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Dictionnaire de l'Académie, près de 5,000 furent modifiés par ces changements.

Malgré l'importance de ces réformes, on regrette que l'Académie n'ait pas fait encore plus, puisqu'elle constate qu'en cela le public était allé plus loin et plus vite qu'elle (1); mais d'Olivet, qui reconnaît «n'avoir pu établir partout l'uniformité qu'il aurait désirée, » fut sans doute retenu par la crainte de contrarier trop subitement les habitudes. Il suffisait pour cette fois d'ouvrir la voie dans laquelle l'Académie continue d'âge en âge à perfectionner l'orthographe.

QUATRIÈME ÉDITION.

Cette édition, qui parut en 1762, se distingue particulièrement par l'addition d'un grand nombre de termes élémentaires consacrés aux sciences et aux arts; par la séparation de l'I voyelle de la consonne J et celle de la voyelle U de la consonne V, d'après l'exemple qu'en avait donné la Hollande; par la simplification de l'orthographe d'un grand nombre de mots

(1) Histoire de l'Académie françoise, par d'Olivet. C'est dans la Correspondance inédite, adressée au président Boubier (Lettre du 1er janvier 1736), qu'on trouve ces curieux détails :

« A propos de l'Académie, il y a six mois que l'on délibère sur l'orthographe; car la volonté de la compagnie est de renoncer, dans la nouvelle édition de son Dictionnaire, à l'orthographe suivie dans les éditions précédentes, la première et la deuxième; mais le moyen de parvenir à quelque espèce d'uniformité? Nos délibérations, depuis six mois, n'ont servi qu'à faire voir qu'il étoit impossible que rien de systématique partit d'une compagnie. Enfin, comme il est temps de se mettre à imprimer, l'Académie se détermina hier à me nommer seul plénipotenciaire à cet égard. Je n'aime point cette besogne, mais il faut bien s'y résoudre, car, saus cela, nous aurions vu arriver, non pas les calendes de janvier 1736, mais celles de 1836, avant que la compagnie eût pu se trouver d'accord. »

Dans sa lettre du 8 avril 1736 il écrit : « Coignard a, depuis six semaines, la lettre A, mais ce qui fait qu'il n'a pas encore commencé à imprimer, c'est qu'il n'avoit pas pris la précaution de faire fondre des É accentués, et il en faudra beaucoup, parce qu'en beaucoup de mots nous avons supprimé les S de l'ancienne orthographe, comme dans despescher, que nous allons écrire dépécher, téte, mále, etc. »

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au moyen de la suppression de lettres inutiles, et par diverses rectifications.

L'Académie expose ainsi ce qu'elle a fait :

« Les sciences et les arts ayant été plus cultivés et plus répandus depuis un siècle qu'ils ne l'étoient auparavant, il est ordinaire d'écrire en françois sur ces matières. En conséquence, plusieurs termes qui leur sont propres, et qui n'étoient autrefois connus que d'un petit nombre de personnes, ont passé dans la langue commune. Auroit-il été raisonnable de refuser place dans notre Dictionnaire à des mots qui sont aujourd'hui d'un usage presque général? Nous avons donc cru devoir admettre dans cette édition les termes élémentaires des sciences, des arts, et même ceux des métiers, qu'un homme de lettres est dans le cas de trouver dans des ouvrages où l'on ne traite pas expressément des matières auxquelles ces termes appartiennent.

....« L'Académie a fait dans cette édition un changement assez considérable, que les gens de lettres demandent depuis long-temps. On a séparé la voyelle I de la consonne J, la voyelle U de la consonne V, en donnant à ces consonnes leur véritable appellation; de manière que ces quatre lettres, qui ne formoient que deux classes dans les éditions précédentes, en forment quatre dans celle-ci; et que le nombre des lettres de l'alphabet, qui étoit de vingt-trois, est aujourd'hui de vingt-cinq. Si le même ordre n'a pas été suivi dans l'orthographe particulière de chaque mot, c'est qu'une régularité plus scrupuleuse auroit pu embarrasser quelques lecteurs, qui, ne trouvant pas les mots où l'habitude les auroit fait chercher, auroient supposé des omissions. On est obligé de faire avec ménagement les réformes les plus raisonnables.

....« Nous avons supprimé dans plusieurs mots les lettres doubles qui ne se prononcent point. Nous avons ôté les lettres, b, d, h, s, qui étoient inutiles. Dans les mots où la lettre s marquoit l'allongement de la syllabe, nous l'avons remplacée par un accent circonflexe. Nous avons encore mis, comme dans l'édition précédente, un i simple à la place de l'y partout où il ne tient pas la place d'un double i, ou ne sert pas à conserver la trace de l'étymologie. Ainsi nous écrivons foi, loi, roi, etc., avec un i simple; royaume, moyen, voyez, etc., avec un y, qui tient la place du double i; physique, synode, etc., avec un y qui ne sert qu'à marquer l'étymologie. Si l'on ne trouve pas une entière uniformité dans ces re

tranchemens, si nous avons laissé dans quelques mots la lettre superflue que nous avons ôtée dans d'autres, c'est que l'usage le plus commun ne nous permettoit pas de la supprimer. »

L'Académie crut cependant devoir abandonner dans quelques mots usuels l'y étymologique qu'elle remplaça par l'i, et, comme elle l'avait fait dès sa première édition pour cristal, · cristalliser, cristallin, etc., elle supprima l'y à chimie, chimique, chimiste, alchimie, alchimiste, qui, dans la précédente, étaient écrits chymie, chymique, chymiste, alchymie, alchymiste; l'y dans absinthe et yvroie fut avec toute raison remplacé par l'i. L'Académie supprima aussi, dans un grand nombre de mots, les th, les ph, les ch, et adopta détrôner, scolarité, scolastique, scolie, scrofule et scrofuleux, pascal (1), patriarcal, patriarcat, flegme, flegmatique, que la troisième édition écrivait encore déthrôner, scholarité, scholastique, scholie, paschal, patriarchal, patriarchat, phlegme, phlegmatique.

Ces mots flegme, flegmatique, écrits sans ph, furent donc ajoutés dans cette quatrième édition à ceux de fantôme, frénétique, etc., ainsi écrits dans la troisième édition, après avoir d'abord figuré avec ph, dans la première édition. L'Académie supprima quelques lettres doubles, comme dans les mots agrafe, agrafer, argile, éclore, poupe, etc., au lieu d'agraffe, agraffer, argille, éclorre, pouppe; et, parmi quelques autres changements, je remarque qu'au lieu de coeffe, coeffer, coeffeur, elle écrit coiffe, coiffer, coiffeur; genou, au lieu de genouil; anicroche, au lieu de hanicroche; rez de chaussée, au lieu de raiz de chaussée; spatule, au lieu de espatule, qu'elle aurait même dû écrire spathule, puisque ce mot vient de ά; mais alors on tenait moins compte de l'étymologie.

(1) On a donc lieu de s'étonner de voir l'h conservé dans anachorète, catéchumène (bien qu'à toutes les éditions antérieures l'Académie prévienne, de même qu'elle le faisait pour paschal et patriarchal, que l'h ne se prononce pas).

Profitant un peu tard des réflexions de Messieurs de PortRoyal (Arnauld et Lancelot), qui, dans leur Grammaire, avaient condamné avec raison la vicieuse épellation :

bé, cé, dé, é, effe, gé, ache, ji, elle, emme, enne, erre, esse, vé, ixe, zedde,

l'Académie, après avoir suivi dans cette quatrième édition cet. ancien mode d'épellation pour les premières lettres, se ravisant ensuite, l'indique ainsi :

fe, ge, he, je, le, me, ne, re, se, ve, xe, ze.

Cette méthode, qui n'est mise en pratique que depuis peu de temps, rend l'épellation un peu moins difficile; et, en effet, bien que nous ayons, et avec tant de peine! appris à lire, prononcerions-nous sans hésiter les mots qu'on nous a fait ainsi épeler :

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Dans cette quatrième édition, la suppression du t final au pluriel des mots (substantifs ou adjectifs) terminés en ant et ent fut maintenue, et l'Académie continua à écrire, contrairement aux deux premières éditions: les enfans, les passans, les élémens, les parens.

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C'est aussi dans cette édition que l'Académie indiqua, d'une manière bien plus complète qu'elle ne l'avait fait dans la précédente, l'orthographe des temps des verbes dont elle donna le modèle de conjugaison; ainsi au mot voir on lit je voi ou je vois, il voit, nous voyons, vous voyez, ils voyent; je voyois, etc. Il est regrettable que l'indication de cette double forme de la première personne du présent de l'indicatif ne se trouve pas reproduite dans le Dictionnaire aux autres mots, tenir, venir, vaincre, connaître, etc., ce qui aurait laissé aux

poëtes la liberté d'employer l'une ou l'autre forme, comme l'a fait si souvent Corneille pour je tien, je vien, je voi, je vinc, je cognoi (1). Cette orthographe, conforme à la conjugaison latine, video, - es, - et, permet de distinguer la première personne de la deuxième du présent de l'indicatif, je vien, tu viens, il vient, et cela d'accord avec le vieux français et les anciennes grammaires françaises, celles des Estienne entre autres, où l's n'existe pas à la première personne du singulier du présent de l'indicatif de nos verbes.

CINQUIÈME ÉDITION.

Publiée en dehors du concours de l'Académie, l'édition citée quelquefois comme la cinquième n'a point été cependant reconnue officiellement. Et, en effet, bien que le titre porte: Dictionnaire de l'Académie françoise, revu, corrigé et augmenté par l'Académie elle-même, cette CINQUIÈME édition ne fut point donnée par l'Académie; elle ne parut qu'en vertu d'une LOI dutée du premier jour complémentaire de l'an III de la République françoise (1795), portant que : l'Exemplaire du Dictionnaire de l'Académie françoise, chargé de notes marginales, sera publié par les libraires Smith, Maradan et compagnie.

Et l'article III porte : « Lesdits libraires prendront avec les << Gens-de-Lettres de leur choix les arrangements nécessaires << pour que le travail soit continué et achevé sans délai (2). »

(1) On en trouve des exemples dans La Fontaine, Racine, Molière et même dans Voltaire :

La mort a respecté ces jours que je te doi,

Pour me donner le temps de m'acquitter vers toi. (Altire, II, 2.)

Je trouve aussi quelquefois dans sa correspondance pui-je.

(2) Garat, dans la préface dont il fut le rédacteur, dit : « Il y avoit trois Académies à Paris : l'une consacrée aux Sciences; l'autre aux recherches sur l'Antiquité; la troisième à la Langue Françoise et au Goût. Toutes les trois ont été accusées d'aristocratie, et détruites comme des institutions royales nécessairement dévouées à la puissance de leurs fondateurs. »

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