GODARD. bien dire aussi : il demeure en nostre maison. Mais neammoins la premiere façon de parler me samble plus nayue et plus douce, comme il se pourra peut-être montrer en vn autre androit. Mais outre cela il se prand aussi quelquefois pour cette dictio françoise pour. Car quand nous disons, à dire vrai, à prandre l'affaire de bon biais, c'êt à dire, pour dire vrai, pour prandre l'affaire de bon biais. Nous le mettons ancore bien souuant au lieu de la preposition auec, comme quand nous disons: c'et un fruit qu'il faut cueillir à la main, on le court à toute force, c'êt à dire, cueillir auec la main, on le court auec toute force. Sa derniere signification, c'êt qu'il êt verbe comme j'ai dit. Car il signifie cette troisiéme personne habet, comme en cet example: Pierre a le liure que vous cherchez. Mais au reste il suit la premiere personne au singulier, et la troisième personne au pluriel du preterit indefini de nos verbes, que nous pouuons appeller aoriste, à la façon des Grecz, empruntant ce terme-là d'eux. Je parle des verbes qui font leur infinitif en er; car il faut dire, j'aimé, tu aimas, il aima, nous aimâmes, vous aimâtes, ilz aimerent, et non pas, j'aima, ilz aimarét. Neammoins qui voudra pourra bien aussi, ce me samble, ecrire, j'aimai. Quant à ces autres voix, nous aimissions, vous aimissiez, qui sont du même verbe, c'êt ainsi qu'il faut dire, à mon auis, plutôt que, aimassions, aimassiés (1), qui au hasard pourroient être tolerables. Toutefois ne les condannat pas, ie ne veux pas aussi les absoudre. »> L'F françoise. « Voici la pauure déualisée, qui se plaind, et qui a iuste cause de se plaindre du tort qu'on luy fait, de lui ôter ce qui luy appartient. Mais ce qui la fâche ancore dauantage, c'êt que ce tort là, qu'on luy fait, viêt d'un autre tort precedant, qu'elle souffre auec impatiance, pource que il touche à sa reputation. Et tout ce mal luy viet, à cause qu'on lui impute la faute d'autruy, ayat êté condamnee sans être ouye. Mais le bon droit de sa cause luy conseille d'être appellante de la sentance que l'vsage à randue contre elle et de releuer son appel au siege de la Raison, où sans doute les griefs que luy (1) Cette observation ne manque pas de justesse. Quoi de plus fâcheux que l'existence de ces imparfaits du subjonctif en assions, assiez, que.nos grammairiens nous enjoignent d'employer, et dont personne n'ose se servir, ni dans le discours, ni dans les livres, afin de ne pas blesser les oreilles délicates. — GODARD. fait l'vsage luy doiuent être reparez. C'êt un tort manifeste qu'on luy fait de la priuer de ses droitz, et de luy ôter ce qui luy appartient, sous couleur qu'on luy veut faire accroire qu'elle n'êt pas capable d'en iouyr, la chassant de chez elle, et mettant des etrangers en sa maison. Car à toute heure l'vsage la chasse de sa place, et met un P et vne H en son lieu, par toutes les dictions gréques, desquelles nous nous seruons. C'êt un abus en nôtre langue, qui proviêt de l'example et de l'imitation des Latins, qui en ce voyagelà nous seruent de mauuais guides, et nous détournent du grand chemin. Quelque artifice que la langue latine puisse auoir iamais eu par l'industrie de ses orateurs et bien disans, si êt-ce pourtant que la nôtre en cet androit la passe beaucoup par sa douceur naturelle. Car les Romains n'ont iamais eu, comme nous auons, aucune lettre qui ait peu exprimer seule la nayueté et la douceur du des Grecz. Cette difficulté là les a long tans tenus en peine de chercher le moyen d'y paruenir. Mais ilz n'en sont iamais venus à bout. Car ce seroit bien se tromper, de croire que l'F latine ait le son du . Si cela eût été, les Romains n'eussent pas manqué d'amployer et de mettre en besogne leur F, laquelle êt de son naturel si rude et si âpre, qu'il n'y a point de lettre qui le puisse être dauantage. Quintilians'en plaind bien fort (1): d'autant que ce n'êt pas vne voix, mais plutôt vn sifflemant qu'on pousse et met dehors à trauers les dantz, que les Romains tenoient serrées en faisant ce soufflemant ou ce sifflemant, comme des serpans ou des oyes. Voilà pourquoi, a mon auis, Ciceron dit que c'êt vne lettre fort deplaisante. Cette F romaine, dont le son êt si desagreable et si sifflant, êtant toute éloignée de la douce voix du ♣, et n'ayant rien de commun ni de samblable auec luy, n'a iamais osé se presanter pour le represanter. Les anciens Latins voyant cela, et qu'il n'y auoit aucune correspondance de l'vne à l'autre, ne peurent trouuer aucune lettre chez eux, plus approchante du que leur P occasion qu'ilz l'amployerent au commancemant au lieu (1) Quintilien, après avoir regretté l'absence en latin des lettres grecques et v, s'exprime ainsi : « Quæ si nostris literis (ƒet u) scribantur, surdum quiddam et barbarum efficient, et velut in locum earum succedent tristes et horridæ quibus Græcia caret. Nam et illa quæ est sexta nostratium (ƒ) pæne non humana voce, vel omnino non voce potius, inter discrimina dentium efflanda est; quæ etiam cum vocalem proxima accipit, quassa quodammodo, utique` quoties aliquam consonantem frangit, ut in hoc ipso frangit, multo fit horridior. » (Inst. orat., XII, 10, 28, 29.) dv, et disoient, tropæum, triompus. Mais il êt vrai que c'etoit cette lettre latine qui approchoit le plus du : neanmoins elle en êtoit toûiours si loing qu'elle ne pouuoit pas l'approcher. Cela fut cause que, l'oreille s'offansant d'une telle pronontiation, qui n'auoit aucune iuste proportion ni conuenance auec la gréque, les Romains furent contraintz d'ajoûter une H à leur P, pour represanter par ce moyen, le mieux qu'ilz pouuoient, la force et la pronontiation du ; ce que Ciceron fut luy-même forcé de faire, comme les autres, se laissant amporter à l'vsage, qui étoit appuyé sur la douceur de la pronontiation et sur le iugemant de l'oreille. Nôtre vulgaire suyuãt cette façon romaine s'êt fouruoyé, prenant vn long détour, au lieu du grand chemin plus court et plus assuré. Car puisque nótre F êt toute douce, qu'elle a le son du des Grecz, et rien de l'âpreté de l'F latine, nous deuons nous en seruir aux mots grecz, et non pas du P et de l'H, à l'example des Romains, duquel nous n'auons que faire. On ne doit iamais mandier d'autruy ce qu'on a dans la maison. C'êt manque de iugemant ou pure moquerie aux sains de chercher guerison et aux riches d'amprunter. Quant à moi, c'êt bien mon auis que l'F françoise soit reintegree dans tous les lieux et dans toutes les places gréques desquelles le P et l'H l'ont chassee par voye de fait, sous la faueur de l'vsage, qui, pour ce faire, leur a preté main forte. Ce sera chose plus gratieuse que nôtre ortografe soit françoise; il nous sera plus commode d'écrire vne lettre que deux; et sera plus raisonnable de randre à nôtre P ce qui luy appartient. Voila pourquoy nous la deuons remettre et rétablir en ses droitz, puisque la bienseance le requiert, la commodité le persuade et la raison l'ordonne. Ie croi qu'ainsi le prononceroit l'equité, même par la bouche des peuples les plus etrangers. Car qui a l'eil capable de iuger du blanc et du noir, il a l'esprit capable de prandre connoissance et de iuger du tort qu'on fait à nôtre F, tant il êt manifeste et palpable. A plus forte raison doit-elle obtenir sa reintegrande, par le iugemant de la France, puisque la raison y êt, et puisque la France êt si obligee à cette F-ci, qu'antre toutes les lettres qui luy ont donné un nom si glorieux, c'êt sa principale marraine. Sa douce nayueté, qu'elle prete à l'F latine, lorsque nous prononçons le latin, en adoucit beaucoup ce langage-là, qui n'a pas de luy-même vne pronontiation si douce, pour le regard de cette lettre-ci, ni en tout et par tout vne voix si douce que le nôtre, pour le regard du general. C'êt bien vne mauuaise fortune à nôtre F, qu'elle adoucit celle des Latins, et cepandant son malheur vient de l'F latine tandis qu'on pratique en la nôtre iniustemant, ce qui êt raisonnable en l'autre, et tandis que la nôtre luy tandant du bien auec la main droite, l'autre luy rand du mal avec la main gauche. Mais au moins la pauurette a cette consolation en son infortune, que l'F latine, qui êt cause qu'à tous coûs elle êt mise hors de sa maison, êt elle-même à toute heure bannie de son pays. Car son apreté la rand si odieuse à ceux de sa langue même, aussi bien qu'aux autres peuples, qu'ilz la chassent et bannissent à tout propos. Car les Romains les premiers, annuyez de sa dureté farouche, l'ont chassée de plusieurs motz, comme de ceux-ci fordeum et fœdus; car au bout d'un tans ilz aimerent mieux dire, hordæum et hædus. Autant'en ont fait les Espagnols et les Gascons, qui presque en toutes les dictions qu'ilz tiennent des Latins ont chassé l'F dehors, et mis l'H en son lieu, comme fait aussi quelquefois la langue françoise, même en ce mot hors, qui vient de foris; étant iugé par la voix commune de tous les peuples, que l'aspiration êt beaucoup plus douce que l'F latine. Mais ayant fait elle seule toute la faute, elle fait pourtant souffrir à la nôtre grand'part de sa punition.» Charles SOREL, auteur de la Bibliothèque françoise, semble s'être prononcé pour la réforme dans le passage suivant du livre V de l'Histoire comique de Francion, Paris, 1622, in-8. La scène se passe chez un libraire de la rue Saint-Jacques, où se réunissent quelques poëtes du temps pour lire leurs vers et discuter sur les principes de la langue poétique. «Ils vinrent à dire beaucoup de mots anciens, qui leur semibloient fort bons et très-utiles en notre langue, et dont ils n'osoient pourtant se servir, parce que l'un d'entre eux, qui étoit leur coryphée (Malherbe), en avoit défendu l'usage. Tout de même en disoient-ils beaucoup de choses louables, nous renvoyant encore ce maître ignare dont ils prenoient aussi les œuvres à garant, lorsqu'ils vouloient autoriser quelqu'une de leurs fantaisies. Enfin il y en eut un plus hardi que tous, qui conclut qu'il falloit mettre en règne, tous ensemble, des mots anciens que l'on renouvelleroit, ou d'autres que l'on inventeroit, selon que l'on connoîtroit qu'ils se roient nécessaires; et puis, qu'il falloit aussi retrancher de notre orthographe les lettres superflues, et en mettre en quelques lieux de certaines mieux convenantes que celles dont on se servoit; car, disoit-il, sur ce point, il est certain que l'on a parlé avant que de sçavoir écrire, et que, par conséquent, l'on a formé son écriture sur sa parole, et cherché des lettres qui, liées ensemble, eussent le son des mots. Il m'est donc avis que nous devrions faire ainsi, et n'en point mettre d'inutiles; car à quel sujet le faisons-nous? Me direz-vous que c'est à cause que la plupart de nos mots viennent du latin? Je vous répondrai que c'est là une occasion de ne le suivre pas il faut montrer la richesse de notre langue et qu'elle n'a rien d'étranger. Si l'on vous faisoit des gants qui eussent six doigts, vous ne les porteriez qu'avec peine et cela vous sembleroit ridicule. Il faudroit que la nature vous fît à la main un doigt nouveau ou que l'ouvrier ôtât le fourreau inutile; regardez si l'on ne feroit pas ce qui est le plus aisé. Aussi, parce qu'il n'est pas si facile de prononcer de telle sorte les mots que toutes leurs lettres servent, que d'ôter ces mêmes lettres inutiles, il est expédient de les retrancher. En pas une langue vous ne voyez de semblable licence, et, quand il y en auroit, les mauvais exemples ne doivent pas être suivis plus que la raison. Considérez que la langue latine même, dont, à la vérité, la plupart de la nôtre a tiré son origine, n'a pas une lettre qui ne lui serve. » De l'Orthographe françoise, à la fin de l'ouvrage intitulé : Le Grand Dictionnaire des rimes françoises selon l'ordre alphabetique (dissertation attribuée à Pierre de la Noue, Angevin). Geneve, Matthieu Berjon, 1623, pet. in-8. 'L'auteur est un néographe modéré. «Ie sçay, dit-il, qu'il semblera à beaucoup trop audacieuse entreprise de blasmer ce que la plus part trouuent bon. » Il n'a pas l'intention de condamner purement et simplement notre orthographe, mais de « l'étaler à la vue » en en notant les défauts, de façon que chacun en soit juge. Il ne doute pas que, si l'on se décidait à une réforme aussitôt qu'on aurait reconnu le besoin que notre écriture en a, en peu de temps nous écririons « plus proprement et plus brièvement». Ce serait au grand bénéfice de nos voisins, qui, apprenant notre langue artificiellement, la parleraient comme nous la parlons et |