Il est inutile de développer davantage ces tableaux, qui font connaître le genre de régularisation auquel l'auteur s'est plus spécialement attaché. Lorsque les lois de la prosodie française s'opposent à ce que l'on modifie l'orthographe de la désinence, il propose de changer le genre; exemple: une squelette, une satellite, une aérolithe, une phytolithe, une ostéolithe. Les changements de cette nature, qui intéressent l'oreille, sont plus difficiles à introduire que des modifications dans l'écriture. D'ailleurs un certain nombre d'entre eux altèrent sensiblement l'euphonie de la prononciation en faisant porter l'accent tonique non plus uniquement sur la voyelle de la syllabe pénultième des mots à terminaison féminine, mais en même temps sur la consonne qui suit. Exemple: dans le système de M. Noel, nous ne dirions plus un homme crédule, servile, mais crédUL, servIL, bref. C'est donc méconnaître le rôle de l'e muet, cette bulle d'air sonore, comme dit l'auteur, qui communique à notre langue tant de charme, de légèreté et de douceur. M. Noel veut aussi qu'on écrive la foie (fides) et le foi (hepar), le nef ou la nève (navis), le soif et une cuillère au lieu de cuiller. La rectification de ce dernier mot est unanimement réclamée. Le mot voix (voz) devrait, selon lui, être écrit voye pour lui donner une terminaison féminine, tout en le distinguant de voie (via), attendu que « cette forme le rapprocherait de son dérivé voyelle et lui donnerait bien plus d'ampleur et d'harmonie. » « Les grammairiens, ajoute-t-il, en portant le marteau sur l'y, si sonore dans des mots tels que paye, payement, etc., pour le remplacer par cet i felé, qui est en si grande faveur auprès d'eux, ont-ils rendu service à la langue? Doit-on prononcer égaye, bégaye et faire rimer ces mots avec baie; il faudrait alors écrire égaie, bégaie. C'est donc un peu comme s'il y avait-éïe, résonnance vraiment féminine, qu'il faut que l'on prononce, et non pasé, son sec et bref, désinence toute masculine. » Les 240 pages de M. Noel présentent le même intérêt, la même originalité dans un sujet qu'on aurait pu croire épuisé, et c'est à lui qu'on devait (page 205 et suivantes) le travail le plus étendu sur le pluriel des noms composés. CASIMIR HENRICY. Traité de la réforme de l'orthographe, comprenant les origines et les transformations de la langue française, dans la Tribune des linguistes, 1o année, 18581859. Paris, gr. in-8. Gramère fransèze d'après la réforme ortografiqe. 11 livraisons, faisant suite au Dictionnaire français illustré de Maurice La Châtre. Paris, in-4. M. Henricy s'est livré à de grandes et consciencieuses recherches sur l'histoire de l'orthographe, et présente sur la réforme des idées fort sages : « Il y aurait folie, dit-il (1), à penser que ma Gramère fransèze d'après la réforme ortografiqe puisse servir de règle à la génération actuelle. Ce qu'on peut suivre comme un guide sûr aujourd'hui, c'est ma Grammaire française d'après l'orthographe académique. Le Traité de la réforme de l'orthographe est à l'adresse des gens qui veulent s'éclairer sur cette importante question et qui pensent qu'une réforme serait utile. Ils trouveront là un plan complet de réforme divisée en cinq degrés; et je ne leur propose que l'adoption du premier degré, réforme bien simple, déjà pratiquée par les écrivains les plus éminents des deux derniers siècles, notamment par Du Marsais, dans son Traité des tropes, réimprimé en 1804 avec cette même orthographe. >>> « La conséquence de la constitution vicieuse de notre écriture, ajoute-t-il plus loin (p. 126), est que pas un homme ne peut à bon droit se flatter de connaître parfaitement l'orthographe, de ne jamais broncher dans ses sentiers tortueux. Les gens qui la connaissent le mieux ne rougissent pas de l'avouer. En fit-on la seule étude de sa vie, on ne parviendrait pas à l'apprendre, même à l'aide d'une intelligence exceptionnelle. On ne parviendrait qu'à s'abrutir. L'écriture ne constitue en effet qu'un instrument, mais c'est l'instrument indispensable pour arriver à la connaissance des sciences..... Or l'intelligence de l'homme le mieux doué a des bornes, et il est évident que, s'il l'emploie toute à apprendre ou à (1) Tribune des linguistes, p. 60. retenir l'orthographe, il ne lui en reste plus pour l'étude des sciences. Celui qui, grâce à de longs et pénibles travaux et à une attention soutenue, parvient à écrire correctement quelques pages, sans le secours d'un dictionnaire, n'a donc pas lieu d'être si fier! Du reste, les plus experts en pareille matière ont toujours reculé devant le défi de subir victorieusement une épreuve.» (Voir p. 320.) Il résulte du travail très-étendu et très-approfondi de M. Henricy qu'il reconnaît la nécessité de ne procéder à la réforme 'qu'avec mesure et successivement. Il fixe même cinq degrés, séparés par deux ans d'intervalle, pour atteindre une réforme telle qu'il la conçoit possible. Mais, d'une part, les catégories qu'il propose feraient l'objet de longues discussions, et, d'autre part, dix années sont un terme insuffisant pour permettre d'espérer un pareil résultat. B. LEGOARANT. Nouveau Dictionnaire critique de la langue française, ou examen raisonné et projet d'amélioration de la sixième édition du Dictionnaire de l'Académie, de son complément, du Dictionnaire national et d'autres principaux lexiques, y compris le nouveau Dictionnaire universel de la langue française par M. Poitevin. Paris, BergerLevrault, 1858, in-4 à 3 col. de xiv et 667 pp. B. PAUTEX. Remarques sur le Dictionnaire de l'Académie. Paris, 1856, in-12 de 116 pp. Considérablement augmentées et réimprimées sous ce titre: Errata du Dictionnaire de l'Académie française, ou Remarques critiques sur les irrégularités qu'il présente avec l'indication de certaines règles à établir. Paris, Cherbuliez, 1862, in-8 de xxxiu et 352 pp. F.-P. TERZUOLO, ancien imprimeur, correcteur d'imprimerie. Études sur le Dictionnaire de l'Académie. Deuxième édition (la première est de 1858), accompagnée de quelques remarques sur les six premières livraisons du Dictionnaire de M. Littré. Paris, Mesnel, 1864, in-12 de 142 pp. Le Dictionnaire d'une langue est son livre par excellence. Nonseulement il la maintient, il la conserve, mais il ouvre les voies et indique le sens dans lesquels elle peut s'épurer, s'enrichir et accomplir de nouveaux progrès. Nul ne s'étonnera donc de l'importance que le public attache à chacune des éditions du Dictionnaire de l'Académie, ni de la longueur du temps et des soins minutieux que la compagnie consacre à cette œuvre capitale. Mais cette tâche est compliquée de tant de difficultés de toute nature, dont la principale est l'incertitude qu'offre pour la coordination l'absence complète d'une véritable grammaire de la langue française, qu'on ne s'étonnera pas qu'on ait pu reconnaître dans la dernière édition de ce Dictionnaire, aussi bien que dans les ouvrages du même genre, des fautes matérielles, des contradictions, des lacunes, des définitions hasardées ou insuffisantes. La partie orthographique, dont l'irrégularité s'explique, comme on l'a vu dans tout ce qui précède, par l'action du double courant où s'est formé notre vocabulaire et l'influence des idées dominantes en grammaire au moment où de nouvelles couches de mots ont été successivement admises, cette partie n'est pas celle qui laissait le moins à désirer. Heureusement, pour assurer la perfection à l'édition que l'Académie prépare, des ressources précieuses lui sont réservées. En dehors des matériaux importants que plusieurs de ses membres ont pu réunir, de ceux qu'elle saura puiser dans les travaux des membres les plus distingués des autres classes de l'Institut, il s'est rencontré des hommes d'une persévérance admirable qui ont fait de la dernière édition du Dictionnaire l'objet d'une critique minutieuse et de l'examen le plus approfondi. 1 Tels sont MM. Legoarant, Pautex et Terzuolo, qui ont consacré à ce travail un peu aride de la confrontation et de la discussion des mots, de leur forme et de leurs définitions, la plus grande partie de leur longue carrière. Les trois ouvrages que j'ai cités en tête de cet article sont rédigés sous forme de dictionnaire, c'est assez dire qu'ils échappent à toute espèce d'analyse. Je puis seulement constater ici qu'ils ne font nullement double emploi. M. Legoarant a envisagé son vaste sujet plutôt en lexicographe et en savant, M. Pautex en grammairien et en typographe consommé; M. Terzuolo a suivi l'exemple de ce dernier. M. Pautex a réuni aux mots ACCENT, CONJUGAISON, MAJUSCULE, MENTOR, TERMINAISON, TIRET, et dans un chapitre de la PRONONCIATION et des DOUBLES LETTRES placé à la fin, des dissertations spéciales sur les questions de l'orthographe typographique, les plus délicates et les plus négligées par les grammairiens. A се titre, son livre restera d'une utilité incontestable, même après la nouvelle édition du Dictionnaire, pour tous ceux qui se préoccupent de la bonne exécution des livres et particulièrement pour les imprimeurs. Le travail de M. Terzuolo contient des remarques en général très-judicieuses sur les questions grammaticales et philologiques. Il ne s'occupe de l'orthographe que pour signaler quelques contradictions qui se trouvent dans le Dictionnaire de l'Académie, comme dans les mots assonance et consonnance, persiflage et siffler, etc. Il est d'avis d'écrire baronet avec un seul n, chevauléger en un seul mot, et chelin (scheling) à la manière française avec un ch, comme on écrit châle dérivé de shall. Pour les mots paiement, dévouement, et autres substantifs terminés en ment, il demande qu'on leur conserve les voyelles caractéristiques de l'infinitif dont ils dériventen changeant l'r en ment; ex.: emporter, emportement, fourvoyer, fourvoyement, payer, payement, dénuer, dénuement, etc. TELL. Exposé général de la langue française, avec les idées, les systèmes et les principes de l'ancienne et de la nouvèle école, les projets de réforme, la codification et la langue universèle. Paris, 1863, in-18, de 109 pp. Dans ce petit écrit, que l'auteur aurait voulu réduire à une feuille d'impression, les questions énoncées sur le titre sont abordées avec clarté et d'une manière piquante, tant celles de la grammaire que celles de l'orthographe, à laquelle l'auteur s'attache principalement; ce qui lui fait dire dès le début de son exposé « que l'enfant qui l'a apprise n'est nullement préparé pour recevoir les leçons des professeurs de logique, de rhétorique et de philosophie. » C'est ainsi qu'il commence son livre, et c'est ainsi qu'il le termine: «Toutes les sciences doivent avoir une science élémentaire pour base; cette base est naturèlement le langage, et il serait difficile d'en établir une autre qui s'accorde mieux avec l'enfance. L'enfant fait des progrès considérables jusqu'à quatre ans, parce qu'il n'est distrait par aucun préjugé; si son intelligence s'affaiblit alors, il faut attribuer cette cause aux préjugés, et surtout à l'enseignement faux du langage, tandis que, si cet ensei |