la mesure; ce qui fait soupçonner que nostre langue ne marque pas tant les longues a beaucoup pres que la grecque et la latine. »

Les travaux les plus récents ont encore une fois donné raison à Bossuet en établissant qu'il n'existe pas en français de quantité métrique, c'est-à-dire mesurable, mais bien un accent tonique, placé en général sur la même syllabe qui le portait dans le mot du latin rustique dont est sorti notre idiome.

L'abbé de DANGEAU, membre de l'Académie française en 1682.

« Il y aurait, dit M. Gabriel Henry (Hist. de la langue française), de l'ingratitude à passer sous silence les services essentiels que l'abbé de Dangeau rendit à la langue en nous donnant une idée claire de ses sons originaires, en fixant irrévocablement la nature du son nasal, confondu si souvent avec les consonnes par nos anciens grammairiens, en examinant la nature des temps du verbe et en nous en faisant connaître les différentes propriétés. On regrette, pourtant, qu'il ne nous ait pas développé ses idées dans toute la suite d'un système grammatical; mais le peu qu'il nous a laissé lui assure une place distinguée parmi nos grammairiens. Ses successeurs n'ont eu qu'à le copier dans les articles qu'il a rendus publics. »

Dangeau reconnaît dans la langue française quinze voyelles ou sons simples qu'il classe ainsi :

Cinq voyelles latines : a, é, i, o, u;

Cinq voyelles françaises : ou, eu, au, è ouvert (comme dans cyprès), e muet (comme dans juste);

Cinq voyelles sourdes ou esclavones, ou nasales: an, en, in, on, un.

<< Chez les Latins, dit-il, des mots dérivés du grec sont écrits tantôt par ph et tantôt par f. Preuve certaine qu'ils ne prononçoient pas le ph comme l'f. Quand il leur est arrivé d'adoucir l'aspiration du o grec, ils ne se sont plus servis du ph. Pourquoi donc ne pas imiter les Italiens et les Espagnols, qui n'ont pas crû être obligez à garder l'ortographe latine dans les mots venus du grec, et qui écrivent teologo sans h, filosofo et Filippo par des f, etc. ? »

Tout le travail de l'abbé Dangeau, qui occupe les pages 1 à 231 des Opuscules de d'Olivet, cités au bas de cette page, mérite d'être lu avec attention : non-seulement on y trouve les vues les plus originales, les plus justes et les plus profondes sur la classification des sons du français, mais de curieux détails sur la prononciation de la fin du dix-septième siècle. Voir à l'Appendice D 'analyse de la réforme de Dangeau.

L'abbé de CHOISY, membre de l'Académie française en 1687.

En tête de son Journal de l'Académie françoise (1), il donne les explications suivantes :

« Au commencement de l'année 1696, l'Académie résolut, à la pluralité des voix, qu'on travailleroit en deux Bureaux; que, dans le premier, on reverroit le Dictionnaire, et que, dans le second, on proposeroit des doutes sur la langue, qui, dans la suite, pourroient servir de fondement à une Grammaire. Messieurs Charpentier, Perrault, Corneille (T.), et MM. les abbez de Dangeau et de Choisy promirent assiduité au second Bureau; c'est le dernier nommé (deces membres) qui se chargea de tenir la plume pendant le reste du quartier. >>>

Suivent les questions rangées par chapitres, où l'abbé de Choisy expose les diverses opinions de chacun pour et contre; il s'occupe plutôt des difficultés grammaticales proprement dites, cependant il déclare « que les caractères sont faits pour peindre les sons, et

(1) Ce journal, dont l'Académie ne voulut point permettre la publication, parce que cette société trouvait qu'il était d'un style trop libre et ressemblait trop à celui du Journal de Siam, du même auteur, a paru dans le volume publié en 1754 (par d'Olivet) sous le titre d'Opuscules sur la langue françoise, par divers académiciens, Paris, Brunet, in-12.

que, par conséquent, l'orthographe la moins imparfaite est celle qui nous expose le moins à prononcer mal. »

Voici au xixe chapitre, relatif à l'Orthographe, un récit curieux des difficultés qu'offrait ce genre de discussion dans l'Académie pour le Dictionnaire de 1694, difficultés qui se reproduisirent pour l'édition de 1740 et dont l'abbé d'Olivet nous a donné le récit.

« Un de Messieurs, rapporte de Choisy, sur la fin de la séance précédente, avoit proposé de faire quelques changemens à l'orthographe de l'Académie, et, par exemple, de mettre une s, pour plus grande uniformité, à tous les pluriels (ce que Corneille avait proposé dès 1666). Un autre, qui abhorre les changemens, a commencé aujourd'hui par nous mettre devant les yeux ces deux vers d'Athalie:

Quel est-il cet objet des pleurs que vous versez?
Les jours d'Éliacin seroient-ils menacez?

« Vous prétendez, nous a-t-il dit, qu'il est à propos que l'écriture fasse distinguer le verbe d'avec les substantifs, adjectifs et participes, ce qui sera très-aisé, lorsqu'on réservera l's pour les pluriels de tous ceux-ci, et le z pour le verbe seul. Ainsi, selon vous, il faudra écrire :

Quel est-il cet objet des pleurs que vous versez?
Les jours d'Eliacin seroient-ils menacés?

« Mais cette imagination n'est pas nouvelle, puisqu'il y a deux siècles qu'elle a été proposée, sans néanmoins que le public ait paru en faire cas. Il n'y a qu'à ouvrir les Grammaires de Ramus, de Pelletier et de bien d'autres qui s'érigèrent en réformateurs d'orthographe peu de temps après la mort de François Ier. On s'est moqué d'eux. Hé! depuis quand l'orthographe auroit-elle pour but de spécifier et de faire distinguer les parties d'oraison? Assurément, sur cent femmes qui parlent très-bien, et qui même écrivent correctement, il n'y en a pas dix qui sachent ce que c'est que participe. Versez est un verbe, menacez est un participe: donc il faut les écrire différemment? Pour moi, je ne vois ici qu'un principe qui soit également avoué, tant par ceux qui se plaisent à in

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