ne porte aucune atteinte à nos chefs-d'œuvre, même poétiques, contribuera, bien plus qu'on ne saurait le croire, à maintenir et prolonger la vie de notre idiome, qui n'est que la simplification du latin; par là nos chefs-d'œuvre deviendront de plus en plus accessibles à tous. Quelques autres petites régularisations de détail, qui ne dérangeraient en rien l'ensemble de notre système orthographique, lui donneraient successivement le degré de perfection désirable. Je veux cependant aller au-devant de cette objection, tant de fois répétée à propos de toute tentative de réforme, si peu grave qu'elle soit toucher à notre écriture actuelle, c'est poser une main profane sur les œuvres de nos grands écrivains et les trahir en altérant la forme extérieure qu'ils ont prétendu donner à leurs pensées. Nos plus grands écrivains ont abandonné la plupart du temps à leurs imprimeurs le soin d'orthographier leurs œuvres, contrairement même à l'écriture de leurs manuscrits; ceux de Bossuet et d'autres en sont la preuve; mais les imprimeurs trouvèrent plus commode d'appliquer à tous uniformément l'orthographe consignée dans les éditions successives du Dictionnaire de l'Académie. Les exemples suivants prouveront que les manuscrits de nos grands auteurs du seizième et du dix-septième siècle sont écrits d'une tout autre manière qu'ils ont été imprimés de nos jours. Il est donc regrettable, sous bien des rapports, qu'on ne se soit pas conformé aux originaux les réformateurs les plus hardis y trouveraient souvent de nombreux arguments en leur faveur : MONTAIGNE, dans son manuscrit autographe des Essais conservé à la bibliothèque de Bordeaux, adopte l'orthographe suivante : « Nous devons la subjection et l'obeissance esgalement à tous roys, car elle regarde leur office; mais l'estimation non plus que l'affection, nous ne la devons qu'à leur vertu. Donons à l'ordre politique de les souffrir patiammant indignes, de celer leurs vices, d'aider de notre recomandation leurs actions indifferentes, pendant que leur autorité a besoing de nostre appuy; mais nostre commerce fini, ce n'est pas raison de refuser à la justice et à nostre liberté l'expression de nos vrays ressentimans; et nommeemant de refuser aus bons subjets la gloire d'avoir reverrammant et fidelemant servi un maistre, les imperfections duquel leur estoint si bien conues. << J'honore le plus ceux que j'honore le moins; et, où mon âme marche d'une grande aleigresse, j'oublie les pas de la contenance. « A bienveigner, à prandre congé, à remercier, à saluer, à presanter mon service et tels complimants verbeus des lois ceremonieuses de nostre civilité, je ne conois persone si sottement sterile de lengage que moi; et n'ai jamais esté emploié à faire des lettres de faveur et recomandation, que celuy pour qui c'estoit n'aye trouvées seches et lasches. » (Essais, 1. I, ch. III, manuscrit de Bordeaux.) Voir plus haut, p. 206, les indications orthographiques qu'il adresse à son imprimeur. LA FONTAINE. Voici, d'après l'exemplaire que je possède et que je crois unique, la reproduction de la belle et noble supplique adressée au roi par la Fontaine en faveur de Fouquet. Elle contient des variantes non reproduites dans aucune édition. Cette épître forme trois pages petit in-folio fort bien imprimées en gros caractères italiques. Sur la marge de cet exemplaire est écrit FOUQUET (1). Dans cette pièce, antérieure d'une trentaine d'années à l'apparition du premier Dictionnaire de l'Académie, l'orthographe est remarquable, et probablement nous représente celle même de la Fontaine que l'imprimeur (il n'est pas nommé) aura suivie fidèlement. Mais ce que cette édition princeps offre de plus remarquable, c'est la répétition de la qualification de Grand donnée deux fois à (1) D'après quelques autographes de la Fontaine que je possède, je ne crois pas que ce mot soit écrit de sa main. Henri IV et qui a été remplacée dans toutes les éditions par magnanime, épithète faible comparativement à cette réduplication du mot Grand; ce qui me porte à croire que lorsque cette supplique fut lue à Louis XIV, ces vers Du Grand, du Grand HENRY qu'il contemple la vie ; Dès qu'il pût se vanger, il en perdit l'envie : un froncement de sourcil avertit que LOUIS LE GRAND s'en trouvait offensé. ÉLÉGIE. Remplissés l'Air de cris, et vos Grotes profondes (1), Et que l'Anqueuil enflé ravage les trézors Dont les regars de Flore ont embelly ses bors. On ne blâmera point vos larmes innocentes; Vous pouvés donner cours à vos douleurs pressantes ; Les Destins sont contens, Oronte est malhûreux. Pour luy les plus beaux jours sont de secondes nuits; Hostes infortunés de sa triste demeure, En des goufres de maux le plongent à toute heure. Voila le précipice où l'ont enfin jetté Les atraits enchanteurs de la prospérité! Dans les palais des Roys cette plainte est commune; On n'y conoît que trop les jeux de la Fortune, Ses trompeuzes faveurs, ses apas inconstans : Il est bien mal-aizé de régler ses dézirs; Le plus Sage s'endort sur la foy des Zéphirs. Jamais un Favory ne borne sa carière; Il ne regarde point ce qu'il laisse en arière : Et tout ce vain amour des Grandeurs et du bruit, Tant d'exemples fameux, que l'Histoire en raconte, Ne sufizoient-ils pas sans la perte d'Oronte? C'est par-là que les Roys sont semblables aux Dieux. La plus belle victoire est de vaincre son Cœur. Et c'est étre innocent que d'étre malhûreux (1). BOSSUET, dans son manuscrit des Sermons (t. II, p. 261 Bibl. Imp.), écrit de sa main : « Sa vangeance nous poursuiura a la vie et a la mort et ny en ce monde ny en l'autre iamais elle ne nous laissera aucun repos. Ainsi n'atandons pas lheure de la mort pour pardonner à nos ennemis, mais plustost pratiquons ce que dit l'apostre, que le soleil (1) Fouquet fut arrêté en 1661. L'élégie ne parut dans les Recueils publiés par la Fontaine qu'en 1671. Cependant on la trouve imprimée dans le Recueil de quelques pièces nouvelles et galantes, tant en prose qu'en vers, in-18, Cologne, 1667, t. II, p. 195, sous le titre d'Elégie pour le malheureux Oronte. Mais, ajoute Walckenaer, <<< il est probable que la Fontaine fit d'abord imprimer cette pièce séparément et sur une feuille volante comme il a fait pour beaucoup d'autres de ses ouvrages. » (Histoire de la vie et des ouvrages de J. de la Fontaine, t. I, p. 100.) Ce que présumait Walckenaer se trouve donc réalisé par la présence de cet exemplaire. ne se couche pas sur vostre colere (ce cœur tandre, ce cœur paternel), l'apostre ne peut comprendre qu'un chrestien, enfant de paix, puisse dormir d'un sommeil tranquille ayant le cœur ulcéré et aigri contre son frère, ni qu'il puisse gouster du repos uoulant du mal a son prochain dont Dieu prend en main la querelle et les interests. Mes frères, le iour decline, le soleil est sur son panchant, lapostre ne nous donne guere de loisir et uous nauez plus guere de tems pour lui obéir; ne differons pas dauantage une œuvre si necessaire, hastons-nous de donner a Dieu nos ressentimens: le iour de la mort sur lequel on reiette toutes les affaires du salut n'en aura que trop de pressées; commancons de bonne heure a nous preparer les graces qui nous seront necessaires en ce dernier iour et en pardonnant sans delai asseurons-nous leternelle misericorde du Père, du Fils et du Saint-Esprit. >> J'ajouterai ici aux exemples cités précédemment p. 54, p. 55 et 73, les caractères suivants de son écriture. Souvent il supprime les doubles lettres; ainsi, dans le début du Sermon de la Pénitence au temps du Jubilé, on lit dans son manuscrit : « Quelle merveilleuse nouvelle nous aprenons aujourd'hui, » et p. 4 et 5, aprenons, el aprendre, p. 92. Il écrit aussi atendre, abatre, atantif, flater, froter. Ailleurs il écrit une tandre éducation, p. 99; il écrit aussi sepulcre sans h, p. 27 des Sermons. Voyez pour son opinion au sujet de l'orthographe, plus haut p. 130 et suiv. RACINE ET BOILEAU. A Mer le maréchal de Luxembourg. Félicitations sur la victoire de Fleurus. « Au milieu des louanges et des complimens que vous receués de tous costés pour le grand seruice que vous venés de rendre à la France, trouués bon, Monseigneur, qu'on vous remercie aussi du grand bien que vous aués faict à l'Histoire, et du soin que vous prenés de l'enrichir. Personne jusqu'ici n'y a trauaillé avec plus de succez que vous, et la bataille que vous venés de gagner fera sans doute un de ses plus magnifiques ornemens. Jamais il n'y en eut de si propre à estre racontée, et tout s'y rencontre à la fois, la grandeur de la querele, l'animosité des deux partis, l'audace et la multitude des combattans, une résistance de plus de six heures, un carnage horrible, et enfin une déroute entière des en |