pour tels. Le courtisan aux mots douillets nous couchera de ces paroles, reyne, allét, tenét, venét, menét: comme nous vismes un des Essars, qui, pour s'estre acquis quelque reputation par les huit premiers livres du roman d'Amadis de Gaule, en ses dernieres traductions de Josephe et de Dom Flores de Gaule, nous servit de ces mots, amonester, contenner, sutil, calonnier, aministration. Ni vous ni moy (je m'asseure) ne prononcerons, et moins encores escrirons ces mots de reyne, allét, tenét, venét, et menét, ains demeurerons en nos anciens qui sont forts, royne, alloit, venoit, tenoit, menoit. Et quant à mon particulier, des à present, je proteste d'estre resolu et ferme en mon ancienne prononciation, d'admonnester, contemner, subtil, calomnier, administrer. En quoy mon orthographe sera autre que celle de des Essars, puis que ma prononciation ne se conforme pas à la sienne. Peletier, en son dernier livre de l'Orthographe et prononciation françoise, commande d'oster la lettre G des paroles esquelles elle ne se prononce, comme en ces dictions, signifier, regner, digne; quant à moy je ne les prononçay jamais qu'avecques le G. En cas semblable Meigret, en sa Grammaire françoise, escrit, pouvre et sarions; d'autant que vray-semblablement sa prononciation estoit telle, et je croy que celuy qui a la langue françoise naïfve en main, prononcera, et par consequent escrira pauvre et sçaurions. A tant puis que nos prononciations sont diverses, chacun de nous sera partial en son escriture. La volubilité de la langue est telle, qu'elle s'estudie d'addoucir, ou pour mieux dire, racourcir ce que la plume se donne loy de coucher tout au long par escrit. Et de fait, n'estimez pas que les Romains en ayent usé autrement que nous: car quand je ly dans Suetone qu'Auguste fust du nombre de ceux qui pensoient qu'il falloit escrire comme on prononçoit, je recueille que l'escriture ne symbolizoit (sic) en tout au parler, ains qu'Auguste, par une opinion particuliere, telle que la vostre, estoit d'un advis contraire à la commune, toutesfois si ne le peut-il gaigner: d'autant que du temps mesmes de Neron, Quintilian nous enseigne que l'on escrivoit autrement qu'on ne prononçoit..... >> ..... La lettre de Pasquier se termine ainsi : « A quel propos donc tout cela? Non certes pour autre raison, sinon pour vous monstrer qu'il ne faut pas estimer que nos ancestres ayent temerairement orthographié, de la façon qu'ils ont faict, ny par consequent qu'il falle (sic) aisément rien remuer de l'ancienneté, laquelle nous devons estimer l'un des plus beaux simulachres qui se puisse presenter devant nous, et qu'avant que de rien attenter au prejudice d'icelle, il nous faut presenter la corde au col, comme en la republique des Locriens: et à peu dire que tout ainsi qu'anciennement en la ville de Marseille ils executoyent leur haute justice avec un vieux glaive enroüillié, aymans mieux user de celuy-là que d'en rechercher un autre qui fust franchement esmoulu, aussi que nous devons demeurer en nostre vieille plume. Je ne dy pas que s'il se trouve quelques choses aigres, l'on n'y puisse apporter quelque douceur et attrempance, mais de bouleverser en tout et par tout sens dessus dessous nostre orthographe, c'est, à mon jugement, gaster tout. Les longues et anciennes coustumes se doivent petit à petit desnoüer, et suis de l'opinion de ceux qui estiment qu'il vaut mieux conserver une loy en laquelle on est de longue main habitué et nourry, ores qu'il y ait quelque defaut, que, sous un pretexte de vouloir pourchasser un plus grand bien, en introduire une nouvelle, pour les inconveniens qui en adviennent auparavant qu'elle ait pris son ply entre les hommes. Chose que je vous prie prendre de bonne part, comme de celuy, lequel, combien qu'il ne condescende à vostre opinion, si vous respecte-t-il et honore pour le bon vouloir qu'il voit que vous portez aux bonnes lettres. A Dieu. » HENRI ESTIENNE. Traicté de la conformité du language françois auec le grec (sans lieu ni date, mais Genève, 1565), pet. in-8 de 16 ff. prél. et 159 pp.; Paris, Rob. Estienne, 1569, pet. in-8 de 18 ff. prél. et de 171 pp.; nouvelle édit., accomp. de notes, et précéd. d'une étude sur cet auteur, par L. Feugère. Paris, Delalain, 1853, in-8 de ccxxxvi et 223 pp. Deux dialogues du nouveau langage francois italianizé, et autrement desquizé, principalement entre les courtisans de ce temps (Genève, 1578), pet. in-8 de 16 ff. prél. et 623 pp.; Anvers, Guill. Niergue, 1579 et 1583, in-16. Proiet du liure intitulé DE LA PRECELLENCE DU LANGAGE FRANÇOIS. Paris, Mamert Patisson, 1579, pet. in-8 de 16 ff. et 295 pp.; nouvelle édit. accomp. d'une étude sur cet auteur et de notes, par L. Feugère. Paris, Delalain, 1850, in-8 de XLIV et 400 pp. - Hypomneses de gallica lingua peregrinis eam discentibus necessariæ; quædam vero ipsis Gallis multum profuturæ. (Genevæ), 1582, pet. in-8 de 6 ff. prél., 215 et 11 pp. Quoique Henri Estienne, fils de Robert, par la disposition hellénique de son esprit (1) et sous l'influence de ses études, ait en général rapproché l'orthographe française de l'orthographe grecque, il reconnaît la nécessité de simplifier notre écriture. Dans son Traité de la conformité du language françois avec le grec, p. 159, il termine ainsi l'avis au lecteur : << l'ay aussi vn mot à dire touchant l'orthographe de ce liure : « c'est que ie ne l'approuue pas du tout comme elle est: ains que << ma deliberation estoit de faire tailler quelques poinçons expres << pour les lettres superflues quant à la prononciation, et toutesfois << characteristiques. Mais ayant eu le temps trop court pour ce <<< faire, i'ay remis telle entreprise iusques à l'autre liure françois << promis ci-dessus : lequel surpassera ma promesse... s'il plaist à « Dieu me prester la vie encores quelques mois. » La multiplicité des travaux de Henri lui aura fait ajourner ce projet, car toute trace de ce passage a disparu dans les réimpressions de ce livre. Je leregrette, carje ne doute pas qu'il ne s'agisse ici de modifier le ch, ph, th, st helléniques, qu'il eût ramenés à des formes simples comme χ, φ, θ, ς. Ce docte imprimeur a compris, mieux qu'on ne l'a fait de son temps, le mode de formation des mots que le français emprunte aux langues anciennes. Il a bien vu que blámer et blasphémer sont un même mot (βλασφημεῖν), l'un sous sa forme française, l'autre sous la forme grecque. Bien qu'il ait fixé l'origine des mots suivants, il admet par renvoi seulement l'orthographe rigoureusement étymologique ainsi indiquée par lui dans la troisième colonne : caresser. de χαρίζεσθαι. .. cédule. (1) Son père lui fit apprendre le grec avant le latin. charesser Dans les mots dérivés du latin, il propose la suppression de certaines lettres muettes, abusivement employées de son temps sous couleur d'étymologie. Telles sont I dans chevaulx, animaulx, aulcun, maulx. «Notre au, dit-il, tient lieu du al primitif. Mais il faut conserver cet I dans coulpe (culpa), poulpe (aujourd'hui pulpe, de pulpa). » Comme Ronsard et autres, il écrit aureilles. On voit par ces exemples quel esprit de sage critique et de fine observation philologique avait su déployer déjà le savant helléniste typographe qui nous a laissé, dans ses Dialogues du nouveau langage françois italianizé, un document si curieux pour l'histoire du français et un si brillant témoignage d'une érudition spirituelle et de bon aloi. JEAN-ANTOINE DE BAÏF. Etrénes de poézie fransoęze an vers mezurés. Paris, Denys du Val, 1574, pet. in-4, de 16 ff. non chiff. et 20 ff. chiff. L'insuccès de ses devanciers ne rebuta pas ce poëte. Dans son système de l'orthographe il est plus novateur que Ramus, auquel il n'emprunte que ses lettres avec cédille (c, l, n). Il distingue trois e: bref (muet), long (ouvert), qu'il figure par un e avec cédille (4), (1) C'est ainsi que ce mot devrait être écrit. (2) Il écrit avec raison ostruche, ὁ στρουθός. Il écrit troter, raptasser, qu'il fait venir de ῥάπτειν; utilisant le z, il écrit gargarizer, ozeille, pezer, pindarizer, riz; il écrit mistère sans y, et sifter, que l'étymologie erronée qu'il invoque, σιφλοῦν, aurait dû lui faire écrire avec ph. (3) Il blâme dans cette orthographe la suppression, à contre-sens; de l'i. (4) Notre diphthongue ai est considérée par lui comme e long. et commun (fermé) représenté par un e avec une apostrophe. Partant du principe que chaque son devrait être représenté par un signe particulier, il substitue aux diphthongues ou triphthongues œu ou eu, ou et au et eau, de nouveaux caractères inventés par lui. Le premier est une dont le trait se prolonge de manière à former un v; le second ressemble au 8 grec (1); le troisième n'est que la lettre a modifiée de la même façon que l'e dans le cas précédent. Le c dur est remplacé par le k, et les consonnes h muet, qet x sont proscrites comme inutiles. Il est supérieur à Ramus en ce qu'il remplace partout em, en, par an. Il supprime comme lui les lettres doubles qui ne se prononcent pas; mais, pour les syllabes finales, il est moins phonographe que Ramus, et, sans faire, comme lui, disparaître la marque du pluriel, il se borne à remplacer l'e muet final par une apostrophe, lorsque le mot suivant commence par une voyelle. Ce qu'il y a de curieux dans son système, c'est qu'il écrit d'un seul mot les adverbes composés de plusieurs membres, mais exprimant une seule idée, comme ojsrdui (aujourd'hui), tsdemème (tout de même), tstalantor (tout à l'entour), sansèsse (sans cesse). Il écrit duk d'Alanson, egzakte ekriture, élémans, anploiér, ko mansant. A la fin de sa préface, il promet au lecteur un Avertisemanttant sur la prononsiasion fransoeze (2) ke sur l'art métrik, qui n'a point paru. HONORAT RAMBAUD, maistre d'eschole à Marseille. La declaration des abus que l'on commet en escriuant, et le moyen de les euiter et representer nayuement les paroles : ce que iamais homme n'a faict. Lyon, Iean de Tournes, 1578, pet. in-8, de 351 pp. L'auteur de cet ouvrage, en créant, au grand étonnement de l'œil et sans grand profit pour la lecture, un alphabet de sa façon, où toutes les lettres sont changées, s'est efforcé de donner une (1) Dans les idées phonographiques c'est une heureuse innovation. La voyelle que nous faisons figurer par le double signe ou, et qui n'est qu'un son simple, est représentée dans toutes les langues de l'Europe, excepté le grec, par un seul signe. (2) A son époque l'oi se prononçait comme oè. |