Dans le Supplément à l'ouvrage précédent, publié un an plus tard, et dont je n'avais pas connaissance lors de ma première édition, M. Raoux reprend la question de la constitution de l'alphabet phonographique d'après les observations qui lui ont été transmises par les différents comités fondés en Suisse, en Belgique et en France, pour la réforme orthographique. La majorité des phonographes qui les composent s'étant prononcée pour l'adoption d'un alphabet sans signes nouveaux (1), il a cru devoir acquiescer à ce vou, tout en réservant son alphabet primitif pour une phase ultérieure de la réforme. Il rétablit d'abord un signe distinctif de è et é (arène et tête, hère et hétre, herbette et air béte, pelle et béler); de eu et eù (jeune et jeûne, les deux syllabes de jeûneur); le signe de h aspiré (halte, haro, hue, hardi, hé! ho!). Voici donc son nouvel alphabet phonétique pour le français seulement : (1) M. Raoux explique ainsi le recul de la phonographie, du moins quant à la théorie, qui s'est produit à Lausanne après la publication de son livre : Peu de temps après la publication du prospectus de cet ouvrage, des lettres d'encouragement et des témoignages d'adhésion nous parvinrent en grand nombre et plusieurs organes de la presse libérale nous offrirent spontanément leur concours. Depuis l'impression de l'Orthographe rationnelle (décembre 1865), la question se posa plus nettement et les phonographes se mirent à l'œuvre en Suisse et au dehors. Des comités s'organisèrent dans les cantons de Vaud, de Neufchâtel, de Berne et de Genève et dans le département de l'Ardèche, pour étudier cette importante réforme, au double point de vue de la théorie et de la pratique. « Dès le début de ces travaux collectifs, deux opinions se trouvèrent en présence, celle des partisans, et celle des adversaires des signes nouveaux. Après bien des lettres, des circulaires et des explications échangées, pendant plusieurs mois, ce fut la dernière opinion qui obtint la majorité. Voici les motifs sur lesquels s'appuie cette majorité : « 1o La réforme alphabétique est beaucoup moins importante et beaucoup moins pressante que la réforme des deux orthographes lexicologique et grammaticale, dans lesquelles se concentrent presque tous les vices et tous les inconvénients du système graphique actuel. 2o La création et l'emploi de nouveaux signes pouvaient présenter des difficultés de nature à compromettre ou retarder le succès de la réforme, sous trois points de vue: accord des phonographes; — habitudes graphiques de la génération présente ; moyens pratiques d'exécution en typographie. Je forme le vœu sincère que M. Raoux, dont le lecteur a pu apprécier la fermeté d'intelligence et la sagacité critique, revienne à des principes moins absolus, en abandonnant une voie dans laquelle le succès me semble impossible. Les lettres doivent être prononcées suivant la nouvelle épellation, pe, be, te, etc., et les petites lettres indiquent des modifications faites aux sons radicaux ou primitifs. Voici maintenant le nouvel alphabet phonographique de l'au << Total: 22 lettres différentes et 5 signes modificateurs (u, n, g, ^,.). On devra, pour l'impression, faire fondre des lettres à liaison continue pour an, èn, in, eu, eù, un, on, ou, où, gn, ch, afin de leur restituer l'apparence de signes uniques. « Les lettres éliminées c, k, x, y, w, devront être maintenues pendant un certain temps pour l'écriture des noms propres. « Le signe gn, ayant aujourd'hui deux valeurs phonétiques (nieu et guene, dont la dernière n'appartient pas à l'alphabet en sa qualité de diphthongue), sera uniquement affecté au son de n mouillé (campagne), ce qui le distinguera clairement du double son guene, qui s'écrira gen (Agnès, Agnès; gnomon, genomon). Le signe binaire Il se trouvant dans le même cas, et la juxtaposition de l'i ne suffisant pas à distinguer ses deux valeurs phonétiques, représentera uniquement le / redoublé dur (illicite, illimité, ville). Le mouillé (dans fille, bille) qui, en sa qualité de monophone, fait réellement partie de l'alphabet, sera représenté par un 7 pointé en-dessous, afin que la typographie n'ait point de signe nouveau à créer, puisqu'un j renversé remplira parfaitement le but L'auteur termine ce supplément par quelques exemples de la nouvelle orthographe, que les phonographes intitulent réforme scripturale: « L'ignoranse du vouazèn è t un danjé q'on devrè qonjuré, ne fuse qe par égoizme, qome on va ô seqour de sa mèzon qan t èle brule.» (Jules Macé.) « Le jeune z èntellijanse son qome dè bouton de fleur qe lon orè plonjé dan lô boulante; èle z on perdu leur forse vitale dan le chodron fuman de la moderne éduqasion. » (A. de Humboldt.) « Tan qe l'ijiène publiqe é la morale universèle ne seron pa sérieuzeman t anségnée dan toute lè z éqole primère, le flô du mal montera toujour.» (Raoux.) Cette écriture, ainsi dépouillée des signes nouveaux que l'auteur avait proposés dans le corps de son livre, ressemble beaucoup à celle que M. Marle avait adoptée en 1829 dans son Appel aux Français. Elle offre les mêmes avantages et encourt les mêmes reproches, sur lesquels il me semble inutile de revenir. ALBERT HETREL, correcteur d'imprimerie. Code orthographique, monographique et grammatical. Nouvelle méthode donnant immédiatement la solution de toutes les difficultés de la langue française. Deuxième édition. Paris, Larousse et Boyer, 1867, in-12 de xxш et 276 pp. M. Émile de Girardin a accepté la dédicace de cet intéressant ouvrage. De la lettre qu'il adresse à l'auteur à ce sujet, je crois devoir extraire les passages suivants : « Je n'accepte pas l'expression de votre reconnaissance, mais j'accepte la dédicace de votre livre. Il est curieux, ce qui le rendra instructif. Du désir qu'il donne de le parcourir naîtra bientôt l'habitude de le consulter. << Que d'innombrables fautes journellement commises il relève! Que d'inexplicables contradictions, passant généralement inaperçues, il signale! << Mais ce qu'il révèle surtout, c'est à quel point l'arbitraire règne encore, en France, dans le langage. Où les exceptions à la règle sont si nombreuses, ne peut-on pas dire de la règle qu'elle n'est qu'une exception à l'exception et qu'il n'y a pas de règle? Le langage est un art; il n'est pas encore une science. Ce qu'il faudrait, c'est qu'il en devînt une. L'art vaut ce que vaut l'artiste; la science vaut par elle-même. Ce qui caractérise l'art, c'est la personnalité, c'est la diversité; ce qui caractérise la science, c'est l'universalité, c'est l'unité. Ce qui la caractérise encore, c'est d'être essentiellement progressive, c'est de tendre constamment à convertir les obstacles en moyens et les problèmes en solutions. Si, au lieu d'être un art, le langage était une science, il n'épargnerait rien pour devenir de plus en plus simple, de plus en plus précis, de plus en plus facilement correct. La règle ne fléchirait plus sous l'exception; ce serait l'exception qui disparaîtrait sous la règle. Si la science du langage était moins imparfaite, croit-on que l'art du langage y perdit? Je ne le crois pas. « Partout, en Europe, les peuples abaissent maintenant les barrières qu'ils s'appliquaient autrefois à rendre infranchissables... Une barrière qui ne s'est pas abaissée, c'est celle que met entre les nations la différence des langues. Arrivera-t-on, un siècle ou l'autre, à l'adoption d'une langue universelle? Je n'en doute point... Chemins de fer et télégraphes électriques, ces inventions d'hier, mènent chacune des grandes parties du monde à l'unité d'usages et de lois, de mœurs et de modes, de mesures et de monnaies. A son tour, cette unité mènera à l'unité de langue, comme une conséquence mène à une autre conséquence. Cette langue commencera par n'être qu'une langue auxiliaire, deviendra la langue internationale, et finira par être la langue définitive. De cette langue, que la nécessité s'appliquera à rendre aussi simple que possible, disparaîtront tous les mots qui n'ont plus de sens, tous les mots qui n'ont pas de sens, tous les mots qui ont plusieurs sens. Il y aura un mot pour chaque chose, mais pour chaque chose il n'y aura plus qu'un seul mot. Formation, déclinaison, genre, orthographe et prononciation des mots, conjugaison des verbes, seront assujettis à des règles invariables, faciles à apprendre, faciles à retenir. << Il fut un temps où généralement le paysan français ne savait parler que le patois de sa province. Il est rare maintenant, et il devient chaque jour plus rare, que ce paysan ne sache pas à la fois et le patois de « son pays » et la langue de sa patrie. On peut même ajouter que, depuis que le paysan apprend l'une, il désapprend l'autre. Les patois s'en vont; je me trompe, il faut dire : ils se succèdent; car un temps viendra où, l'Europe ayant sa langue commune, parler allemand, parler anglais, parler espagnol, parler français, parler italien, ce sera parler patois. Mais jusqu'à ce que ce temps arrive, temps qui peut être proche, mais temps aussi qui peut être loin, tout ce qui aura pour but et pour effet de dévoiler les difficultés et les irrégularités dont les langues actuelles sont hérissées méritera d'être hautement et chaudement encouragé. » L'auteur du Code orthographique ne s'est pas donné pour but de redresser les contradictions et les vices de notre écriture, mais seulement de présenter en bon ordre et d'une façon claire et facilement saisissable la solution de toutes les difficultés qui se rencontrent dans l'emploi de nos meilleurs lexiques. Il s'exprime ainsi à ce sujet : « Pendant sa longue carrière de correcteur d'imprimerie, l'auteur n'a pas manqué de se convaincre qu'il y a dans la langue un grand nombre de points douteux, au sujet desquels |