Dans quelle proportion les notes marginales, œuvre de l'Académie, figuraient-elles dans cette révision, on l'ignore; l'exemplaire original n'a pas été conservé, mais la majeure partie des additions sont dues à Selis et à l'abbé de Vauxelles, auxquels fut adjoint un correcteur habile, Gence. Cette édition parut en 1795 : elle fut donc revue et imprimée en trois ans. On aurait pu croire qu'à cette époque, où l'Académie par son absence laissait toute liberté aux améliorations orthographiques, les concessionnaires en auraient largement profité en vue de faciliter l'éducation publique; mais, par ces changements trop apparents, le prestige attaché au nom de Dictionnaire de l'Académie eût été amoindri; et comme cette entreprise faite sans son aveu avait en vue plutôt un but commercial que littéraire, les éditeurs, pour mieux lui conserver son caractère, crurent devoir ne rien innover, et rejetèrent à la fin en appendice « les mots ajoutés à la langue par la Révolution et la République ». Je ne vois donc, quant à l'orthographe, que quelques mots, tels qu'analise, analiser, analitique, où l'y ait été remplacé par l'i, et dès lors l'imprimerie adopta cette orthographe; mais du moment où l'y fut rétabli par l'Académie dans sa sixième édition, il reparut dans toutes les impressions, de même qu'il disparaîtra, si l'Académie croit devoir lui substituer l'i dans l'édition qu'elle prépare. SIXIÈME ÉDITION. Dans sa SIXIÈME édition, publiée en 1835, l'Académie, se déjugeant elle-même, ne sanctionna plus la suppression du final au pluriel des mots dont le singulier se terminait en ant et en ent, et, après une discussion approfondie, elle crut devoir rétablir au pluriel le t à tous les mots d'où elle l'avait fait disparaître dans les deux précédentes éditions. En écrivant dès lors amants, éléments, parents, passants, et non amans, élémens, parens, passans, toute confusion avec l'écriture des mots dont le singulier est en an, comme artisans, charlatans, paysans, passans, etc., cessait, et l'orthographe des féminins pluriels paysannes et amantes ne pouvait offrir d'équivoque. Tronquer ainsi au pluriel la finale du singulier, c'était contrevenir à la règle grammaticale qui forme le pluriel par l'addition de l's. Malgré le besoin de simplifier l'écriture, ce retour à un ancien principe, qui nécessitait cependant une addition considérable de lettres, fut accepté, bien qu'il contrariât les habitudes déjà prises il était logique. Toutefois je dois dire que quelques auteurs et imprimeurs maintiennent encore la suppression du t; tant on a de peine à ajouter des lettres, tant la tendance à les supprimer est caractéristique. C'est dans cette sixième édition qu'une innovation importante fut enfin admise par l'Académie : la substitution de l'a à l'a dans tous les mots où l'o se prononçait a. L'Académie suivit en cela l'exemple donné par Voltaire (1). Cette modification, qui s'étendit sur un grand nombre de mots, fut accueillie du public avec reconnaissance, malgré l'opposition opiniâtre de Chateaubriand, de Nodier et de quelques académiciens. Maintenant que cette orthographe a prévalu, oserait-on écrire ou même regretter j'aimois, il étoit, qu'il paroisse? (1) Corneille faisait rimer cognoistre, connoître, reconnoistre, reconnoître, avec naître, renaître, traitre, et paroistre avec estre. Vingt-six ans avant l'apparition du Dictionnaire de l'Académie, on lit dans la première édition de l'Andromaque de Racine, acte III, sc. 1, ces vers: M'en croirez-vous? lassé de ses trompeurs attraits, Au lieu de l'enlever, Seigneur, ie la fuirais, où l'o est remplacé par l'a dans fuirais, innovation à laquelle Racine crut devoir renoncer, puisque, sept ans plus tard (en 1675), il corrigeait ainsi ce vers, pour se conformer à l'usage: Au lieu de l'enlever, fuyez-la pour jamais. Les améliorations dans cette édition ne se bornèrent pas à ces deux grands changements dans l'orthographe; l'uniformité de la prononciation depuis un siècle permit de régulariser en grande partie l'emploi des accents et de supprimer beaucoup de lettres effacées dans la prononciation; l'écriture des dérivés devint plus conforme à celle de leurs simples (1); enfin l'Académie, en réunissant, par l'introduction des tirets ou traits d'union, les mots ou locutions adverbiales, tenta de remédier à l'inconvénient de laisser séparés des mots qui, lorsqu'ils sont isolés, offrent un sens tout autre que celui qu'ils acquièrent par leur union. Mais, durant les soixante-treize années d'intervalle entre la quatrième et la sixième édition, que de changements opérés en France! Un nouvel ordre de choses était né, et, pour refléter les passions de la tribune et de la presse, le langage avait vu son domaine s'accroître de locutions inconnues aux grands auteurs du xvn° siècle, à Rousseau, à Voltaire luimême. En législation, en économie sociale, en administration, tout était transformé, et, dans l'ordre matériel, de grands progrès s'étaient accomplis. Chaque mot concernant la juris, prudence, la politique, les sciences et les arts, exigeait une révision scrupuleuse ou un examen attentif. L'Académie ne devait donc admettre qu'avec prudence et après de longues discussions des néologismes qui pouvaient n'être qu'éphémères. Sous la direction successive des secrétaires perpétuels, MM. Raynouard, Auger, Andrieux, Arnault, Villemain, fut accompli ce grand travail, qui ne dura pas moins de quinze années. On ne s'en étonnera pas, si l'on songe aux difficultés que présentait la définition de certains mots, tels que Liberté, (1) Psaume au lieu de pseaume, incongrument au lieu d'incongruement, dégrafer au lieu de dégraffer, et souvent et par une fâcheuse rectification, charriage, charrier et charrette, qui, dans les précédentes éditions, s'écrivaient chariage et charier, comme chariot, etc. Droit, Constitution, qui chacun ont occupé quelquefois toute une séance de l'Académie entière, devant laquelle chaque mot, rédigé d'abord par une commission nommée dans son sein, était discuté ensuite, entre MM. de Pastoret, Dupin, Royer-Collard, de Ségur, Daru, etc., pour tout ce qui concerne la jurisprudence ou la législation, l'administration ou la diplomatie; Andrieux, Villemain, de Féletz, Campenon, Lacretelle, Étienne, Arnault, etc., pour tout ce qui tient à la grammaire et à la délicatesse de la langue; Cuvier, Raynouard, de Tracy, Cousin, Droz, etc., pour toutes les matières de science, d'érudition et de philosophie. Indépendamment des ressources que lui offrait la variété des connaissances de tant d'hommes supérieurs, l'Académie eut souvent recours aux membres les plus distingués des autres Académies, tels que Biot, Fourier, Thenard, Arago, pour la révision d'articles qui sortaient de ses attributions spéciales. Mais ce mouvement général des esprits eut une influence très-marquée et, on peut le dire, regrettable sur l'orthographe et l'intégrité même du français. Dans les sciences d'observation, physique, chimie, botanique, zoologie, nosologie, tout était renouvelé; leur classification et leur nombreuse nomenclature exigeaient un accroissement et une création de termes nouveaux, pour lesquels la littérature grecque offrait, dans son vaste domaine scientifique, une mine inépuisable. Ce fut donc à la langue grecque, dont la flexibilité et la richesse se prêtaient si bien à la composition des mots destinés à exprimer ces nouveaux besoins, que l'on dut naturellement recourir pour forger et souder cette multitude de termes spéciaux. Par ce moyen, une définition qui eût exigé en français une longue périphrase se trouvait concentrée en un seul mot; mais, comme ces composés n'étaient intelligibles qu'à ceux qui savaient le grec, ils défrancisaient notre langue. Sous l'impression de cet envahissement archéologique, l'Académie, dans sa sixième édition, eut un moment d'hésitation, et tenta même, pour trois ou quatre mots d'origine grecque, déjà surchargés de consonnes, d'y ajouter encore une h: rythme devint rhythme, aphte devint aphthe, phtisie devint phthisie, et diphtongue (que Corneille et l'Académie elle-même écrivaient toujours ainsi) devint diphthongue; synecdoque, ainsi écrit dans la quatrième édition, devint synecdoche. Cet essai malheureux, qui partait d'un principe contraire au génie de notre langue, fut généralement réprouvé, et ne servit qu'à mieux démontrer la tendance de l'écriture française, du moins pour les mots usuels, à se rapprocher des formes de notre ancienne. langue, antipathique à l'appareil scientifique des ph et des th. Une distinction devrait donc s'établir entre les termes d'un ordre purement scientifique, qui, par leur nature même, conviennent à des ouvrages spéciaux (1), et les mots qui, quoique savants, sont indispensables à la langue usuelle dont ils font partie. Tout en éloignant l'idée de rien changer à la nomenclature purement scientifique (excepté le ph qui serait si bien remplacé par notre'f), et en reconnaissant l'utilité des composés grecs où se complaisent les adeptes, on désirerait que, du moment où un mot a servi comme une monnaie nationale à la circulation journalière, il n'apparût au Dictionnaire de l'Académie que revêtu de notre costume : l'Usage, en lui donnant le droit de cité, l'a rendu français. Après avoir successivement supprimé dans un si grand nombre de mots les lettres étymologiques et introduit d'importantes modifications dans les signes orthographiques, l'Académie jugera peut-être le moment venu d'imiter (et sa tâche serait bien moindre) l'exemple que ses prédécesseurs lui ont donné, surtout dans leur troisième édition. La liste des mots où pourraient s'opérer ces modifications n'est (1) Tel est le Dictionnaire de Nysten, continué par MM. Littré et Robin. Il suffit de jeter un coup d'œil sur les mots qui le composent pour reconnaître qu'ils n'ont rien de français. |