point aussi considérable qu'on serait tenté de le croire. L'usage si fréquent que j'ai dû faire, et que j'ai vu faire sous mes yeux, dans ma longue carrière typographique, du Dictionnaire de l'Académie, m'a permis d'apprécier quels sont les points qui peuvent offrir le plus de difficultés. J'ai cru de mon devoir de les signaler. L'Académie rendrait donc un grand service, aussi bien au public lettré qu'à la multitude et aux étrangers, en continuant en 1868 l'œuvre si hardiment commencée par elle en 1740 et qu'elle a poursuivie en 1762 et en 1835. Il suffirait, d'après le même système et dans les proportions que l'Académie jugera convenables : 1o De régulariser l'orthographe étymologique de la lettre x, ch; et de substituer aux 0, th, et q, ph, nos lettres françaises dans les mots les plus usuels; d'ôter l'h à quelques mots où il est resté pour figurer l'esprit rude (‘); 2o De supprimer, conformément à ses précédents, quelques lettres doubles qui ne se prononcent pas ; 3° De simplifier l'orthographe des noms composés, en les réunissant le plus possible en un seul mot; 4° De régulariser la désinence orthographique des mots terminés en ant et ent; 5o De distinguer, par une légère modification (la cédille placée sous le t), des mots terminés en tie et tion, qui se prononcent tantôt avec le son du t et tantôt avec le son de l's; 6o De remplacer, dans certains mots, l'y par l'i; 7° De donner une application spéciale aux deux formes g et g au cas où le j, dont le son est celui du g doux, ne serait pas préférable; 8° De substituer l's à l'x, comme marque du pluriel à certains mots, comme elle l'a fait pour lois, au lieu de loix (lex, la loi, leges, les lois). Parmi ces principales modifications généralement récla mées, l'Académie adoptera celles qu'elle jugera le plus importantes et le plus opportunes. Quant à celles qu'elle croira devoir ajourner, il suffirait, ainsi qu'elle l'a fait quelquefois dans la sixième édition, et conformément à l'avis de ses Cahiers de 1694 (1), d'ouvrir la voie à leur adoption future au moyen de la formule: Quelques-uns écrivent... ; ou en se servant de cette autre locution: On pourrait écrire... Par cette simple indication, chacun ne se croirait pas irrévocablement enchaîné, et pourrait tenter quelques modifications dans l'écriture et dans l'impression des livres. Voici ce qui est dit en tête même des CAHIERS de remarques sur l'orthographe françoise pour estre examinez par chacun de Messieurs de l'Académie : « La premiere observation que la Compagnie a creu devoir « faire, est que, dans la langue françoise, comme dans la pluspart des autres, l'orthographe n'est pas tellement fixe « et determinée qu'il n'y ait plusieurs mots qui se peuvent « escrire de deux differentes manieres, qui sont toutes deux « esgalement bonnes, et quelquefois aussi il y en a une des « deux qui n'est pas si usitée que l'autre, mais qui ne doit « pas estre condamnée (2). » ༥ Les changements, lorsqu'ils s'introduisent successivement dans l'orthographe, ne sauraient causer un grave préjudice aux éditions récentes. Ces modifications passent inaperçues d'une partie du public et se perdent dans la masse. On peut d'ailleurs en juger par la comparaison de l'orthographe des textes originaux de nos écrivains dits classiques avec celle de leurs éditions récentes: modifiée du vivant même de l'auteur et plus tard par les progrès successifs de l'écriture académique, (1) Voyez l'Appendice A. (2) Soit donc que l'Académie écrive orthographe et même ortografie, ortographe ou ortografe, elle pourrait ajouter: [On a écrit aussi ortographie.] Dans le Dictionnaire de Nicod (Paris, 1614, in-4°), on ne trouve point orthographe, mais ortographie, confortnément à Du Bellay, qu'il cite pour autorité. elle diffère sensiblement de l'impression primitive. Aucun trouble cependant n'en est résulté dans les habitudes, et nous lisons sans difficulté nos grands écrivains du dix-septième siècle dans leurs éditions originales. Leur antiquité leur prête même un charme de plus. Toute innovation, sans doute, surprend et paraît même chocante au premier abord; mais, une fois introduite, elle devient aussitôt familière. C'est une véritable conquête qui, dès lors et d'un consentement unanime, fait partie du domaine public. Et, en effet, qui voudrait aujourd'hui écrire, conformément au Dictionnaire de 1694: adveu, advoué, abysmer, aisné, autheur, bienfacteur, connoistre (1), chresme, desgoustant, escrousté, feslé, horsmis, yvroye, phantosme, phlegme, etc.; ou bien encore costeau, deschaisnement, déthroner, entesté, eschole, espy, gayeté, giste, mechanique, monachal, noircisseure, ostage, ptisanne, saoul, thresorier, stomachal (2), je sçay, vuide, vuider, etc.? On propose d'écrire, dans la nouvelle édition, conformément à la prononciation, conaître avec un seul n, et l'on devrait même écrire conètre, ce qui distinguerait, d'accord avec l'étymologie, naître, venant de nasci (nascerunt ou nascére), de conètre qui vient de noscere. Ainsi, sur dix lettres, trois auraient successivement disparu sans le moindre inconvénient. Dans un manuscrit inédit du chancelier Michel de l'Hospital, que je possède, je lis même ce mot, écrit partout avec un n de plus, congnoissance. C'est ainsi que d'eschole on a fait définitivement école, en supprimant deux lettres en ce mot seul qui en avait sept. Il en est de même de espy, desgoustant, estesté, qui sont devenus épi, dégoûtant, étété, etc. On pourrait même quelquefois, en se rapprochant de l'origine latine, simplifier l'orthographe de certains mots. Ainsi, pourquoi écrire, vaincre, vainqueur, les mots vincere, victor, irrégulièrement transportés du latin? Puisque nous écrivons victorieux et invincible, écrivons vincre et vinqueur, ne fût-ce que pour conserver l'uniformité d'orthographe dans ce vers: Ton bras est invaincu, mais non pas invincible. (2) L'Académie écrivait, dans sa première édition, stomachal; dans la seconde, : Avec la deuxième édition, celle de 1718 abbatre, abestir, adjouster, advis, advoué, asne, bestise, beveue, creu, dépost, desdain, estain, estincelle, espatule, estuy, inthroniser, leveure, obmettre, pluye, pourveu, quarrure, relieure, vraysemblance, etc.? Avec la troisième édition, celle de 1740: chymie, alchymie, chymiste, etc., frére, mére, naviger, quanquam (pour cancan), patriarchal, paschal, pseaume, quadre, quadrer, des qualitez, des airs affectez, etc.? Avec la quatrième édition: foible, foiblesse, enfans, parens, qu'il paroisse, écrit comme la paroisse, pseaume, reconnoissance, je voulois, ils étoient (écrit auparavant estoient, puis enfin étaient)? Dès à présent on s'étonne d'écrire avec la sixième : cuiller, roideur, roide, aphthe, phthisie, rhythme, diphthongue. Quatre consonnes de suite! l'orthographe du quinzième siècle n'en admettait que deux et écrivait diptongue, spère (sphère ou plutôt sfère), opaipa. Si l'orthographe étymologique a l'avantage, bien faible à mon avis, de mettre sur la trace des racines, et d'aider parfois à deviner la signification du mot quand on possède à fond les langues anciennes, ce système qui, pour être rationnel, ne saurait admettre ni transaction ni demi-parti, sans mettre souvent en échec le savoir philologique, n'est plus, depuis 1740, un système, c'est le désordre. D'ailleurs l'étymologie n'est souvent qu'un guide peu sûr pour découvrir le sens actuel des vocables dont la signification s'est modifiée dans le cours des âges, au point de devenir méconnaissable, ainsi que M. Villemain l'a si bien démontré dans la préface du Dictionnaire de 1835. Il ajoute même, et avec plus de force encore, cette réflexion: « La science étymologique n'est pas nécessaire pour la parfaite intelligence d'une langue arrivée à son état de perfection. stomacal; dans la troisième, stomachal; dans la quatrième et la sixième, stomacal, qui est sa forme définitive. L'analogie et l'étymologie peuvent bien fournir matière à quelques observations curieuses et plus souvent encore à des disputes inutiles, mais elles ne déterminent pas toujours la véritable signification d'un mot, parce qu'il ne dépend que de l'usage. Rien, en effet, n'est plus commun que de voir des mots qui passent tout entiers d'une langue dans une autre, sans rien conserver de leur première signification. »> En effet, quel avantage peut offrir à l'esprit, même pour qui sait le grec, la présence du ph ou th dans les mots de la langue usuelle, surtout quand, effacés dans certains mots, on les voit reparaître dans d'autres dérivés également du grec? La mémoire, quelque présente qu'elle soit, vient-elle jamais assez tôt aider l'intelligence pour lui indiquer le sens en français du mot primitivement grec? Prenons pour exemples les mots strophe et apostrophe: l'un et l'autre viennent de Tρé, otpépw, qui signifie tourner; mais, pour trouver quel rapport relie ce mot avec strophe, il faut se représenter le mouvement demi-circulaire de choristes chantant ensemble des pièces lyriques, auxquels d'autres choristes exécutant un mouvement contraire répondent par un autre chant, ce que strofe représente aussi bien que strophe. Quant à apostropher, qui dérive aussi du verbe τρέπω ou στρέφω, il faut savoir que, par cette figure de rhétorique, on doit voir le geste et l'animation de l'orateur se tournant vers la partie adverse pour l'apostropher. Et quant à la figure de grammaire, l'apostrophe, qui dérive aussi du même verbe, je suis assez embarrassé de l'expliquer. A en juger par l'aspect qu'offre la forme demi-circulaire de ce signe ('), dont l'emploi indique l'élision, j'aimerais à y voir l'influence du verbe тρéñш, tourner, mais les savants ne sont pas d'accord à ce sujet. Obtient-on plus de lumières quand on sait que thèse (Voltaire écrivait tèse) vient de Tínu, placer? Par quel effort de mémoire se rappeler les détours qui rattachent ce verbe avec la thèse que soutient un candidat! |