Panckoucke, Grammaire et littérature, t. II, Paris, 1789, in-4. Beauzée, après avoir donné, dans l'article ORTHOGRAPHE, le résumé de l'argumentation en faveur de l'écriture étymologique, qu'il devait si fortement ébranler lui-même, a défendu avec une grande supériorité de raison et d'éloquence la nécessité d'une réforme modérée, en avouant en toute bonne foi sa récente conversion au principe de la néographie, conversion que je crois due au travail approfondi de Wailly, analysé plus haut, p. 276. Voici un extrait de ce que Beauzée avait dit en faveur de l'étymologie: « Si l'orthographe est moins sujette que la voix à subir des changements de forme, elle devient par là même dépositaire et témoin de l'ancienne prononciation des mots; elle facilite ainsi la connaissance des étymologies. • Ainsi, dit le président de Brosses, lors même qu'on ne retrouve << plus rien dans le son, on retrouve tout dans la figure avec un « peu d'examen..... Exemple. Si je dis que le mot françois sceau a vient du latin sigillum, l'identité de signification me porte d'a« bord à croire que je dis vrai; l'oreille, au contraire, me doit faire « juger que je dis faux, n'y ayant aucune ressemblance entre le <«< son so que nous prononçons et le latin sigillum. Entre ces deux « juges qui sont d'opinion contraire, je sais que le premier est le a meilleur que je puisse avoir en pareille matière, pourvu qu'il « soit appuyé d'ailleurs ; car il ne prouveroit rien seul. Consultons << donc la figure, et, sachant que l'ancienne terminaison françoise « en el a été récemment changée en eau dans plusieurs termes, que << l'on disoit scel au lieu de sceau et que cette terminaison ancienne << s'est même conservée dans les composés du mot que j'examine, << puisque l'on dit contrescel et non pas contresceau, je retrouve « alors dans le latin et le françois la même suite de consonnes ou « d'articulations: sgl en latin, scl en françois, prouvent que les « mêmes organes ont agi dans le même ordre en formant les deux « mots par où je vois que j'ai eu raison de déférer à l'identité « du sens, plus tôt qu'à la contrariété des sons. >> « Ce raisonnement étymologique me paroît d'autant mieux fondé, reprend Beauzée, et d'autant plus propre à devenir universel, que l'on doit regarder les articulations comme la partie essencielle des langues, et les consonnes comme la partie essencielle de leur orthographe. » Après avoir ainsi exposé les motifs en faveur de l'écriture étymologique, motifs qui ne sauraient d'ailleurs convenir à un dictionnaire de la langue usuelle, le savant académicien prend la défense du néographisme auquel il s'était montré d'abord opposé : << On peut aisément abuser, dit-on, du principe que les lettres étant instituées pour représenter les éléments de la voix, l'écriture doit se conformer à la prononciation. « Oui, sans doute, on peut en abuser; car de quoi n'abuse-t-on pas? N'a-t-on pas abusé à l'excès de cette déférence même que l'on prétend due à l'usage sans restriction? et cet abus énorme n'est-il pas la source de toutes les bizarreries qui rendent notre orthographe et l'art même de lire notre langue si difficiles, que les deux tiers de la nation ignorent l'un et l'autre? On peut donc abuser, j'en conviens, du principe que Quintilien lui-même approuvoit, et qu'il a énoncé d'une manière si précise (Inst. orat., I, liv. vij): Ego sic scribendum quidque judico, quomodo sonat; hic enim usus est litterarum, ut custodiant voces et velut depositum reddant legentibus; mais il est possible aussi d'en user avec sagesse, avec discrétion et surtout avec avantage; il est possible d'adopter, d'après les caractères autorisés légitimement par l'usage, un système d'orthographe plus simple, mieux lié, plus conséquent..... J'oserai donc ici, sur l'autorité du sage Quintilien, proposer l'esquisse d'un systême d'orthographe, dans lequel je crois avoir réuni toutes les qualités exigibles, sans y laisser les défauts qui déshonorent notre orthographe actuelle. » Voici l'analyse de ce système : 1° Beauzée supprime la consonne redoublée dans l'écriture quand elle ne se fait pas sentir dans la prononciation : il écrit abé, acord, adoné, afaire, agresseur, tranquile, home, persone, suplice, noùriture, atentif. 2o Il marque, dans les terminaisons des mots, l'e d'un signe différent selon les cas: quand la lettre qui suit se prononce, par è; quand l'n qui suit est nasal, par é; et d'un accent circonflexe pour en faire un a nasal, laissant l'e nu s'il est muet. Exemples: Jérusalem, abdomen, Pembroc, Agén, il convient, il pressént, émpire, encore, ils aimoient, ils convient, ils pressent. 3o Il distingue ainsi par l'accentuation les mots suivants : Si le mot était, comme abcès, procès, terminé par è et s qui ne se prononce pas, il remplace l'è par l'é. Ex : congrés, décés. 4° Il propose pour le même motif d'écrire àmmonite, Emmanuèl, immobile, ànnuité, triennal, inné, àmnistie, somnambule, àllusion, illégal, collateur. 5° On pourrait écrire, à la manière espagnole, émall au lieu de émail, vermell au lieu de vermeil, périll au lieu de péril, seull au lieu de seuil, fenoull au lieu de fenouil, etc. Si l'on ne prononce qu'un / et qu'il ne soit pas mouillé, on n'en écrira qu'un : tranquile, mortèle, rebèle, une vile, vilage, etc. 6o Les monosyllabes ces, des, les, mes, ses, tes porteraient l'accent aigu (sic) pour qu'on pût les distinguer de la dernière syllabe des mots actrices, mondes, males, victimes, chaises, dévotes. On écrirait de même : bléd, clef, pluriél, piéd. 7° Il propose l'accent grave dans les cas suivants : Ècbatane, pectoral, heptagone, cèrveau, èscroc, èspace, etc. Et de même : cèle, musète, anciène, qu'ils viènent. Le même accent s'appliquerait aux mots èxact, èxécuter, èxorde, èxquis, etc. 8° L'accent circonflexe qui sert à allonger la syllabe dans prêtre, extrême, ne doit pas être reproduit dans les composés, prétrise, extrémité (1). 9° On devrait écrire àgnat, àgnation, àgnatique, igné, ignicole, ignition, cògnat, cògnation, stàgnation, stagnant, en écrivant comme à l'ordinaire les mots agneau, cognée, ognon, rognure. 10° Il propose aussi d'employer l'accent grave dans les mots (1) Ce principe excellent devrait être observé dans tous les cas semblables. On écrit grêle, mais on devrait écrire grélon, etc. Ainsi le veut la prosodie française. suivants: lingual, le Guide, le duc de Guise, aiguiser, aiguille, aigue, contigue, équateur, liquéfaction, équestre, quinquagésime, pour distinguer le son spécial de gu et qu de celui qu'il a dans anguille, liquéfier. Il propose aussi argüér, ambiguïté, contiguïté. L'auteur fait une excellente observation sur l'anomalie qui consiste à prononcer comme s et non comme z, ainsi que le voudrait la règle grammaticale, les mots désuetude, préséance, présupposer, monosyllabe. Il remédie à cette difficulté en écrivant déssuétude, présseance, préssupposer, monossillabe. Il donne ensuite des préceptes pour l'emploi du tréma; la plu'part n'ont pas prévalu. « On prononce ai comme e muet dans faisant, nous faisons, je faisois, vous faisiez, bienfaisant, contrefaisant, et autres dérivés pareils du verbe faire. Mais puisqu'il est déja reçu d'écrire par un e simple je ferai, je ferois, etc., sans égard pour l'ai de faire, pourquoi n'écriroit-on pas de même fesant, nous fesons, je fesois, vous fesiez, biénfesant, biénfesance, contrefesant? M. Rollin et d'autres bons écrivains (1) nous ont donné l'exemple, et la raison prononce qu'il est bon à suivre. « 14° Les deux caractères ch se prononcent quelquefois en sifflant comme dans méchant, et quelquefois à la manière du k comme dans archange. Il étoit si aisé de lever l'équivoque qu'il est surprenant qu'on n'y ait point pensé la cédille étant faite pour marquer le sifflement, il n'y avoit qu'à écrire ch pour marquer le sifflement, et ch pour le son guttural: méchant, monarchie, archevêque, marchons, chercheur, en sifflant; archange, archiepiscopat, archonte, chœur, avec le son dur (2). « Grâce à cette légère correction, on pourrait rétablir l'analogie entre monarchie et monarche. » 15° En vertu du même principe, Beauzée propose l'h avec cédille quand cette lettre est aspirée. « Cela ne feroit pas un grand embarras dans l'écriture, et les imprimeurs seroient sans (1) Voltaire écrit toujours ainsi, et cette orthographe a été maintenue dans l'impression de ses œuvres. (2) Le nombre des mots dérivés du grec écrits encore par ch prononcé comme k étant très-minime, puisque la plupart ont déjà perdu l'h, la combinaison ingénieuse de Beauzée devient inutile du moment que l'on accepterait ce que j'ai proposé. (Voyez ci-dessus, p. 36.) doute assez honnêtes pour faire fondre des h cédillées en faveur de l'amélioration de notre orthographe : plus on facilitera l'art de lire, plus aussi on multipliera les lecteurs et par conséquent les aquéreurs de livres. >> 16° « J'en dirois autant des t cédillés pour le cas où cette lettre représente un sifflement. N'est-il pas ridicule d'écrire avec les mêmes lettres, nous portions et nos portions, nous dictions et les dictions, et une infinité d'autres ? Cette simple cédille, en fesant disparoître l'équivoque dans la lecture, laisseroit subsister les traces de l'étymologie et seroit bien préférable au changement qu'on a proposé du t en cou en s. 17° « L'analogie, si propre à fixer les langues, à les éclairer, à en faciliter l'intelligence et l'étude, conseille encore quelques autres changements très-utiles dans notre orthographe, parce qu'ils sont fondés en raison, que l'usage contraire est une source féconde d'inconséquences et d'embarras, et qu'il ne peut résulter de ces corrections aucun inconvénient réel. « Le premier changement seroit de retrancher des mots radicaux la consonne finale muette, si elle ne se retrouve dans aucun des dérivés pourquoi, en effet, ne pas écrire rampar sans t et nou sans d, puisqu'on ne forme du premier que remparer et du second nouer, dénouer, dénoùment, renouer, renoueur, renoûment, où ne paroissent point les consonnes finales des radicaux (1)? « Le second, de changer cette consonne ou dans le radical ou dans les dérivés, si elle n'est pas la même de part et d'autre, et que la prononciation reçue ne s'oppose point à ce changement. L'usage, par exemple, a autorisé absous, dissous, résous au masculin, et absoute, dissoute, résoute au féminin: inconséquence choquante, mais dont la correction ne dépend pas d'un choix libre; let se prononce au féminin et la lettre s est muette au masculin. Écrivons donc absout, dissout, résout. Au lieu d'écrire faix, faux, heureux, roux, écrivons avec l's: fais, faus, heureus, rous, à cause des dérivés affaissement, affaisser, fausse, faussement, fausseté, fausser, heureuse, heureusement, rousse, rousseur, roussir. Une analogie plus générale demande même que l'on change a partout où cette lettre ne se prononce pas comme cs ou gz et qu'on écrive (1) L'Académie a depuis adopté les mots nodus et nodosité. Ce dernier ne figure qu'à la sixième édition. |